M6 a fait du conflit du Sahara Occidental une priorité absolue du début de son règne. Mais on peine à comprendre comment il ose compter sur les deux seuls Sahraouis qui ont droit à la parole dans la gestion marocaine du dossier : messieurs Ould Rachid et Hadrami.
Même sur un dossier aussi sensible pour son avenir que celui du Sahara Occidental [1], le régime marocain ne parvient pas à faire taire ses lignes de fracture internes qui l’affaiblissent et lui donnent l’image d’un royaume qui avance et qui recule. La haine réciproque qui anime les deux Sahraouis de service de sa Majesté M6, Omar Hadrami et Khalli Henna Ould Rachid, en est l’illustration caricaturale. Non seulement les deux hommes se détestent cordialement depuis des lustres mais en plus ils ont une vision radicalement divergente de la gestion que le Maroc devrait avoir du dossier du Sahara, surtout en interne. Et dire que ce sont les deux seuls Sahraouis qui ont le droit de mettre leur grain de sel dans ledit du dossier !
Il faut dire que les deux hommes ont des parcours bien distincts qui expliquent vraisemblablement que l’un (Ould Rachid) défende une gestion politique du dossier et l’autre (Hadrami) une vision exclusivement sécuritaire qui a déjà tant nuit au Maroc. Ainsi, comme Sa Majesté M6 l’a décidé, Khalli Henna Ould Rachid a été catapulté président du fumeux Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (CORCAS) chargé d’unir tous les Sahraouis (y compris ceux du Polisario) sous la bannière marocaine. Sa nomination n’a pas fait l’unanimité dans les rangs marocains et a fait plier le Front Polisario de rire. Il faut dire qu’Ould Rachid est peut-être un rusé homme d’affaires mais une vraie nullité en politique. Dans les années 70, alors que le Sahara est encore sous domination espagnole, Franco le met en tête du PUNS, le Parti d’union national sahraoui, avec l’idée de gérer la zone sous un vrai-faux statut d’autonomie. Et un jour de mai 1975, alors qu’une mission des Nations Unies débarque à Laayoune, la capitale du Sahara Occidental, voilà que les populations sahraouies censées être embrigadées sous la bannière du PUNS se mettent à crier au nez et à la barbe des Espagnols leur soudaine adhésion au Front Polisario et leur loyauté envers ses idéaux d’indépendance ! Le pauvre Ould Rachid en tomba à la renverse avant de rejoindre dare-dare les cieux marocains.
L’autre Sahraoui de sa Majesté est, lui, franchement in-fré-qu-en-ta-ble. Le seul nom d’Omar Hadrami suffit à faire hurler de rage le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), chargé de visiter les prisonniers de guerre de par le monde. Certains de ses membres ne se privent d’ailleurs pas de dire haut et fort que sa place est devant un tribunal pénal international. Comme l’attestent de nombreux et sordides témoignages, Hadrami a littéralement supplicié des opposants sahraouis au Polisario puis des prisonniers de guerre marocains lorsqu’il officiait à la tête des services militaires du Polisario et avant de rallier le Maroc à la fin des années 80.
Sous-évaluée, son influence sur la façon dont le royaume gère le dossier du Sahara sur la scène intérieure pèse lourd. Et pour cause ! L’homme est un grand ami de Fouad Ali El Himma, proche parmi les proches de M6, ministre délégué à l’Intérieur et homme des dossiers chauds du Maroc. Lorsque Omar Hadrami rejoint le royaume, Driss Basri, alors omnipuissant ministre de l’Intérieur de Hassan II et acteur clé du dossier du Sahara Occidental, ne le porte guère dans son cœur. Leurs relations ne s’amélioreront d’ailleurs jamais. Mais, compte tenu de ce rallié de poids à la cause marocaine, il est bien obligé de lui fournir une situation honorifique. Hadrami sera gouverneur de la région de Kalaat Sraghna. En homme de renseignements averti et rompu aux techniques d’approche, Hadrami découvre vite que Fouad Ali El Himma qui peinait comme chargé du personnel au ministère de l’Intérieur a fait sa scolarité avec le prince héritier, futur Mohammed VI. Il se rapproche alors stratégiquement d’El Himma et le reçoit avec tous les honneurs dans la région qu’il dirige. Une fois au pouvoir et après avoir limogé Driss Basri qu’il exècre, le jeune roi Mohammed VI appelle à ses côtés pour gérer le pays ses anciens compagnons d’études dont, bien sûr, El Himma. Ce dernier saura se souvenir des services que lui a rendus Omar Hadrami… Dans un geste chargé de symbolique makhzénienne, l’ex-tortionnaire sera nommé wali (préfet) de la ville de Settat, la propre ville de Driss Basri ! Et nous, à défaut de comprendre le Makhzen marocain, on sait maintenant pourquoi le royaume est encore abonné aux rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch en ce qui concerne certains de ses agissements au Sahara Occidental.
[1] Pour les néophytes, le conflit du Sahara Occidental, vieux de trente ans, empoisonne les relations déjà houleuses entre le Maroc et l’Algérie. Cette dernière soutient en effet financièrement et politiquement le Front Polisario qui réclame l’indépendance du Sahara occidental. Le Maroc estime, lui, qu’il s’agit d’un territoire marocain et a érigé ce combat en cause nationale. Gare à celles et ceux qui viendraient à douter de sa légitimité ! Il peut en outre compter sur l’appui inconditionnel de la France pour faire valoir ses positions à l’ONU. Et ça fait trente ans que ça dure…