Ca fume à l’UMP !

L’annonce de l’interdiction prochaine de fumer dans les lieux publics par Dominique de Villepin, le 8 octobre, a mis en colère les élus UMP sarkozystes qui soutiennent discrètement la fronde des partisans de « la liberté de fumer ». Double objectif de leur combat : éviter de fâcher les 31 000 buralistes, considérés comme influents, à quelques mois des élections… et saper ce projet gouvernemental, soutenu par l’Elysée et Matignon. Pour le moment, la bataille semble avoir été perdue par les pro-tabac, puisque l’interdiction entrera en vigueur, par décret, le 1er février 2007. Mais les buralistes sont loin de la Bérézina redoutée : ils ont déjà obtenu que la mesure n’entre en application dans les bars-tabacs, restaurants, discothèques et casinos que début 2008. Et sont loin d’avoir désarmé !

La bagarre a démarré en octobre 2005 avec une proposition de loi d’Yves Bur (UMP, Bas-Rhin), visant à durcir la fameuse loi Evin de 1990, mal appliquée. L’opinion, à 80%, est favorable à des mesures de prévention du tabagisme passif, qui provoque 5 000 décès par an en France. Mais le front des buralistes-cigarettiers s’est mobilisé contre le texte d’Yves Bur, notamment par l’intermédiaire du lobbyiste de British American Tobacco, dénommé Yves Trevilly. Ce dernier a quitté en avril 2005 le poste de chef de cabinet de Renaud Dutreil, au ministère de la fonction publique, pour défendre les intérêts du numéro deux mondial des cigarettes. Dans un courrier aux députés le 16 décembre 2005, Yves Trévilly rappelait que « onze millions de consommateurs fréquentent les buralistes », soit «  plus précisément 19 000 personnes par circonscription législative ». Et le lobbyiste d’appuyer sa démonstration : «  lorsque l’on sait que la plupart des élections législatives se jouent entre 50 et 800 voix »… Selon lui, la colère des buralistes peut déboucher sur une « sanction politique » en 2007.

Sarkozy prend ses cigares chez feu-Alfred Sirven

Au printemps, la crise du CPE a refroidi le gouvernement Villepin sur le sujet sensible du tabac, d’autant que nombre d’élus UMP semblaient très remontés contre toute loi d’interdiction. « Il faut cesser d’emmerder nos électeurs d’ici 2007 » clamaient certains députés. La fronde a été appuyée par les membres du club parlementaire des fumeurs de Havane, dont le président « à vie » , André Santini , député-maire UDF d’Issy-les-Moulineaux, a participé, le 25 avril 2006, au grand meeting parisien de protestation des buralistes, à la Mutualité. La direction de l’UMP s’est également activée en coulisses. Il est vrai que Nicolas Sarkozy, dans le secret de son bureau, aime déguster de bons cigares, qu’il sort de son armoire spéciale, acquise chez Gérard, un luxueux négociant de Genève. Là où Alfred Sirven, l’ex-homme de l’ombre d’Elf, achetait aussi les siens… Son conseiller parlementaire Frédéric Lefebvre, autrefois lobbyiste attitré d’Altadis (ex-Seita), est également membre du club fumeur de Santini.

Du coup, René Le Pape, le bouillant président de la Confédération des débitants de tabac, a été particulièrement choyé par le clan sarkozyste. Une lettre de la responsable des relations avec les élus à l’UMP a incité les parlementaires à rencontrer René Le Pape lors de ses tournées régionales. Autre initiative : le député UMP Dominique Paillé, sarkozyste zélé et amateur de havanes, invité à un congrès régional de buralistes dans sa circonscription des Deux-Sèvres, a poussé les professionnels à « user de tous les moyens politiques à leur portée » pour faire entendre leur voix. En parallèle, René Le Pape a rencontré le plus grand nombre d’élus possibles. Et notamment Richard Mallié, député UMP des Bouches-du-Rhône. Ce dernier, autre sarkozyste militant et fumeur de cigarillos, a été chargé en juin 2006 par le gouvernement d’une mission sur l’avenir des buralistes. Il a entrepris, depuis l’été, une tournée des popotes aux quatre coins de France pour calmer les esprits. L’annonce de la décision du gouvernement de procéder par décret, et non par une loi, l’a pris de court. Et passablement énervé. Tout comme René Le Pape. Pour éteindre l’incendie, le gouvernement a envoyé en urgence Renaud Dutreil, le ministre des PME, au congrès des buralistes, le 5 octobre, pour leur donner des gages, sous forme de promesses financières généreuses. Mais les débitants réclament des délais plus longs (5 ans au lieu d’un an) pour s’adapter à la future interdiction. Une grande manifestation de « colère » est prévue le 6 novembre. Sûr : ils vont faire monter les enchères d’ici les prochaines élections. L’UMP craint par-dessus tout que les buralistes ne basculent en masse dans le camp lepéniste…

(Vincent Nouzille est journaliste, il vient de publier avec Hélène Constanty « Députés sous influences, le vrai pouvoir des lobbies à l’Assemblée nationale » (Fayard).