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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Sous le soleil de La Cadière

La chronique du blédard / vendredi 26 mai 2006 par Akram Belkaïd
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Dimanche matin. Une colline abrupte, des vignes sur ses flancs et au sommet, La Cadière d’Azur, son clocher et ce qui lui reste de murailles. Soleil, senteurs printanières et ciel bleu. Il faut se lever tôt et se promener dans les rues de ce village dont on dit qu’il est le plus riche du Var. Rues pentues et étroites aux noms étonnants : « rue de la rate », « rue des pénitents blancs », maisonnettes cossues et voitures puissantes immatriculées aux quatre coins de l’Europe (surtout du nord). Le souffle un peu court, on peut grimper jusqu’à la table d’orientation et admirer le panorama avec, au loin, la chaîne de la Sainte-Baume et le plateau du Siou blanc. Il y a cinquante ans, sans la proche autoroute et son grondement continu, l’endroit devait être plus beau encore.

On redescend ensuite vers la petite place toute en longueur du village et on commande un crème bien blanc chez « Serge et Julie » tout en lisant les faits divers publiés à la une de Var Matin. A l’arrière, en contrebas, il y a le Cercle des Travailleurs. « Fondé en 1884 » affirme l’enseigne qui avertit que la carte de membre est obligatoire pour prétendre y entrer. A la table voisine, des touristes britanniques racontent leur périple provençal à un couple de jeunes américains fraîchement arrivés. Indiscrets, on écoute en espérant prendre des notes puis on se lasse très vite.

A La Cadière d’Azur, il existe une association nommée « Les Amis » du dit village. Retraités et, surtout, retraitées qui l’animent, défendent l’endroit en empêchant notamment que le béton chasse la vieille pierre. Chaque année aussi, cette « assoce » organise un salon du livre de deux jours ce qui, vous l’aurez compris, explique ma présence dans ce coin où l’on ne peut s’empêcher de penser à la Mitidja. Accueil chaleureux, enthousiasme des organisatrices : c’est sûr, je suis loin de Paris.

L’art de la dédicace

Sous une grande tente, me voici installé à ma table. Ruckstuhl, dessinateur de bandes dessinées, dont le thème essentiel est la Corse, finit d’installer son matériel à ma gauche. Ses dédicaces lui demandent plus d’efforts que les quelques mots et signature que les auteurs inscrivent habituellement sur la page trois ou cinq de leur livre en veillant à ne pas y semer quelques fautes d’orthographe. Lui, offre un vrai dessin, une palette de couleurs, qu’il ne prépare jamais à l’avance : « ce serait tricher », me dit-il. A ma droite, il n’y a que des livres car leur auteur, Yasmina Khadra, est absent. « Il était là hier mais il est reparti chez lui » m’informe Ruckstuhl qui précise : « ses livres ont l’air de bien marcher. »

Justement, une dame élégante, décolleté généreux (c’est l’été), cherche Yasmina Khadra. « L’année prochaine à La Cadière » lui dit mon voisin. Elle ne semble pas apprécier. « Vous le connaissez ? », me demande-t-elle en déchiffrant mon patronyme. Je lui réponds que je n’ai aucun souvenir de lui car j’étais trop jeune lorsqu’il était élève à l’Ecole nationale des cadets de la révolution (ENCR) de Koléa et qu’il lui arrivait de se prendre une gifle de la part de mon paternel. La dame écarquille les yeux. Elle hésite puis s’en va du côté des auteurs italiens. Elle ne reviendra pas.

Dix minutes plus tard, c’est un couple, « venu tout exprès de Toulon » qui demande à voir l’auteur de « L’Attentat ». L’homme, ancien militaire « à la retraite », m’explique qu’il a passé quelques années en Algérie à l’époque « des événements ». Amateur de romans policiers, il ne pardonne pas à Yasmina Khadra d’avoir fait mourir son héros, l’inspecteur Lobb mais « continue de le lire quand même ». Son épouse soupèse les livres, les repose, les reprend. « Est-ce que vous savez s’il prépare un nouveau roman ? » me demande-t-elle tout en lisant le quatrième de couverture de l’édition de poche des « Hirondelles de Kaboul. » Je lui réponds que je n’en sais rien mais que je ne serai pas étonné si sa prochaine fiction choisissait pour toile de fond l’Irak ou le Darfour.

Elle hoche la tête d’un air impressionné tout en reposant le livre sur la pile. « Dommage, j’aurai bien aimé l’acheter et le faire dédicacer », dit-elle. Je lui signale qu’elle peut l’acheter et le faire dédicacer plus tard. Elle fait mine de ne pas avoir entendu et s’en va en tirant son mari par le bras.

Sur la gauche de la rangée d’auteurs qui nous fait face, il y a un phénomène qui justifie à lui seul la rédaction de cette chronique. Lunettes métalliques et collier de barbe façon maoïste post-soixante-huitard, c’est un auteur de polars, installé dans la région. Au lieu de rester sagement assis comme tous ses pairs et d’attendre, faussement détaché, qu’un lecteur magnanime veuille bien se présenter, l’homme a une toute autre attitude. Debout au milieu de l’allée, il traque le lecteur. Sans gêne, il happe sa victime et l’entraîne de force vers sa pile de livres. S’ensuit un bon quart d’heure de boniment passionné mais souvent vain. « Je vais faire un tour et je vais revenir », promet le chaland un peu gêné.

Parfois, cela se passe moins bien. Une auteur qui a quitté sa place pour se dégourdir les jambes est accrochée par les filins du camelot. Elle se dégage, il insiste. Le ton monte, il insiste encore, elle hurle. On sent la gifle venir mais de bonnes âmes s’empressent d’intervenir. Sans se démonter, l’homme reprend sa quête et cherche des yeux une nouvelle prise. C’est beau, l’amour que l’on peut avoir pour ses propres livres…

Blagues vénales

Il y a quelques années, au Maghreb des livres à Paris, j’ai vu un comportement presque identique. L’auteur, un sociologue Marocain, suivait jusqu’à la caisse chaque personne à qui il venait de dédicacer son ouvrage… Fatigué par ce manège, un peu désœuvré aussi, j’ai attendu qu’il revienne s’asseoir pour lui signaler qu’une femme venait d’embarquer plusieurs de ses livres. « De quel côté est-elle allée ? » m’a-t-il demandé un brin affolé. J’ai désigné une vague direction. « En tous les cas, ce n’était pas quelqu’un de l’organisation du salon » ai-je précisé. De quoi le mettre au comble de la fureur. Laquelle n’a pas duré car l’homme s’est vite repris, a compté et recompté ses ouvrages pour réaliser qu’il n’en manquait aucun. Il ne m’a rien dit mais à chaque fois que mon regard a croisé le sien, ses deux yeux m’ont fusillé sans appel. Et pour tout vous dire, j’ai songé à récidiver de la sorte avec le post-soixante-huitard mais je me suis abstenu, les plaisanteries avec les auteurs étant toujours à manier avec précaution.


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