Nuit blanche. Impossible de trouver le sommeil. Se lever, résister à l’envie de puiser parmi les journaux et magazines qui traînent et dont les photos et manchettes avivent la douleur. Chercher un livre, le trouver, le feuilleter et vite l’abandonner puisque la concentration n’est pas au rendez-vous. Allumer l’ordinateur et l’éteindre aussi vite car si le sommeil manque, la fatigue est bien présente. Alors, de guerre lasse, il faut se rabattre sur la télévision et ses inepties pour insomniaques. Sur une chaîne thématique, un documentaire retrace la vie de deux rappeurs américains assassinés au faîte de leur gloire au milieu des années 1990. Pendant tout le reportage, le commentaire off use et abuse du mot « révolte » mais j’ai bien du mal à comprendre pourquoi.
Les deux « chanteurs » en question s’appelaient Tupac Shakur et Notorious Big. Il ont célébré, avec des paroles crues, le sexe, la bagarre, l’alcool, les embrouilles du ghetto, la dope, la vie des mauvais garçons, mais à aucun moment, ils n’ont formulé de vrais discours critiques à l’encontre de la société américaine et encore moins de la politique de ses dirigeants. Et on peut dire que la grande majorité des rappeurs d’aujourd’hui ont suivi leur voie. Regarder un clip de rap est le plus souvent une épreuve où il faut supporter mauvais goût et vulgarité. Les images sont presque toujours les mêmes : des donzelles très dénudées qui se déhanchent, de belles voitures de sport, de splendides villas et des chanteurs en manteau de fourrure avec des diamants aux doigts et parfois dans les dents. Bonjour la révolte…
Le rap français, pourtant plus créatif, n’échappe pas à cette dérive. Pour quelques vrais écorchés qui clament leur colère - ce qui parfois les conduit devant les tribunaux - on a affaire à une kyrielle de tarés tous aussi mythomanes les uns que les autres. Et comme on dit de manière triviale, il faut les voir « se la ouèje » (se la jouer) ou « se la raconter » avec leur dégaine de faux mafieux, d’agents secrets de pacotille ou de parrains de cage d’escalier. La maladie a d’ailleurs touché des genres tels que le r’n’b dont l’un des hérauts hexagonaux est le franco-libanais Kmaro, de son vrai nom Cyril Kamar. Ah Kamaro… Plus mytho que lui, ça ne doit pas exister. Bagnoles, madamates, fourrures, grosses bagnoles et bien sûr diamants, flingues et billets de banque. « Je dépense plusieurs milliers d’euros par jour. J’aime la frime » a-t-il confié un jour sans même se rendre compte de l’indécence de ses propos.
Non, oublions cette fausse musique pour adolescents trépanés. Éteignons la télévision et comme il est tard et que le voisin du troisième a le sommeil contrarié très hargneux, mettons la tête sous le casque. Pour écouter quoi ? Tout simplement un album qui fait renaître la tradition du « Protest song » américain et qui contribue à ne pas désespérer de l’Amérique. « Living with war », vivre avec la guerre, est le nom du trente-neuvième album de Neil Young, 62 ans, figure légendaire de la folk anglo-saxonne, et c’est, vous l’avez compris, l’objet véritable de cette chronique.
Souvent, un chant, quelques paroles engagées font plus qu’un livre, un article ou une manifestation. Je ne suis pas certain que les chansons de Neil Young vont guider la politique des États-unis vers plus de sagesse mais elles ont déjà l’avantage d’exister et d’offrir un peu de réconfort et de satisfaction à ceux qui la dénoncent. « L’Amérique est belle mais elle a un côté horrible » affirme l’ancien hippie en dénonçant la guerre en Irak, une « guerre qui pue ». Le réquisitoire n’épargne personne. Sous fond de trompettes, de chœurs rauques (cent personnes !) et de guitare saturée, il raconte les jours d’après le « choc et l’effroi », nom de l’opération destinée à « libérer » l’Irak. « Des milliers d’enfants apeurés pour la vie, des millions de larmes pour les épouses de soldats ».
Cet album, enregistré en neuf jours ( !) est cru, virulent et surtout véhément. Et c’est cela qui me plaît. Terminé le temps où le monde entier se racontait des histoires en allumant son briquet à l’écoute de « We are the world » et il est rassurant de constater que c’est toujours le bon vieux rock’n’roll qui met les pieds dans le plat. Certes, la voix de Young est quelque fois éraillée, les trompettes nous infligent deux ou trois canards et quelques bonnes âmes vont vite s’empresser de me rappeler que Neil Young a un peu fricoté avec Reegan pendant les années 1980 mais cela ne changera rien : « Living with war » est une immense bouffée d’oxygène et les télévisions arabes seraient bien inspirées d’en parler afin de montrer qu’il existe d’autres voix aux États-unis qui refusent d’entrer dans la dynamique du choc annoncé des cultures.
Mais le vrai joyau de cet album est son septième morceau. « Let’s impeach the president » soit « Destituons le président ». C’est ce que réclame Young. Destituer Bush « pour avoir menti », pour « avoir abusé du pouvoir que lui ont confié les électeurs », pour « avoir conduit le pays à la guerre ». Destituer Bush pour avoir « espionné les citoyens », référence évidente au Patriot Act qui restreint les libertés individuelles aux États-unis et dont ses concepteurs ont vraisemblablement trouvé l’inspiration dans la lecture de 1984 de George Orwell. Destituer Bush pour « avoir kidnappé la religion », « divisé le pays » et « négligé les Noirs » (notamment après la dévastation de La Nouvelle-Orléans par l’ouragan Katrina). Destituer Bush pour avoir « loué le service de criminels » qui déforment la vérité pour leurs intérêts (référence probable aux armes de destruction massive dont l’US Army a abandonné la recherche depuis bien longtemps…).
Le plus étonnant dans l’affaire, c’est que Neil Young est citoyen Canadien. Cela pourrait ôter toute légitimité à son plaidoyer. Mais, outre le fait qu’il vit aux États-unis depuis 40 ans et que sa femme et ses enfants sont Étatsuniens, Young agit avant tout en tant que citoyen du monde. D’ailleurs, les États-unis étant les maîtres de la terre, il serait logique, qu’un jour, nous participions tous à l’élection du locataire de la Maison-Blanche. C’est pour cela, qu’aujourd’hui, face au chaos qui court de l’Afghanistan au Liban en passant par l’Irak, c’est la planète entière qui doit réclamer le départ de George Bush l’incompétent, l’apprenti sorcier. Oui, c’est cela. Faisons-nous plaisir et chantons tous « Let’s impeach the president ».