Mardi 20 janvier 2009, « inauguration day », sera jour de fête et de grâce pour les marchands de souvenirs de la capitale fédérale américaine. Sourire éclatant ou bien mine studieuse, de face comme de profil, seul ou avec Michèle et les enfants, Barack Obama est omniprésent. Tasses, mugs, tee-shirts, verres, autocollants, porte-clés, magnets, stylos, bonnets de laine synthétique made in Vietnam, tablettes de chocolat, cartes postales, la liste de tous les produits du merchandising autour du discours inaugural du quarante-quatrième président des Etats-Unis est impressionnante.
L’image d’Obama ne lui appartient plus depuis qu’il est entré en politique et tous ces colifichets ne lui rapporteront pas un seul « buck » (dollar). L’étranger de passage, qui se remémore une certaine indignation présidentielle et une promptitude procédurière à propos d’une poupée vaudou, en est tout étonné. On lui explique alors que tout business est bon pour l’économie de la ville en ces temps incertains où les pancartes de mise en vente des maisons fleurissent un peu partout, surtout dans le quartier sud-est à forte densité noire, là où, comme le montrent les statistiques, ont été distribuées le plus de subprimes.
On ajoute aussi, argument censé être imparable, que cela relève du premier amendement de la Constitution des Etats-Unis à propos de la liberté d’expression. Texte incontournable et fondateur de la vie politique américaine. Rappel : « Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre ». On peut s’interroger sur la relation entre cet amendement (que l’on aurait tout de même intérêt à méditer de Rabat à Djakarta) et la vente de babioles mais c’est ainsi.
Ce n’est pourtant pas le merchandising qui focalise l’attention des Washingtoniens. Toute discussion se doit d’évoquer les tickets, ces fameux sésames qui donnent le droit d’être de la partie, qu’il s’agisse du moment de l’assermentation du président (et du vice-président) sur les marches du Capitole (clairon, tambours et vingt-et-un coups de canons) ou de la parade qui mènera Obama le long de Pennsylvania Avenue jusqu’à la Maison-Blanche sous les acclamations des happy few installés sur des tribunes. Pour avoir l’un de ces fameux billets, il faut connaître un élu, un membre de l’entourage du président, des gens influents, bref un bon piston. Autant dire que la mission relève de l’impossible mais cela ne dissuadera pas des centaines de milliers de touristes de converger vers la ville pour en être.
Alors, les Washingtoniens râlent et s’inquiètent. Ils font mine de trouver exagérée la décision de la police de la ville de fermer les ponts qui enjambent le Potomac à la circulation. Le sourcil levé, ils se demandent aussi s’il est bien raisonnable que les musées de la ville restent ouverts et affirment que pour rien au monde ils ne s’aventureront dans les stations de métro aux allures d’abri anti-atomique et encore moins dans les restaurants du centre-ville qui seront fatalement pris d’assaut surtout si, comme le veut la tradition, il fait un froid de canard ce jour-là. Alors, certains disent qu’ils vont quitter la capitale, s’éloigner le temps de laisser passer les festivités mais finissent par avouer qu’ils aimeraient bien « le » voir de près, cet homme que l’Amérique inquiète de voir son économie sombrer attend comme le Messie.
Cette attente n’est pas une invention médiatique ni l’une de ces attitudes sur-affectées dont usent et abusent les Américains à tel point que l’on se demandent si ce sont eux qui inspirent les personnages maniérés de leurs séries télévisées ou si ce n’est pas l’inverse. « Change is coming, man » : ce mendiant qui, sur le trottoir de K Street, la rue des lobbyistes, quémande un peu de monnaie (« change » en anglais) le résume à sa façon avec ce jeu de mots. Attente du changement, espoir de voir les impôts baisser encore, l’économie repartir, les promesses de campagne se réaliser : qu’en sera-t-il dans trois mois ? Dans six ?
Et puis, il y a ceux qui se moquent de tout cela et qui estiment qu’il y a bien plus important que de se demander si le temps sera suffisamment clément pour permettre à Obama de faire une partie de sa parade à pied. Prenez cette jeune femme à la sortie du métro Foggy Bottom George Washington University. Ecoutez-là hurler « il faut une révolution, l’Amérique doit se réveiller. Pensez par vous-mêmes ! ». Etudiants et passants font à peine attention à elle et il n’y a bien qu’un flâneur frigorifié pour essayer de comprendre son programme et ses arguments. C’est un mélange de bonnes intentions gauchistes et de propos radicaux à l’encontre de la droite américaine qui saperait les fondements du pays en ambitionnant déjà de faire élire Sarah Palin en 2012.
Mais surtout, il y a aussi ces hommes et ces femmes, habillés de noir pour la plupart, qui défilent sous une pluie glaciale sur le trottoir de la 1ère rue, juste derrière le Capitole, à proximité de la Cour Suprême et de la Librairie du Congrès. Ils portent des masques blancs aux traits de cire et avancent lentement aux battements lugubres d’un tambour. Chacune, chacun, tient une pancarte contre son torse où est inscrit le nom d’une victime civile irakienne, libanaise ou palestinienne. A l’heure où les « congressmen » reprennent leurs quartiers dans la ville, ces marcheurs silencieux veulent interpeller leurs élus et l’opinion publique à propos des errements de la politique étrangère américaine. De rares caméras sont présentes. Elles filmeront l’arrestation - sans heurts - des manifestants (qui seront relâchés dans la soirée). Des touristes chinois ont eux aussi immortalisé la scène. Ils comparent bruyamment les clichés de leurs appareils numériques puis repartent en rangs serrés vers l’Ouest. Sur le chemin, ils ne manqueront pas de s’arrêter dans l’un de ces bazars où tant de fanfreluches proclament que l’ère du changement est enfin arrivée.