Le trafic est totalement interrompu pour une durée indéterminée. Brave Gaulois, serre les fesses et ouvre l’œil, car c’est la guerre. Et le chef a tant besoin de toi.
De grâce, brave Gaulois, ne laisse pas ton sac glisser de ton épaule, tomber de ta main sur le quai. Que les distraits rassemblent leurs affaires avant de quitter la gare, que les têtes en l’air n’égarent plus leurs bagages sous les banquettes, que les écervelés restent à la maison. Car nous vivons sous le coup d’une menace terroriste majeure, tous les clignotants sont au rouge, faut faire gaffe, déconnez pas les gars. Et le péquin moyen, résigné lève-tôt des banlieues mornes, attend, tassé dans le ventre plein des bétaillères express régionales paralysées, que les équipes de déminage aient neutralisé ces colis hautement suspects que sèment les étourdis. Le trafic est totalement interrompu pour une durée indéterminée, merci de patienter.
L’armée dans les couloirs du métro, la police en ligne derrière les tourniquets et le ministre au teint frais sous la Tour Eiffel. Mobilisation générale. Ouvrez l’œil, braves Gaulois, combattants de l’invasion barbare, pourfendeurs de niqab : la menace est là, avant-dernière sur l’échelle de gravité des risques. On les a vus : les jeunes volontaires partis s’entraîner en Afghanistan sont de retour, féroces et musclés, prêts à se farcir la douce patrie au coq. Tous les jours, des probables projets d’attentats éventuels sont étouffés dans l’œuf par nos limiers nationaux. Les affaires de gros sous pas nettes, les ministres sans scrupules, les destructions de campements, les expulsions ne furent que divertissements estivaux. Aujourd’hui, on ne plaisante plus. La peur, c’est du sérieux.
L’ennemi, ce monstre protéiforme aux reflets verts, te fixe de ses yeux de feu. Tremble, brave Gaulois, et soupçonne ton voisin à la gueule de métèque. La patrie doit être un camp retranché, un rempart contre ceux qui te veulent du mal : Al Qaeda, Roms, gens du voyage, jeunes des cités, droit-de-l’hommistes, bien-pensants de tous poils et de toutes nations. Mais le chef tient bon, le menton levé, le visage dur. Seul contre tous les méchants, il reste calme, dit la vérité aux Français, se sacrifie pour toi. A toi, maintenant, de l’aider dans son combat : vérifie bien qu’il n’y a rien sous ton lit avant de te coucher. Brave Gaulois, la fête est finie, c’est la guerre. Ne sors plus te promener, insouciant, dans les rues ensoleillées. Le ciel d’azur est trompeur en automne : les complots sanguinaires se trament là où tu t’y attends le moins. Ce serait bête de ne pas profiter de ta misérable retraite, expédié trop tôt dans l’autre monde par un engin explosif concocté par l’ennemi. Alors, surtout, ne vas pas manifester par millions dans les avenues de ta ville, ce jeudi. Ne vas pas risquer ta vie, brave Gaulois manipulé par des syndicalistes irresponsables, dans des défilés aussi braillards qu’inutiles. Jeudi, reste prudemment devant Secret Story. Le chef a tant besoin de toi.