Samedi 5 Juillet, une fois n’étant pas coutume, j’ai suivi de bout en bout une émission de Canal Algérie. Au départ, il ne s’agissait que d’un zapping machinal, vaguement inspiré par la curiosité de savoir comment la fête de l’Indépendance serait abordée mais, au final, je suis tombé sur une autre célébration. L’avant-veille, Fodil Megharia, l’ancien stoppeur de Chlef, venait de clore sa carrière en jouant son jubilé. Une rencontre organisée dans la bonne ville de Koléa grâce à l’initiative de Nacer Bouiche, l’ex-avant-centre de la Jeunesse sportive de Kabylie et président de l’Association des anciennes gloires du football algérien.
Ce fut donc une séquence nostalgie non seulement à propos de la carrière d’un footballeur de talent qui fit le bonheur de l’équipe nationale mais aussi parce qu’évoquer le parcours de Megharia c’est replonger dans une période dorée du foot made in dz. Je pense à la finale gagnée de la Coupe d’Afrique des Nations en 1990, dernier rayon de soleil avant une nuit qui dure encore, sans oublier la participation à la Coupe du monde de 1986 et ce superbe match contre le Brésil que l’Algérie n’aurait jamais dû perdre, mais ne refaisons pas l’histoire…
Je ne vais pas vous infliger de nouvelles envolées lyriques sur la beauté du jeu d’attaque dans le football mais j’ai plaisir à me souvenir que Megharia fut à son époque, et malgré son poste de stoppeur, le premier attaquant de son équipe. Jaillissements, jeu de tête, élégance et sobriété : la Tunisie avait Khaled Ben Yahia, l’Algérie a eu Megharia. Présent lui aussi au jubilé, l’auxerrois Guy Roux a eu raison de rappeler que celui qui a joué à Tanger et à Tunis a été, en son temps, l’un des meilleurs défenseurs au monde.
Deux choses au moins m’ont interpellé dans les propos de Megharia sur le plateau. La première, c’est qu’il a utilisé à plusieurs reprises le terme de sacrifice en rappelant, par exemple, les périples épuisants de l’équipe nationale en Afrique sub-saharienne d’où certains, comme Tedj Bensaoula, revenaient parfois gravement malades. Et de rappeler comment les joueurs voyageaient dans un Hercule de l’armée, assis comme des « commandos » prêts à sauter en parachute (certains s’empresseront de relever que c’était peut-être la clé du succès qui fuit le football algérien depuis dix-huit ans).
Megharia a répété le mot sacrifice quand il a évoqué l’impossibilité pour lui de passer professionnel en s’expatriant en Europe ou ailleurs. Certes, dans les années 1980, l’autorisation de sortie pour tous les Algériens avait déjà été supprimée (elle a vite été remplacée par les visas…) mais les sportifs en général et les footballeurs en particuliers devaient, sauf dérogation consentie en haut lieu, attendre l’âge de vingt-neuf ans avant d’aller tenter leur chance à l’étranger. Officiellement, il s’agissait pour l’Algérie - encore socialiste (hou, le vilain mot) - de veiller à conserver ses ressources et à empêcher que sa richesse sportive ne soit pillée par de méchants capitalistes.
En 1982, après la geste du « mundial » espagnol, nombre de joueurs algériens ont été approchés par de grands clubs. De Madjer à Belloumi en passant par Assad, tous ou presque ont été sollicités mais la Fédération de football et le ministère des Sports veillaient au grain. Pas de bon de sortie et, du coup, amertume pour les uns et déprime pour les autres. On objectera que cela a permis au football algérien de tenir le haut du pavé durant une bonne décennie mais l’argument est fallacieux. Sans les joueurs opérant déjà à l’étranger, les « Fenecs » ne se seraient jamais qualifiés pour l’Espagne et le Mexique. Bien au contraire, les « pros », comme on les appelait à l’époque par opposition aux « amateurs », ont beaucoup apporté à chaque fois qu’ils ont été sollicités. Nul ne sait si la carrière de Megharia aurait été plus riche s’il avait pu quitter l’Algérie à vingt-cinq ans ou même plus tôt. Mais à regarder la trajectoire d’un Madjer ou même d’un Assad ou d’un Saïb, on se dit qu’il l’aurait certainement terminée avec un palmarès plus étoffé. Malheureusement, des censeurs veillaient, incontournables parasites qui ont toujours su envelopper leur mesquinerie bureaucratique et leur jalousie maladive par quelques couches très vite craquelées de nationalisme à deux sous.
Soyons clairs, il ne s’agit pas de faire passer ici, et de manière plus ou moins avouée, un plaidoyer justifiant l’expatriation, qu’il s’agisse de celle d’un footballeur ou de tout autre personne. Il reste que le cas Megharia - comme celui de bien d’autres joueurs empêchés de s’épanouir - illustre bien le caractère insupportable d’un système qui a toujours prétendu faire le bonheur des Algériens contre leur gré. Il faut d’ailleurs rappeler que ce joueur a accepté de faire bon cœur contre mauvaise fortune en continuant à donner le meilleur sur les terrains et cela justifie largement son emploi du mot sacrifice.
L’autre moment intéressant de cette émission a eu lieu quand Megharia a expliqué, avec prudence et doigté - « nous sommes en démocratie », a-t-il insisté -, que son jubilé, financé par des sponsors privés et par le journal Echorouk, n’avait bénéficié ni du soutien matériel de la Fédération de football ni de celui du ministère des Sports. La chose a beau être peu étonnante, il est difficile de s’y faire. Et du coup, l’on se demande pourquoi autant d’anciens bons joueurs algériens sont aujourd’hui plongés dans l’anonymat, loin de l’exercice de la moindre responsabilité sportive.
Le football algérien est sinistré et le temps où des équipes subsahariennes entraient sur le terrain du stade du 5 Juillet en tremblant est révolu. Dans cette ambiance délétère où l’EN n’arrive même plus à se qualifier pour la coupe d’Afrique des Nations (ne parlons pas de son classement FIFA), il serait peut-être temps de faire appel aux vieilles gloires ne serait-ce qu’en terme d’encadrement et de formation. La génération 1979-1990, n’est pas née par hasard. Elle a constitué l’aboutissement d’un long travail de prospection et d’organisation. Si l’Algérie veut se qualifier pour la Coupe du monde 2030, il est temps de s’y mettre. Pour le foot, comme pour le reste d’ailleurs.
Quand donc un ’journaliste’ algérien va-t-il se mettre à écrire sur l’Algérie sans se croire plus intelligent que les autres algériens ? Autre question : quand les journaux français vont-ils commencer à utiliser ces ’journalistes’ algériens sur d’autres sujets que ceux ayant trait à l’Algérie ? Juste pour voir ce qu’il peuvent faire sortir de leur cervelle ? Quand ? La semaine des 4 jeudis ?
Mohamed