"Un triomphe", d’Eric Neuhoff, est réédité plus de vingt-cinq ans après sa parution. Les années 70 et 80 défilent sous un flot d’alcool dans cet autoportrait narquois.
« Caroline demeurait cependant notre propriété privée, notre “Sam suffit”. Qu’elle nous ait snobé n’avait pas une importance excessive. Nous essaierions de l’oublier, de noyer notre chagrin. Les couvertures de Match rouvriraient les cicatrices. À la longue, nous ne penserions plus à tout cela. Que faire ? Nous décidâmes d’écrire des livres. » Le nous de noblesse qu’Éric Neuhoff s’applique indique le désarroi d’un jeune homme amoureux de la fille de Rainier, et bien meurtri à l’annonce de ses noces avec un vieil imbécile. Plutôt que de continuer à rêver d’une princesse, Neuhoff s’est mis à écrire, ce qui donne, là aussi, des sujets, mais, en plus, des lecteurs.
Les éditeurs devraient s’équiper de 4x4 : ils patinent. Comme ils font du surplace, ils rééditent de vieux livres. Tant mieux, quand, en 1984, on a loupé le premier, on a ainsi droit à un deuxième essai du prince Éric : Un triomphe. Un livre qui, à propos d’Adjani, écrit ce qui va suivre mérite de faire tourner les rotatives comme des moulins à prière. Neuhoff s’adresse à Isabelle : « Scott Fitzgerald parle quelque part de votre regard bleu, mais je n’ai pas réussi à retrouver le passage. Dans Gatsby aussi, il est question de vous, de votre “voix que l’oreille suit dans ses modulations comme si chaque phrase était un arrangement de notes qui ne doit plus jamais être répété”… Ne fichez pas les pieds dans l’existence, elle vous boufferait. » Outre Caroline de Monac’ et Adjani, Neuhoff aime aussi les « hussards », des écrivains garantis pleins d’humour et d’alcool, un groupe constitué en BD, en « bande désespérée », dont Nimier et Blondin sont les rieuses têtes de mort.
Un triomphe parle de littérature, donc d’air du temps. L’un des petits textes dit le plus grand bien de Bernard Frank, ami de Sagan et plus discret des « hussards ». Auteur de sublimes critiques dans le Matin puis le Nouvel Observateur, cet estimable magazine qui s’est privé d’Angelo Rinaldi pour, sous l’autorité du petit jardinier Garcin, mettre sa culture en jachère. Frank est surtout l’auteur d’un roman, les Rats, un livre trop moderne pour qu’un écrivain en imagine encore de semblables. Vieux de vingt-cinq ans, ce petit bouquin est comme une photo oubliée, marque-page d’une époque où le temps avait de l’avenir.