À Monaco, le procès d’un scandale financier qui titille un peu trop les amitiés du prince albert devient celui de la justice du Rocher. Peines fixées à l’avance, arrangements, menaces : un cocktail savoureux.
Surréaliste. Le procès Hobbs Melville, portant sur le plus gros scandale financier qu’a connu Monaco, a tourné au règlement de comptes. Pendant 15 jours, la justice monégasque en a pris pour son grade. Crescendo. D’abord qualifiée de « justice bananière » devant les caméras par Eric Dupont-Moretti, avocat de Jean-Christophe Moroni (l’ex-ami du prince Albert qui a écopé en première instance de 18 mois de prison pour complicité d’escroquerie), elle a été crucifiée dans la salle d’audience de la cour d’appel, elle-même surplombée d’un Christ en croix. Les révélations sont venues du témoignage de Jean-Christophe Hullin, juge d’instruction à Monaco pendant cinq ans, aujourd’hui en poste rue des Italiens au pôle financier de Paris. Un magistrat qui avait instruit plusieurs dossiers de blanchiment de la place, dont le fameux dossier des Corses et du financement de la campagne de Pasqua en 1989. Parti du rocher « dans des conditions exécrables », il dégaine : « Très fréquemment, le procureur général venait me dire quelle peine serait attribuée à quelqu’un ». Exemple : Ted Maher, condamné de prison en décembre 2002 pour avoir allumé l’incendie qui a tué, dans son bunker, le milliardaire Edmond Safra, aurait vu sa peine « fixée à l’avance ». Quant aux magistrats, ils sont accusés d’être adeptes de « l’autocensure permanente ». Certains juges français détachés en Principauté ne voyant Monaco que comme « une villégiature ».
Au milieu du charivari ambiant, Dupont-Moretti lance à ses confrères monégasques qui protestent : « Vous avez la justice que vous méritez ». Et installés confortablement à la mezzanine de la cour d’appel, les magistrats encaissent les coups. La bouche ouverte, les yeux écarquillés. Mais ça n’est pas fini. C’est au tour de la police monégasque de déguster. Hullin se remémore les petites phrases du commissaire de PJ de l’époque, Jean-Yves Gambarini : « Qu’est-ce qu’on fait contre Moroni ? » ; « Le Prince veut qu’on écarte du Prince héréditaire (à savoir Albert) ses mauvaises fréquentations ». Un Gambarini qui ne se laisse pas faire : « On est dans le délire le plus total ! » Ou encore « M. Hullin n’était pas de Monaco. On lui a expliqué l’environnement ». Du genre : « Moroni était commercial dans une agence où travaillait le chef de la camorra locale, Tagliamento ». Ce qui fait bondir Moroni : « il avait un permis de travail ». Et son avocat qui joue la carte de « l’acharnement ». Dans le désordre le plus complet, Hullin constate, avec flegme : « Je suis replongé sept ans en arrière »…
En 2000, badaboum. C’est la débandade pour Hobbs Melville, une société de gestion de portefeuilles qui a pignon sur rue à Monaco. Quelques 450 investisseurs voient leurs 175 millions d’investissements (l’estimation varie selon le dossier d’instruction et les plaintes) disparaître à jamais. La raison de la faillite ? Les dirigeants américains de la société, William Fogwell et sa fille Shelley, sont accusés d’avoir procédé à un belle cavalerie et d’avoir détourné l’argent des clients, déposé sur deux comptes omnibus de la Société financière privée, aujourd’hui accusée de blanchiment aggravé dans l’affaire Lipsky. Condamnés en première instance, les américains risquent d’écoper de cinq ans de prison ferme (la peine requise par le parquet en appel). Quant aux deux autres protagonistes de l’affaire, le courtier Jean-Christophe Moroni, un ancien ami d’Albert de Monaco, et Guillaume Losada, l’ex-amant de Shelley Fogwell, ils se sont vus requérir contre eux la confirmation de leur condamnation à 18 mois de prison fermey
Mais bientôt, de surréaliste, l’audience vire au sordide. Le juge confie que depuis qu’il a donné une interview au Figaro Magazine sur l’affaire où il a notamment traité le procès de première instance de belle « pantalonnade », il est l’objet d’« intimidations ». Pire de « menaces ». Un magistrat en poste à Monaco aurait même débarqué dans son cabinet parisien pour le prévenir qu’il serait « incarcéré (le jour de son témoignage) dans un dossier de corruption ». « Une note a été faite au ministère de la Justice », indique Hullin. Et si la procureure générale Annie Brunet-Fuster indique qu’elle n’est « pas à l’origine d’une enquête », elle demande au juge d’instruction de s’expliquer sur l’un de ses actes. Un courrier qu’il aurait écrit alors qu’il n’était plus saisi du dossier et qui aurait conduit au déblocage du compte de 400 000 dollars de Moroni, déposés dans un établissement du Liechtenstein. « C’était hors procédure », reconnaît le magistrat. « On n’est pas habilité à le faire mais on le fait quand même ? », s’interroge la procureure. « Vous m’attribuez un pouvoir que je n’ai pas. J’ai donné simplement des renseignements sur l’avancement de la procédure », rétorque le juge. « Déballage navrant » pour les têtes de la justice monégasque ou piqûre de rappel après le livre Un juge à Monaco, dans lequel Charles Duchaine racontait son expérience difficile en Principauté, le témoignage du juge Hullin laissera des traces dans le palais de justice. D’ores et déjà, dans les cocktails donnés dans cette principauté d’opérette, on ne parle plus que de ça…