Hier, Bakchich a publié un Coup de boule intitulé « Le dalaï lama me fait peur ». Son auteur, le journaliste Jacques-Marie Bourget, y fait part de son aversion pour le Dalaï Lama en raison de ce qu’il représente à ses yeux : l’héritier d’une « monarchie de droit divin où un clignement d’œil du dalaï » était « le moyen d’établir le poids de l’impôt, celui de la vie et de la mort ». Soit. Mais cette vision teintée d’intolérance laïcarde est périmée en ce qui concerne le dalaï lama. Périmée d’un demi-siècle. Personne ne nie le fait qu’avant l’invasion du Tibet par la Chine en 1950 le régime politique tibétain était une « théocratie féodale ». C’était d’ailleurs l’un des arguments de la propagande chinoise pour justifier l’annexion du Tibet.
Cette propagande est toujours d’actualité comme on peut le lire dans la presse de l’Empire du Milieu. Pour les opinions publiques “occidentales", cet argumentaire ne pèse pas lourd au regard des répressions successives menées par la soldatesque chinoise au Tibet. Même si — il faut le dire — Pékin a engagé des milliards de dollars pour désenclaver et développer le Tibet. Même si — là aussi il faut le souligner — la manne financière profite d’abord aux Chinois Han, invités à s’installer en nombre dans la région. Car cinquante-huit années après l’annexion du territoire, Pékin a toujours du mal à “digérer” le Tibet et demeure à la manoeuvre pour tenter de diluer l’identité tibétaine. Une identité qui, n’en déplaise à Jacques Marie Bourget, est intrinsèquement liée au bouddhisme tibétain. Et qui explique qu’en trente ans les Chinois aient détruit 6 000 centres d’étude, monastères et bibliothèques bouddhistes.
Ceux qui ont le mieux démenti la propagande chinoise ne sont ni les défenseurs des droits de l’homme ni les amis d’un “Tibet libre” mais les Tibétains eux-mêmes. Surtout ceux qui vivent en exil, à Dharamsala, en Inde. Ils y sont parvenus sous la houlette d’un homme : l’actuel dalaï lama. Comme le soulignait à juste titre, en 2006, un rapport du Groupe d’information sur le Tibet du Sénat français consacré à l’apprentissage de la démocratie par les Tibétains en exil : « dès 1961, il (le dalaï lama) promulgue une Constitution provisoire qui proclame la séparation des pouvoirs et dont les fondements sont ceux de toute démocratie : égalité des citoyens devant la loi, élections libres et pluralisme politique. ».
Aujourd’hui, les Tibétains en exil possèdent une Assemblée de 46 députés en charge du pouvoir législatif et renouvelée tous les cinq ans au suffrage universel direct. Quant au gouvernement dont les ministres sont nommés par le dalaï lama, ils sont responsables devant le Parlement depuis 1991 et le premier d’entre eux est élu au suffrage direct depuis 2001. Autant de "preuves" de démocratie qui montrent que les Tibétains sont les premiers à ne pas souhaiter le retour « du joug aristocratico religieux » du personnage du dalaï lama qui hérisse Jacques-Marie Bourget. Et puis, de toutes les façons, l’actuel dalaï lama n’appelle plus depuis une dizaine d’années à l’indépendance du Tibet mais à une réelle autonomie dans laquelle il se concentrerait sur ses fonctions spirituelles, délaissant son statut politique.
Jacques-Marie Bourget n’a donc aucune raison d’avoir peur. Par contre, nous avons tout à craindre d’un affaiblissement du dalaï lama : lors des émeutes du 13 au 16 mars derniers, de jeunes Tibétains ont pris pour cible des Chinois Han (certains ont été lynchés), passant ainsi outre l’appel à la non-violence du dalaï lama. La répression chinoise n’en sera que plus dure.
Catherine Graciet – Journaliste à Bakchich
Merci Madame Graciet pour la limpidité de votre article !
La question que je me pose est la suivante : A-t-on le droit d’envahir un pays sous prétexte qu’il ne correspond pas à nos critères "d’évolution sociale" ?
Nous avons fait cet erreur de multiples fois dans le passé mais le but premier de l’envahisseur n’a jamais été de faire le bon Samaritain mais bien de profiter des richesses du pays colonisé…
Ceci est extrèmement dommageable pour le patrimoine de l’Humanité (appauvrissement ou perte de la culture des personnes colonisées) et pour le respect fondamental des Droits de l’Homme (tueries, massacres et tortures).
