Corbeau, couleuvre et Salamandre

La poilante saga Clearstream se relance pour l’été. Et la bande-annonce promet : « la revanche de Zig et Puce », doux surnoms dont ont été affublés Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, les magistrats en charge du dossier. À l’orée des vacances, les deux compères s’en sont retournés à la pêche. Entre multiples auditions du général Philippe « OSS 117 » Rondot et menues perquisitions au domicile et au bureau de Dominique de Villepin, leur besace est bien remplie. Si bien que l’ancien Premier ministre s’est vu offrir, pour l’instant, le rôle titre du feuilleton, avec une mise en examen prévue pour le 27 juillet prochain.

Braquée désormais sur les grands noms de la politique, la carambouille se désintéresse ainsi peu à peu du milieu des officines d’intelligence économique, des conseils en stratégie… ou des services officiels de contre-espionnage.

Pourtant, ce petit milieu si discret ressemble à un champ de bataille. Et les notes de la DST saisies chez Villepin ne risquent pas d’apaiser le climat. À force de louvoiements, le service de contre-espionnage s’est un peu pris les pieds dans le tapis. Pour finalement se ramasser avec talent et être dûment récompensé pour son bel oeuvre. Le patron, Pierre Bousquet de Florian a été « promu » préfet des Hauts-de- Seine le mois dernier. Idem pour son affidé, le commissaire Gayraud, désormais attaché au secrétariat du ministère de l’Intérieur.

En quête du corbeau de l’affaire et du bidouilleur des listings, les hommes de la rue Nélaton ont un peu balancé tous les noms qui leur venaient. Envie de se faire mousser auprès des autorités politiques ? Fayottage en vue de les protéger ? Ou de protéger le corbeau ?

Patron de la DST à l’époque, Pierre Bousquet de Florian, et son commissaire divisionnaire préféré Jean-François Gayraud ont désigné dans une note tout ce qu’il y a d’officiel l’ancien flic Hubert Sévenno comme l’un des probables bidouilleurs du fichier. Et ont fait remonter leur petit texte à Villepin fin 2004. Un brin vexé, le boss d’I2F a porté plainte pour dénonciation calomnieuse contre Bousquet.

Incorrigible, Bousquet a aussi gentiment asticoté Salamandre, une boîte de conseil en stratégie, toujours en fin d’année 2004. Une petit note arrivée sur le bureau de Villepin et venue de la rue Nélaton détaille « Interrogé sur les sociétés privées, la source en cite deux (…) et parmi celles de haut niveau pouvant mener une telle opération : spontanément la source n’en voit qu’une : Salamandre ». Avec, cerise sur le gâteau, une petite amabilité pour le président de la boîte : « Pierre Sellier est décrit comme très vénal et prêt à tout pour l’argent ». Auditionné par les flics au cours de l’enquête, le commissaire Gayraud se permettra même de le désigner sous l’affable vocable de « gangster ». Des assertions qui ont fait se gondoler les rivaux de Salamandre, presque autant que les rumeurs faisant de Sellier « un ancien de la DGSE ».

Perquisitionné et auditionné à maintes reprises, sans jamais être mis en examen, l’intéressé a un peu moins goûté à la plaisanterie. Mais a su rester judiciairement calme jusqu’au mois dernier et un article du JDD du 17 juin : Clearstream, plongée dans l’activité des cabinets noirs. Coups bas à tous les étages. 11 jours plus tard, Salamandre et Sellier ont envoyé une citation à comparaître à l’hebdo de Lagardère.

Les ingrats. Cités à de nombreuses reprises dans le papier, Sellier et sa boîte ont mal perçu la formidable pub gratuite qui leur a été faite. Et encore plus mal vécu une petite coquille du journal. Après avoir rencontré Imad Lahoud, le bidouilleur présumé des listings Clearstream, Sellier transmet un verbatim du monologue de l’informaticien à la DST, en mai 2005 (cf. Les coups bas d’Imala). Un évènement étrangement traduit dans le JDD par « las, les insertions de Lahoud étaient aussitôt revenues aux oreilles de la DST ».

Les citations du bon Alain Marsaud, ancien juge anti-terroriste et ancien député UMP, n’ont pas eu l’heur de plaire. Le spécialiste ès renseignement dénonce dans les colonnes de l’article « des mercenaires qui se font assister par des agents publics ou hauts-fonctionnaires qui utilisent leur qualité dans le but de persuader, de menacer, voire de confondre leurs interlocuteurs ». De doux mots insérés dans un papier où seul Salamandre apparaît nommément, venu d’un homme qui ne porte pas le reptile dans son cœur. Un stigmate de son parcours professionnel sans doute. À l’époque où il s’occupait de la sécurité et de l’intelligence économique chez Vivendi, Marsaud a souvent rencontré le commissaire Gayraud. Les deux sympathiques personnages se sont entendus comme larrons en foire.

Interrogé par la flicaille dans le cadre de l’affaire Clearstream, Marsaud, dans un langage fleuri, a fait part de son désir de rencontrer Pierre Sellier. « J’aimerais bien le connaître, car j’ai deux mots à lui dire ».

Son vœu sera exaucé le 13 septembre prochain. Et en bonne compagnie. Marsaud et Lahoud ont été cités comme témoins par le JDD dans l’affaire qui l’oppose à Salamandre. Rien de tel qu’un bon procès pour faire connaissance.