Comment ça ? Ce ne serait pas exactement parce qu’il est féru d’informations que Bernard Arnault veut racheter les Echos ?
Bernard Arnault n’a jamais été connu pour son sens de l’humour. Mais il a réussi à faire rire tout le monde en publiant, le 21 juin, un communiqué officialisant les négociations exclusives avec la société britannique Pearson pour racheter Les Echos, premier quotidien économique. Dans ce texte, l’homme le plus riche de France, qui possède le groupe de luxe LVMH, assure attacher « une grande importance à l’indépendance éditoriale, qui contribue à la crédibilité, la légitimité et donc au succès de tout organe de presse ». Pour faire bonne mesure, il précise qu’il instaurera « des dispositions de nature à assurer cette indépendance éditoriale ». Même des patrons proches de lui se sont poilés. Car, Bernard Arnault n’achète pas des journaux parce qu’il aime l’information. Cet homme qui n’esquisse jamais un sourire et qui a du mal à dissimuler le mépris qu’il éprouve pour ceux qui ne sont pas de son monde, veut qu’on l’aime. Le rachat de La Tribune dans les années 1990 n’avait qu’un seul but : disposer d’un média pouvant permettre de riposter aux attaques de ses ennemis, au premier rang desquels François Pinault, qui, lui, possède le Point. Il n’a jamais mis d’argent dans le journal pour le développer, se contentant d’éponger les pertes année après année. Pourquoi veut-il Les Echos ? Pour un financier, « sa stratégie est toujours d’avoir le numéro de son secteur, comme il l’a fait dans le luxe ». C’est joliment argumenté mais c’est un peu éloigné de la réalité. Arnault a cherché en fait à acheter la branche presse de Pearson, qui comprend, outre Les Echos, le célèbre Financial Times et le FT Deutschland. Le pauvre homme (façon de parler) estime qu’on ne parle pas assez de son immense talent dans le monde. Il a pourtant demandé à un journaliste du Figaro (Yves Messarovitch, devenu depuis lobbyiste) de rédiger un ouvrage à sa gloire. Il fréquente les puissants. Il a ainsi été l’un des deux témoins, avec Martin Bouygues, du mariage de Nicolas Sarkozy avec Cécilia.
La possession d’un grand quotidien lu par tous la plupart des grands de la planète avait pour but de régler cette question de la « visibilité ». Mais la directrice générale de Pearson, Marjorie Scardino, a refusé devant la levée de boucliers des journalistes du Financial Times. Ces manants estiment qu’un journal ne doit pas tomber entre les mains d’un patron gérant des activités industrielles et commerciales dont le dit journal peut être amené à parler. Qu’ils sont soupçonneux ces English ! En France, les marchands d’armes Dassault (Le Figaro) et Lagardère (Europe-1, le JDD, Paris-Match) ainsi que le bétonneur Bouygues (TF1) montrent qu’on peut avoir des contrats avec l’État et des amitiés haut placées tout en dirigeant des médias dont personne ne songerait à mettre en doute l’impartialité et l’honnêteté. Les exemples récents sont là pour le montrer. N’est-ce pas Alain Genestar ?
Donc, Bernard Arnault se fait refouler par Pearson mais il n’abandonne pas. Il décide de se concentrer sur Les Echos. Et, il sort son chéquier : 250 millions d’euros pour une entreprise qui réalise 10 millions de bénéfice d’exploitation ! Un ratio de 25 fois, comme disent les boursiers, alors que la moyenne est plutôt de 10 à 15 fois. Le but est clair : à un tel prix, Pearson ne peut pas refuser de discuter car il est coté en bourse et ses actionnaires n’accepteraient pas qu’il laisse passer une telle opportunité.
Bernard Arnault s’apprête donc à prendre le contrôle des Echos, dont les journalistes devront désormais se montrer particulièrement prudents. Pas question de dire du mal de LVMH. Pas question non plus d’écrire des articles louangeurs sur les concurrents Pinault ou L’Oréal. Bernard Arnault n’a jamais hésité dans le passé à empêcher un analyste financier auteur d’une note critique sur sa société d’assister à une réunion d’information de sa société. Il est connu aussi pour menacer de supprimer ses budgets de publicité (même le sage Nouvel Observateur en a eu à souffrir). L’ordre règne dans les médias français.