Un homme et son fils errent sans fin dans un univers post-apocalyptique, peuplé de cannibales. Une œuvre forte, dépressive, d’après le grand roman de Cormac McCarthy.
- T’avais lu le bouquin de Cormac McCarthy, La Route ?
Je l’ai dévoré. Une fois ouvert, je n’ai pu décrocher et je l’ai terminé, pantelant, quatre heures plus tard.
Le pitch ?
C’est l’histoire d’un père et de son fils qui tentent de survivre une journée de plus dans un univers post-apocalyptique. Pas d’explication, pas d’interprétation, ni de psychologie. La fin du monde et de l’humanité réécrite par Hemingway et Primo Levi. Un grand livre, un des meilleurs de Big Cormac, l’auteur de Méridien de sang et de No Country for old Men.
On ne peut donc être que déçu par l’adaptation ciné.
Oui. Et non.
Tu peux être moins clair ?
Oui, car si c’est difficile d’adapter un chef-d’œuvre, c’était quasiment impossible de réussir La Route, notamment parce que McCarthy ne décrit JAMAIS ses deux personnages, L’Homme et L’Enfant, deux survivants au look de SDF qui poussent leur chariot sur des autoroutes défoncées.
Donc c’est raté.
Non. Au début, je t’avoue que j’ai eu peur, d’autant plus que la rumeur annonçait que le film, terminé depuis longtemps, avait été tripatouillé par les producteurs, effrayés par la noirceur du propos. Le réalisateur, l’Australien John Hillcoat ("The Proposition"), se fourvoie avec une voix-off explicative, quelques flashbacks ensoleillés, et met un peu trop l’accent sur le cannibalisme de certains survivants, des rednecks violeurs et anthropophages. Mais il se ressaisit très vite. Au lieu de tourner "Mad Max 12", il refuse le gore, le spectaculaire, l’esbroufe et signe un film très humain sur la fin de l’humanité, une adaptation modeste, sobre, quasi contemplative du roman.
Explique.
La fin du bouquin était sublime, de la poésie en mouvement : des truites dans une rivière.
Raconte pas la fin du film, quand même.
T’inquiète. Le générique déboule sur fond noir, les spectateurs se lèvent et pourtant, s’ils dressaient l’oreille, ils entendraient tout ce qui manquait pendant le film : des cris d’enfants, des voix chaudes, l’humanité qui parle et qui vibre. C’est simplement renversant.
Quoi d’autre ?
Le décor, brûlé, dévasté, mort, est un des personnages principaux du film. Pour ces paysages, Hillcoat n’a filmé que des endroits dévastés par l’homme. Une autoroute abandonnée, des mines de charbon désaffectées en Pennsylvanie, des régions touchées par l’ouragan Katrina… Rien à voir avec 2012 et ses décors toc en images de synthèse, c’est plutôt la mort en direct, apocalypse maintenant.
Apocalypse now, donc. Monsieur fait de l’humour. Et Viggo Mortensen ?
A Hollywood, tout le monde voulait le rôle. C’est Viggo qui a emporté le morceau et c’est tant mieux. C’est un cadavre qui continue de marcher, un corps sec, l’âme meurtrie, le visage émacié. Et quand tu découvres les yeux de Viggo quand il regarde son fils, quand il lui met son revolver sur la tempe, quand il se débarrasse de son alliance au bord du précipice ou quand il contemple la mer, tu pleures.
Conclusion ?
Hillcoat filme à hauteur d’hommes. Son film est d’une beauté convulsive et insoutenable. Comme le livre.
La Route de John Hillcoat avec Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Robert Duvall, Charlize Theron. En salles depuis le 2 décembre.
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