Depuis le 5 août et l’éboulement d’une mine de cuivre, 33 mineurs chiliens sont prisonniers à 700 mètres sous terre. Notre reporter s’est rendue sur place.
A la fin septembre, le printemps arrive au Chili. On l’oublierait presque. On fonce sur la route qui traverse le désert d’Atacama depuis Copiapo jusqu’à la mine de San José où les 33 mineurs les plus célèbres du monde sont toujours bloqués à 700 mètres sous terre. Les médias du monde entier qui scrutent chaque seconde de la vie et de la survie des 33 et de leurs familles en ont fait un reality show planétaire. Au Chili, on connaît chaque mineur, sa vie, sa famille, ses blagues et le nom de son chien. Un formidable élan solidarité, mais aussi une revanche pour tous les prolos chiliens et d’abord les mineurs, figure emblématique de ce cuivre qui fait la richesse du Chili et des multinationales. [1]
Mais sur la route, c’est le printemps qui nous arrête. L’Atacama, est un des déserts les plus arides au monde, mais voilà des fleurs, des tapis de fleurs roses à l’infini, roses et mauves, avec, vues de près, d’étranges feuilles délicates et charnues. Au bout de onze années de sécheresse, il a plu. Et le désert a fleuri pour quelques jours.
« Mina San José fuerza ! » - « Fuerza mieneros ! ». Banderoles et pancartes annoncent le camp « esperanza », le campement bariolé autour de la mine, comme une grosse fête foraine tombée de la lune en plein désert. Sur la montagne, des drapeaux dessinent les visages des 33. Drapeaux, ballons, guirlandes, ex-voto, caméras, familles, tentes, enfants, mineurs, cheval, gardes civiles, camions, antennes, clowns, journalistes, soleil, poussière et sous nos pieds, à 700 mètres les 33 dans la nuit de la terre.
L’entrée de la mine est interdite aux médias. C’est de loin qu’on aperçoit les trois foreuses qui creusent pour remonter les hommes. Pour quand ? Pas avant début novembre, peut-être plus tard. Le sauvetage est une affaire d’Etat et le gouvernement ménage ses effets. Mais pour Pablo Ramirez (29 ans), le chef de la deuxième équipe qui devait, le 5 août, remplacer les 33 pour le travail de nuit, ce sera beaucoup plus tôt : « Dans dix jours, tout au plus ! ». La veille, le 17, le jour du bicentenaire, un premier excavateur, le T-130, est arrivée jusqu’aux mineurs en creusant un conduit de 25 centimètres de diamètres. Une réussite technique qui rassure tout le monde. Mais Pablo rappelle que c’est eux, les autres mineurs qui font ce boulot. C’est écrit sur son badge « Equipo Rescate » (« Equipe de secours »). « Nous creusons jour et nuit pour sauver nos copains. On les appelle les ninos, les enfants ». C’est vrai que tout ça fait inévitablement penser à un accouchement. La terre va remettre au monde ses trente trois enfants.
La prochaine opération consiste a agrandir le conduit jusqu’aux 70 centimètres nécessaires pour faire passer le corps d’un homme. Mais comment se fera le sauvetage ? « D’abord, avant la remontée, deux secouristes vont descendre. Les plus habiles puis les moins costauds passeront en premier. Les gars remonteront un par un dans des capsules. Comme en plongée sous-marine, la remontée se fera par paliers de 100 mètres et durera entre une demie heure et une heure et demie par personne. Chacun portera des lunettes noirs pour ne pas être éblouis pas le soleil. A la sortie, une seule personne de leur famille pourra les embrasser. Puis ils passeront au moins une journée à l’hôpital, en fonction de leur état de santé ».
Le soleil brûle, c’est l’heure du goûter. Les enfants filent vers la grande tente, qui sert de cantine. Najita a trois ans et sa mère s’appelle Angelica. « Angelica Alvarez, je suis la compagne d’Edison Fernando Pena, l’un des 33, le fan d’Elvis Presley. Je tiens une auberge à Copiapo, c’est là que j’ai rencontré Edison. Il m’a fait la cour, c’était infernal. Quand j’ai appris qu’il était vivant, après 17 jours d’incertitude, c’était comme si je revivais, une deuxième naissance ». Et maintenant ? Angelica croque dans un empanadas réchauffé à la braise. « J’ai confiance, Dieu est le chef de chantier ». Elle montre au fond un grand autel fleuri, plein d’ex-voto, de Saints, de Vierges, de Mère Theresa, à côté de la vierge de la Guadalupe et de San Lorenzo, le Saint patron des mineurs.
Pour les familles et pour le Chili tout entier, la survie des mineurs est un miracle, la preuve ils sont 33 comme l’âge du Christ à sa mort ! D’ailleurs Benoît XVI leur a fait parvenir 33 chapelets garantis bénis par lui-même. C’est avec ces chapelets autour du cou que les mineurs, la main sur le cœur, ont chanté tous ensemble l’hymne national, à l’occasion de l’énorme célébration du bicentenaire de l’Indépendance, le 17 septembre.
Si vous êtes français ou Italien le Chili ne va pas beaucoup vous dépayser en matière de président. Sebastian Pinera, le nouveau président chilien est un pur croisement de Sarkozy et de Berlusconi. Certains le surnomment le « Berlusconi du Chili », à cause de son côté bling bling : sa fortune est estimée à 2 milliards de dollars, de ses dents blanches, de ses paupières et de sa bouche refaites. D’autres lui préfèrent le surnom plus modeste de « Playmobil ». Dimanche 19 septembre, à midi, Sebastian Pinera et sa charmante épouse arrivent à San José, accompagnés du ministre des mines, Laurence Golborne, et des deux Isabel Allende. La sénatrice socialiste, fille de l’ancien président Salvador Allende, et l’écrivain réputée, nièce de Salvador.
