Les inquiétudes des Emirats vis-à-vis de la "machine" EPR n’ont jamais pu être levées.
Pour expliquer l’échec de l’offre nucléaire française aux Émirats Arabes Unis, les industriels d’Areva rejettent volontiers la responsabilité sur l’Élysée. Vu d’Abou Dhabi, ce raté français leur revient davantage qu’à un Nicolas Sarkozy qui « a vraiment mouillé sa chemise », selon une source proche des négociateurs émiratis.
Dès l’annonce de la candidature hexagonale en janvier 2008, les Émirats se sont inquiétés de l’absence d’EDF et l’ont rapidement fait savoir : l’attelage français doit être mené par un opérateur sûr et central. Or, leur demande n’a été prise en compte qu’en novembre 2009, après la prise de fonction d’Henri Proglio à la tête d’EDF, soit deux ans après le dépôt de l’offre et à quelques jours de l’attribution. Par la suite, leurs inquiétudes à l’égard de la « machine » EPR n’ont jamais pu être levées.
Comment faire confiance à un équipement mis en cause par les autorités de sûreté nucléaire ? Hors de question pour les Émirats de reproduire l’expérience malheureuse des chars Leclerc, en achetant sur papier. Cet accord signé avec Giat Industries (aujourd’hui Nexter) en 1993, d’un montant de 3,2 milliards de dollars, prévoyait notamment la livraison de 388 chars à partir de 1994. Mal ficelé, le contrat, émaillé de retards et de différends, a affecté tant le groupe français que les clients émiratis.
La préparation de l’après-pétrole est un « enjeu de survie » pour Abou Dhabi et ne peut souffrir d’une telle prise de risque. D’où le choix final de la Corée du Sud. Leurs centrales nucléaires sont peut-être moins innovantes, mais elles ont démontré leur fiabilité et présentent de surcroît « une différence colossale » au niveau des coûts, selon un négociateur émirati.
Comme les autres pays du Golfe, les Émirats sont commercialement tournés vers l’Asie. « Or, l’industrie française ne s’est pas encore adaptée à cet environnement concurrentiel », commente-t-on sans complaisance à Abou Dhabi, où l’on apprécie le transfert de technologies ultrasensibles offert à la défense émiratie par leur fournisseur asiatique. Ce transfert, mené par l’ADD coréenne (Agency for Defense Development), comprend notamment l’acquisition de missiles balistiques d’une portée de 300 km et de missiles de croisière dont les dernières versions affichent une portée de 1 500 km.
Dans quel but ? Contrer la menace du grand voisin iranien, notamment dans le détroit d’Ormuz, où les côtes iraniennes et émiraties se font face. À croire que la base militaire française d’Abou Dhabi, installée en mai dernier, censée rassurer les Émirats face aux ambitions perses, n’aura guère pesé dans le choix émirati. Pauvres stratèges hexagonaux.