Une jeune collaboratrice de « Bakchich » raconte à sa façon son voyage vers « l’endroit le plus sensible au monde », les territoires palestiniens. La voilà à Naplouse, où les incursions de l’armée israélienne sont fréquentes.
Ca y est, notre taxi collectif palestinien démarre. Je compte, nous sommes huit. Et je me dis que peut-être on va mourir.
Le chauffeur roule à toute blinde. Et la route est très dangereuse, et des voitures arrivent en face très vite aussi, et il n’est peut-être que 17 heures, mais il fait déjà nuit. N’ayez pas peur, n’ayez pas peur… C’est A., qui essaye de nous rassurer. Il dit que notre chauffeur fonce, comme tous les taxis ici. Parce qu’ils veulent avoir le temps de passer le checkpoint du retour. Il veulent dormir chez eux en fait. Ah ? Les checkpoints ferment le soir ?
(Finalement, on n’est pas mort)
18 h, arrivée au checkpoint de Naplouse. Le taxi s’arrête brutalement. Pourquoi il continue pas, on n’est pas encore à Naplouse là, si ? Il faut quitter le mini-bus et passer le barrage à pied. Ah ? C’est comme ça.
On marche, entre deux hautes barrières grises qui ressemblent à des barreaux de prison, en plus longs. Le passage est éclairé par les phares des taxis qui attendent leurs clients, de l’autre côté. On marche, il faut passer un tourniquet de supermarché taillé militaire. Je passe. Ca claque. Et on voit. Quoi ? La foule en face. Une trentaine de personnes stationnent en file indienne derrière une frontière métallique. Ils attendent de passer le checkpoint du retour. Ils veulent dormir chez eux, eux aussi. A. me demande si c’est la première fois. Quoi ? Israël, le barrage militaire… Oui. N’aie pas peur.
On prend un nouveau taxi, plus petit, et on roule encore un peu. Et enfin, l’entrée de Naplouse. Là, regarde sur ta droite, c’est Balata. C’est quoi Balata, une ville ? Non, c’est pas une ville, c’est un camp de réfugiés. Ils sont nombreux dans le camp ? 45 000. Les plus âgés attendent ici depuis 1948. Ils vivent là, dans ces bidonvilles. Ils ont compris que la paix c’était pas pour tout de suite. Mais ils ont quand même gardé la clef de leur vieille maison en Israël. C’est dans ce camp qu’est né N. Et c’est toujours ici qu’il habite, N. N. a 25 ans, c’est un ami de A., et c’est aussi un combattant. Il a fait partie de la garde rapprochée de Mahmoud Abbas. N. nous attend sur le lieu du rendez-vous près du rond-point.
Vous voulez voir la vieille ville ? C’est pas très recommandé à cette heure-là, mais on peut y aller quand même si vous voulez. Pourquoi c’est pas très recommandé ? C’est que parfois, l’armée israélienne fait des incursions dans le centre-ville. Mais en général, les attaques ont lieu à l’extérieur, dans la ville même. Ah ? Parce que les troupes israéliennes ont peur. Elles ne connaissent pas aussi bien que nous les cachettes du souk. On y va.
La vieille ville est vide et noire. On sent circuler le spectre de la résistance palestinienne. Un peu partout sur les murs de l’allée fermée, sont collées des affiches de martyrs, assez anciennes pour certaines. Des photos représentent des garçons très jeunes, adolescents, à peine ; armés, morts en résistants. De temps à autre, on croise un portrait de Yasser Arafat. Comme dans le taxis qu’on a pris pour venir. Et, regarde là ! C’est Saddam Hussein ! Saddam Hussein ? Vous le voyez comme un martyr ? Certains ici oui, parce qu’il était le seul à nous aider, Saddam. Ca et là, en contrebas, on devine des boutiques. Mais là il n’y a plus rien, plus personne, comme si le couvre-feu était de rigueur. On sort du souk par quelques marches humides sur le côté droit. A l’air libre, la ville aussi est sombre, et complètement déserte. Il y a quand même une petite boutique qui reste encore ouverte. On entre dans ce dernier îlot illuminé du quartier. Notre hôte nous apporte un délicieux cocktail maison. Je crois voir que N. a un peu peur.
D’un coup, A. se lève. Il faut rentrer ! Sinon les checkpoints vont fermer. Déjà ? Ils ferment à quelle heure ? On arrive au premier checkpoint. Il faut marcher dans le couloir de sécurité. Les deux bidasses qui nous accueillent ne sont pas d’une amabilité débordante. A côté, les cerbères d’El Al, la compagnie aérienne, étaient agréables. L’interrogatoire coutumier… Mais il y en a un qui me scrute depuis tout à l’heure. Il me cherche des poux ou quoi celui-là ? J’ai très envie de m’énerver. Vous êtes mariés ? Qui ? Vous et vous. Non.
En attendant le taxi, j’assiste à une scène sympathique. Un peloton de soldats israéliens est en train d’embarquer un type. Sous la lumière blafarde d’un gros projecteur blanc, le prisonnier a les yeux bandés, les mains attachées dans le dos, et la tête droite devant. La dizaine d’hommes qui le suit ont leurs armes braquées sur lui. Ils marchent. Vers où ? Une prison pas loin d’ici. Actuellement, environ 11 000 palestiniens sont enfermés dans les prisons israéliennes. Parmi ces prisonniers, on estime à 450 ceux qui ont du sang sur les mains.
Le checkpoint de Ramallah ferme à 21 heures. Et il est ? 22 heures. Bon. Du coup, on se retrouve dans la maison de notre ami A. Le château de Birzeit, il l’appelle. Birzeit,… c’est bien ici que se trouve l’Université qui a été fermée par le gouvernement israélien pendant plusieurs années ? Oui.
A. ? Oui. Quelle est la ville qu’on voit là, en face de chez toi ? C’est pas une ville, c’est une colonie. Dès que les maisons sont éclairées comme ça, c’est forcément une colonie. Ah !? Oui, juste en face de chez moi. On dîne dans un petit restaurant joliment décoré. Des guirlandes lumineuses couvrent le comptoir, et un beau sapin de Noël siège près de la porte d’entrée. Noël… C’est vrai, Arabe peut vouloir dire Chrétien, on a tendance à l’oublier ça.
Il fait très froid dans le château de Birzeit. C’est le château des pauvres. Je dors.
On se lève très tôt pour rentrer à Jérusalem. On grimpe dans un petit bus collectif qui n’a pas besoin de tout un système électronique pour fonctionner superbement bien. Les personnes montent et descendent très rapidement et savent d’avance quelle somme ils doivent donner au chauffeur. Les images de Cisjordanie défilent sous mes yeux une dernière fois. Les images d’un pays en loque et épuisé.
Et très vite, je me retrouve à Jérusalem, dans le luxe cossu d’un haut lieu de l’intelligentsia internationale, L’American Colony. Je partage un petit déjeuner savoureux entourée de journalistes. La Terre Promise, l’endroit du monde le plus scruté. Le plus décrit. Le plus décrié. Le plus fantasmé. C’était des premiers pas.
Lire ou relire les deux premières parties de ce carnet de route dans Bakchich :
pas de réaction…. J’esperais que votre rédaction ait le courage de répondre à mes quatre questions ! Votre parti pris, que je supposais involontaire était excusable. Votre silence ne montre que du mépris
Bakchich est beaucoup moins drôle..