Il est donc de la plus haute importance de condamner de tels agissements. Merci !
L’Assemblée Générale de l’ONU adopta en 1961 la résolution 1723 dont voici un extrait :
((L’Assemblée Générale…)) Solemnly renews its calls for the cessation of practices which deprive the Tibetan people of their fundamental human rights and freedoms, including their right to self-determination ;
Voici quelques questions :
1. Cette résolution rappelle-t-elle le droit à l’autodétermination du peuple tibétain ?
2. L’ONU est-elle habilitée à juger de ce droit ?
3. Dans l’absolu les Tibétains étaient-ils bien un peuple, autrement dit (en ce qui nous concerne ici) étaient-ils non sinisés dans les années 1950 ?
4. La formule their right to self-determination est-elle incompatible avec une suzeraineté tierce, mainmise chinoise comprise, décidée puis maintenue sans consulter les Tibétains ?
5. La Chine néglige-t-elle ce droit depuis son entrée au Tibet ?
6. Le fait que la Chine néglige cette résolution tout en étant membre de l’ONU et se pose en libératrice du peuple tibétain, bafoue son droit à l’autodétermination, exploite les ressources du Tibet et y tire (après avoir chassé les témoin, dans la rue et sans procès) sur des civils dépourvus d’armes à feu, montre-t-il son hypocrisie et sa mauvaise foi ?
Si vous répondez "OUI" à toutes ces questions… fermons le ban. Sinon merci de me communiquer vos réponses
Vous avez raison de craindre que le Dalaï lama ne soit débordé par des Tibétains. Mais ceux qui sont le plus à craindre ne sont pas les Tibétains de l’intérieur mais ceux de l’extérieur, ces jeunes qui, né en exil et n’ayant jamais mis les pieds au Tibet, se disent partisans d’une lutte à outrance contre la Chine sans tenir compte de la situation réel du pays qu’ils prétendent incarner ni du rapport de forces. S’ils étaient écoutés, ils feraient massacrer les Tibétains de l’intérieur jusqu’au dernier en restant pour leur part bien à l’abri en Inde, au Népal ou en Occident.
Par ailleurs, je pense que vous nourrissez quelques illusion sur le caractère démocratique du gouvernement tibétain en exil. D’abord, il ne saurait être représentatif puisque les exilés ne représentent qu’une minorité de la population tibétaine (à peine 4%), ensuite parce qu’on voit mal comment des élections peuvent être organisées parmi des exilés dispersés à travers le monde. Une remarque doit être faite et elle est significative : qui connaît le Premier ministre du gouvernement en exil ? La seule figure connue est celle du Dalaï lama. Selon certains, le gouvernement en exil, qui regroupe essentiellement des aristocrates tibétains, ne serait qu’une reproduction de celui qui existait avant 1950 et la démocratie tibétaine aurait un caractère largement mythique ; je ne sais pas ce qu’il faut penser de cette dernière affirmation mais ce que je sais, c’est que des exilés tibétains s’interrogent sur le sujet comme on peut le voir en visitant leurs sites.
Enfin, il est tout à fait clair que l’engouement pour le Tibet en Occident est largement fondé sur l’anti communisme et que peu de gens s’intéresseraient à ce pays s’il n’y avait pas eu les événements de 1950. Avant, l’image du Tibet en Occident était très négative et elle le serait probablement encore sans ces événements. L’image d’aujourd’hui est donc biaisée et largement fondée sur des illusions. Pour faire la part des choses, il faut en revenir, comme toujours à une étude sérieuse de l’histoire et cesser de projeter nos fantasmes sur un monde si différent du nôtre.
Sur les 6000 centres qui auraient été détruits : il ne faut pas oublier que si les chinois s’en prennent aux centres d’études religieuses, c’est d’abord et surtout parce qu’ils sont les lieux du pouvoir tant l’union entre pouvoirs spirituel et temporel demeure grande malgré les intentions "sécularistes" du Dalaï Lama.
Les femmes n’accédant pas à l’ordination, qu’en est-il de leur présence dans cette assemblée en exil ? (qui n’a aucune valeur, pardon de le dire)
Enfin, quelle différence avec les Ouighours du Turkestan Oriental - qui se bagarrent avec les chinois exactement comme les tibétains, mais qui eux sont répertoriés comme terroristes par la communauté internationale ? Est-ce parce qu’ils sont musulmans ?