Pablo nous fait signe d’entrer discrètement dans la baraque des mineurs. De là on verra tout. Devant une bonne cinquantaine de caméras, Pinera déguisé en mineur félicite les courageuses familles puis donne quelques précisions sur la nouvelle perforeuse, arrivée – un hasard sans doute ! – à la mine ce matin. Les familles applaudissent. Mais dans le cabanon, les mineurs-sauveteurs ne sont pas ravis. « Nous sommes des héros de l’ombre. C’est nous qui faisons tout le boulot, et Pinera ne nous a même pas salués. Le Président exploite les mineurs pour remonter sa cote dans les sondages ». Pinera s’intéresse moins aux 34 Mapuches en grève de la faim depuis plus de 70 jours. Ils demandent seulement à ne plus être soumis à la loi anti-terroriste, qui permet à la justice de les emprisonner jusqu’à un an, sans qu’ils aient été jugés.
Autre motif d’agacement, les messages écrits adressés aux mineurs sont contrôlés par des psychologues et des spécialistes de la survie en confinement. Certains messages envoyés ne leurs parviennent pas. Du coup les copains restés en surface ont fabriqué un système parallèle clandestin. Pablo nous sort un portable de sa poche et fait défiler des images. C’est une conversation téléphonique filmée avec ceux d’en bas. « Tu as de la chance Pablo, là haut, tu as des gonzesses ! ». Les deux amis échangent encore quelques blagues potaches. Pablo sourit : « Les journalistes s’intéressent aux femmes et aux enfants, mais il y a aussi toute leur vie autour, et je peux te dire qu’elle est riche ! » Récemment, une centaine de femmes, épouses, ex et maîtresses, sont venues sur le camp pour réclamer les salaires et surtout les indemnités des 33 mineurs.
Il faut dire que les indemnités valent le déplacement. Jugeant le groupe propriétaire de la mine, San Esteban, responsable de l’accident [2], la justice chilienne a bloqué 1,8 million de dollars qu’auraient sinon empochés les directeurs de l’entreprise. Cet argent doit être reversé aux 300 ouvriers de San José. Le milliardaire chilien Leonardo Farkas a, quant à lui, signé des chèques de 7500 euros que chacun des 33 mineurs devrait percevoir à leur sortie. « Farkas est un peu clown, personne ne touchera rien ! », pronostiquent certains.
Des femmes se sont battues sur le camp, pour toucher cet argent. Ça a fait jaser tout le monde… « Je ne vois pas de quoi tu veux parler, il y a une grande misère ici ! Quand les mineurs seront libérés, on ne sait pas ce qu’ils vont devenir », s’énerve subitement Angelica. Pendant ce temps-là, la petite Najita court, grimpe sur les genoux d’une inconnue et dessine à grands traits de stylo Bic son père d’adoption sur un morceau de papier.
Un peu plus tard, on a l’explication. A la sortie des 33, la mine San José va fermer. Plutôt que de faire des travaux de réhabilitation, San Esteban s’est mis en faillite. Les 300 mineurs de San José vont se retrouver au chômage. « C’est un vrai coup de balai ! », s’exclame, furieuse, Isabel Allende. La sénatrice est interrompue par l’hélicoptère de Pinera qui s’en va. La semaine passée, le président du Chili, soucieux de l’avenir des travailleurs de San José, a organisé une foire à l’emploi. Vingt six entreprises ont déployé leur talent sur des stands. Mais l’initiative n’a pas eu un franc succès. « Pinera a tapé à côté. Nous attendons d’avoir reçu nos indemnités de licenciement avant de chercher un nouveau travail. Autrement, le directeur de San Esteban va nous licencier sans indemnités ! »
« Les mineurs auront du mal à retrouver un travail à salaire équivalent, surtout ceux qui ont plus de 50 ans », poursuit la sénatrice.
Car par rapport aux autres ouvriers, les mineurs du cuivre sont assez bien payés. En moyenne, ils perçoivent 450 000 pesos par mois (686 euros) (le salaire d’un instituteur), plus, parfois, une prime de dangerosité, qui s’élève à San José à 150 000 pesos (228 euros). Le salaire minimum est, lui, de 180 000 pesos (274 euros).
« Je ne crois pas que ce soit un bon salaire, si lorsqu’on entre dans la mine, on ne sait pas si on va en sortir vivant. Avant l’éboulement de San José, on le disait, dans la mine, on entendait la terre rugir. Mais les directeurs de l’entreprise n’ont pas réagi », raconte Javier Castillo, le secrétaire du seul syndicat de la compagnie minière San Esteban. Par ailleurs, la mutuelle de santé n’est pas prise en compte et la retraite ne dépasse pas 40 % du salaire. « On devient mineur par nécessité », conclue Pablo.
A tel point que le Don Juan et son collègue Francisco Picon (33 ans) s’apprêtent à chercher du travail ailleurs. Pablo probablement dans les transports, et Francisco pourquoi pas en France, à la Légion étrangère… C’est toujours moins risqué.
Photos : Anaëlle Verzaux
[1] Comme 77 % des mines de cuivre au Chili, San José est une mine privée, en violation de la Constitution en vigueur.
[2] A San José, la cheminée de ventilation, utilisée comme une issue de secours, n’a pas d’échelle de secours, comme l’exige pourtant la réglementation. Et il n’y a qu’une seule rampe d’accès.