Lorsqu’un type s’alarme de devoir bosser jusqu’à 67 ans pour une retraite de 785 pions, rien n’est pire que de lui répéter calmement que c’est une bonne nouvelle.
Au commencement était le Verbe – mais, sans complément, il ne valait pas tripette. Le Verbe, c’est la rhétorique débitée à longueur d’interviews par des ministres impassibles, le genre « la dernière fois que je me suis énervé, c’est quand le chat m’a griffé ».
J’insiste sur ce ton, qui est d’une rare insolence : lorsqu’un type s’alarme de devoir bosser jusqu’à 67 ans pour une retraite de 785 pions, rien n’est pire que de lui répéter calmement, avec le sourire vaseliné d’une Joconde à peine dégarnie entre les deux oreilles, que mais non, mais non, c’est une bonne nouvelle puisque la durée de la vie augmente, ce qui lui permettra d’être fauché plus longtemps et peut-être même de mourir dans la misère, aventure qui n’est pas donnée à tout le monde, demandez à Liliane.
Mais ce que ne dit pas le Verbe, c’est qu’il va falloir fabriquer son « complément retraite », sou après sou, comme ces prévoyants auxquels le fisc rembourse 700 millions d’euros d’impôts, car, en sarkozien, « bouclier fiscal » veut dire « complément de ressources ». Tous, ils ont mis de l’argent de côté pour en avoir devant eux, comme l’écureuil, qui est un animal idiot (rien dans la tête, tout dans la queue). Résultat : ils ne râlent pas à propos du recul de l’âge de la retraite, même s’ils n’ont jamais bossé et sont retraités depuis 1956, comme des dames que je ne citerai pas. Ils ont de quoi payer leur dentier, faire rentrer le fuel, et même s’offrir un second palais à Venise quand Alzheimer leur fait oublier qu’ils en avaient déjà un.
Grâce au complément retraite, chacun peut ainsi combiner les avantages de la ladrerie jusqu’à 67 ans, et de la décrépitude ensuite. Plus de fleurs à Paulette pour sa fête, plus de supplément beurre dans le sandwich, plus de moules avec les frites : dès demain, ceinture ! Et si votre placement n’a pas coulé, vous aurez 23 euros par mois dans trente ans.
Quel pied ! C’est déjà nul de vieillir. Si en plus on doit mégoter avant, pour le coup, c’est complet…
"Le juteux business de l’épargne retraite", à lire dans Bakchich Hebdo n°39, en kiosques du 24 au 30 septembre 2010.