Yannick, 34 ans, est « ingénieur diplômé de l’école polytechnique ». Il est accusé d’avoir refusé de se soumettre à un contrôle de police et d’avoir menacé les forces de l’ordre avec un pistolet.
Comparution immédiate du 6 décembre 2008, 23e chambre de Paris.
À la minute où il se saisit de l’affaire, le Président annonce : « Voici un dossier que nous allons devoir renvoyer. Les experts psychiatres se contredisent dans leurs conclusions : l’un dit que Monsieur X présente une tendance à la mythomanie, ce que nie l’autre. Il nous manque en plus beaucoup de pièces justificatives. Nous n’allons pas nous étendre sur les faits aujourd’hui, mais simplement débattre pour savoir si nous laissons Monsieur partir, ou si nous le maintenons en détention en attendant une nouvelle comparution ».
Les faits sont lourds. Le 2 décembre dernier, Yannick se serait garé dans le bois de Boulogne, lieu où il est « strictement interdit » de stationner. Il est au volant de sa Mercedes. Deux policiers l’approchent pour un contrôle d’identité. Yannick démarre, baisse sa vitre et entame un dialogue avec les agents. Soudain, le prévenu démarre son véhicule, s’enfuit et heurte un policier. Traîné à terre, ce dernier écope de cinq jours d’ITT. Pris en chasse sur le périphérique, l’homme est finalement interpellé et conduit au poste. Le prévenu aurait alors « soustrait un pistolet » et menacé de cette arme plusieurs agents de police. Après vérification, l’individu conduisait en plus sans permis de conduire.
Yannick a 34 ans. Il est « ingénieur diplômé de l’école polytechnique » et pas peu fier de le dire. Originaire d’Abidjan, l’homme dit habiter Neuilly-sur-Seine, il serait consultant informatique, mais viendrait tout juste d’obtenir une promesse d’embauche pour « travailler dans la finance des marchés » : « C’est la crise, lance-t-il, c’est difficile de trouver un job dans ce secteur, mais moi, je l’ai ! Je vais gagner 3200 euros par mois. Si je vais en prison, je perds cette opportunité ». Seul hic : aucune pièce justificative ne peut vérifier les dires d’un homme soupçonné de fabuler. L’unique certitude du tribunal : ses précédentes condamnations. En octobre 2004, un an dont six mois avec sursis pour violence avec usage d’une arme. Et en juin 2008, 1100 euros d’amende pour conduite sans permis.
« L’enquêteur n’a pas réussi à contacter votre futur employeur », remarque le Président. « Je suis sur le point de signer, répond le prévenu. Je ne veux pas qu’il soit au courant de mon arrestation ! » Le Président se penche sur les fameuses expertises psychiatriques et lit quelques bribes : « “Narcissique, égocentrique… Affabulation… Psychomaniaque… une tendance à faire le malin”. Oui, c’est cela. Une expertise mentionne un déséquilibre certain. Et l’autre nous dit que Monsieur ne souffre d’aucun défaut de perception. En attendant le renvoi, il faut se prononcer sur d’éventuelles mesures de sûreté. Madame la Procureure, qu’en pensez-vous ? »
Celle-ci se lève : « Nous n’avons aucune garantie de représentation et les faits qui lui sont reprochés sont très graves. Si le policier n’avait pas eu la présence d’esprit de décharger son arme avant de partir aux toilettes, cela aurait pu se terminer en bain de sang. Je demande son placement en détention jusqu’à sa prochaine comparution ».
Le prévenu se lève d’un bond : « Je vais me suicider en prison ! Vous aurez ma mort sur la conscience ! » Le gendarme derrière lui l’empoigne et le rassoit sur sa chaise d’un geste sec. L’avocat de la défense fusille son client du regard et prend la parole à son tour. Il fustige « les contradictions entre experts » et nie l’absence de garanties de représentations : « Monsieur a un domicile bien connu, il est inséré et travaille. L’objet de l’effraction, la Mercedes, est saisi. Il ne recommencera pas ! » L’avocat demande un contrôle judiciaire avec obligation de se présenter au commissariat « même tous les jours s’il le faut », mais pas de mandat de dépôt : « Je demande à ce qu’il comparaisse libre ».
Le prévenu a-t-il quelque chose à ajouter pour sa défense ? « Je m’excuse, dit celui-ci en se levant. Je ne voulais faire de mal à quiconque, si ce n’est à moi-même. Quand c’est arrivé, je venais d’apprendre que mon ex-copine était enceinte d’un autre. J’étais détruit. Si vous m’envoyez en prison, c’est sûr, je ressortirai entre quatre planches ».
Le verdict. « Vu les risques de réitération et l’absence de garanties suffisantes, le tribunal décide du mandat de dépôt, lit le président. L’affaire est renvoyée au 30 décembre. Il nous faut ces nouvelles expertises psychiatriques pour le 29, ainsi que les justificatifs supplémentaires demandés ».
Le prévenu s’emballe : « Je vais en prison ? Mais comment je vais faire pour vous envoyer des justifs si je vais en prison ? Y’aura pas de justifs, vous m’entendez ? » Et de menacer le Président du doigt : « Je vous emmerde, vous m’entendez ? P’tit con de juge ». L’homme est sorti de la salle d’audience par son escorte. Le Président s’adresse à la greffière : « Veuillez noter ces dernières déclarations sur le procès-verbal d’audience, ce serait dommage de les oublier d’ici le 30 décembre ».
Lire ou relire Juridique Park, le blog d’Anne Steiger
Exact. Les X sont censés faire une année supplémentaire dans une école d’application, Mines de Paris, Sup elec, sup etc… Me semble bien que c’est dans leur contrat car ces braves gens sont militaires et payés comme tels pendant leur trois ans. Avec clauses de remboursement au cas, improbable, où ils ne voudraient pas "perdre" un an.
De plus, un X de 34 ans doit avoir pas loin de dix ans d’expérience professionelle. (A moins que le gars n’ait pris 10 ans de congé sabbatique). Les fameux 3200€ sont effectivement une aimable plaisanterie. A moins qu’il s’agisse d’un job dans une scierie familliale du fin fond de la Creuse.
« ingénieur diplômé de l’école polytechnique », la formulation ainsi proclamée sonne faux. Polytechnique, comme l’ENA, "ouvre" les portes d’une carrière après une formation très généraliste. Ainsi est-on "ancien élève de" l’école polytechnique, ou de l’Ecole Nationale d’Administration, mais pas "diplomé de"…
Qu’un prétendu X se présente ainsi est très louche…