Au terme de la trilogie God of War, le blockbuster épique et barbare prend conscience de sa vanité.
La série des « God of war » développé par le studio californien Sony Santa Monica compte parmi les franchises phares du jeu vidéo. Depuis le succès phénoménal et mérité du premier épisode, sorti en 2005 sur Playstation 2, chaque épisode de la série est devenu ce qu’on appelle dans le jargon de l’industrie un system-seller, c’est-à-dire un titre tellement attendu par les joueurs qu’il peut justifier à lui seul l’achat de la console.
Quant à Kratos, le Spartiate sanguinaire héros de la série, il a rejoint le panthéon des grands personnages du jeu vidéo aux côtés de Mario, Link, Lara Croft et Solid Snake Pour ce troisième épisode qui vient clore la trilogie commencée sur les consoles de la génération précédente, l’objectif du studio Santa Monica était double : donner un final digne de ce nom à la série et profiter de son caractère épique et spectaculaire pour faire du jeu une vitrine des capacités graphiques et techniques de la Playstation 3.
Sur le plan technique comme sur celui du game design, God of War 3 est un jeu difficile à prendre en défaut. La modélisation des personnages et des ennemis est somptueuse, chaque personnage est parfaitement animé, les combats sont à la fois techniques, jouissifs et brutaux et les fameux « coups de grâce » emblématiques de la série répondent à l’appel, encore plus sadiques et sanglants que jamais. Sans parler des décors monumentaux et des affrontements dantesques contre des dieux et des titans qui constituent autant de morceaux de bravoure démesurés.
Depuis le début, la série des « God of War » doit son succès à sa recherche permanente de l’hyperbole ainsi que du massacre le plus spectaculaire possible et le troisième épisode de la série met toutes les ressources techniques de la Playstation 3 le savoir faire du studio Santa Monica au service de ce but.
Le premier « God of War » avait su faire passer la brutalité du beat’em all 2D à la 3D et avait eu l’intelligence d’ancrer son action dans un univers relativement peu exploré et pourtant riche du point de vue du background : celui de la Grèce antique et mythologique.
Le troisième opus, comme le deuxième en son temps, ne change pas une recette qui fonctionne parfaitement et n’apporte que des changements mineurs en termes de gameplay et de palette d’actions.
Après avoir terminé les trois « God of War », vous aurez à peu près massacré tout le panthéon et le bestiaire de la mythologie grecque dans tous les lieux qu’elle recense mais l’expérience de jeu en elle-même sera restée quasiment identique à chaque fois.
Du pur point de vue du game design, « God of War » appartient à l’école occidentale du beat em up 3D, plus direct et brutal, en opposition avec l’école japonaise incarnée par la série « Devil May Cry » et plus récemment « Bayonetta », qui fait du combat quelque chose de plus gracieux, proche du ballet avec une approche beaucoup plus précieuse et maniérée du point de vue esthétique. Il appartient à chaque joueur de trancher en fonction de ses préférences stylistiques néanmoins, on peut reprocher à « God of War » son conservatisme car la répétitivité qu’il induit finit par nous interroger sur le sens même de l’expérience offerte par la série.
Est-ce parce qu’il s’agit d’un troisième épisode qui reprend tel quel les recettes du premier ? Ou parce que cinq années se sont écoulées et qu’entre temps, le jeu vidéo a changé et que j’ai grandi ?
Le fait qu’après avoir coupé en deux mon millième soldat zombie, étripé mon quinzième centaure et énucléé mon centième cyclope, je me suis surpris à ressentir une profonde lassitude, à me demander pourquoi j’étais en train de jouer. Quel plaisir pouvais-je bien prendre à massacrer des hordes d’ennemis pour un but aussi futile qu’accorder à un Spartiate brutal, qui ferait passer Schwarzenegger pour un modèle d’éloquence et de finesse, une vengeance en tous points absurde ? Pourquoi appuyer sur ce bouton et massacrer tous ces ennemis ? En quoi cette expérience est-elle signifiante pour moi en tant que joueur et personne ?
Le studio Santa Monica a dépensé 44 millions de dollars pour faire ce jeu et bien qu’il soit techniquement irréprochable, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il lui manque l’essentiel : le sens donné à l’expérience interactive.
Il ne faudrait pas croire que c’est de manière gratuite que j’évoque mes états d’âme pour chroniquer ce jeu car ces questions, les créateurs de « God of War », se les sont manifestement posées. Impossible d’en dire trop mais la fin du jeu pose sans ambigüité et avec une surprenante lucidité la question du sens de la violence déchaînée par la trilogie.
Reprenant un procédé déjà utilisé par Kojima dans MGS 3, le jeu met le joueur face à cinq années de carnage et lui en montre la futilité. La dernière interaction est saisissante : Kratos frappe de manière répétée le crâne du boss final via les impulsions données par le joueur tandis que l’écran se remplit de sang jusqu’à s’afficher totalement rouge, ne laissant filtrer que le bruit mat des poings de Kratos défonçant le crâne de sa victime. Pour arrêter la scène le joueur doit lâcher le bouton et arrêter de frapper sinon celle-ci se poursuit indéfiniment, empêchant d’avancer… et de terminer le jeu.
Enfin et comme pour accentuer cette inattendue prise de conscience, la fin de « God of War 3 » tresse un parallèle, là encore inattendu, entre la vengeance aveugle et vaine de Kratos et celle de l’Amérique traumatisée par le 11-Septembre qui sema le chaos dans tout le Moyen-Orient sous prétexte de trouver des armes de destruction massive n’ayant jamais existé.
Si même un blockbuster vidéoludique tel que « God of War 3 » manifeste une prise de conscience vis-à-vis de la futilité de l’expérience qu’il propose pour un public autre que celui des adolescents décérébrés, c’est que les choses sont véritablement en train de changer dans l’industrie du jeu vidéo.
Pour que ce changement se produise, il faut que la question du sens de l’expérience proposée devienne aussi importante, si ce n’est plus, que celle de la technique ou des genres. De nombreux pionniers, que ce soit dans des petites structures (Tale of Tales, 2D Boy) ou des plus grosses (Kojima Productions) se sont déjà engagés dans cette voie. Le reste de l’industrie doit avoir le courage de les suivre.
God of War 3
Développé par Sony Santa Monica Studio et édité par Sony America
Disponible en exclusivité sur Playstation 3
Prix public : 70€ environ
C’est pour vous si vous avez aimé : "God of War", "Dante’s Inferno", "300" (film et BD)
Retrouvez toutes les chroniques jeux vidéo de Camille Grandjean sur Bakchich.info
GOW a tous points de vue est une véritable expérience videoludique et j’apprécie que Bakchich ait reconnu le second degré inhérent a la franchise, voici un des ses effets secondaires :
http://www.gameblog.fr//blogs/JulienC/p_4334_god-of-war-iii-la-sexy-parodie-en-video
Qui a dit culte ?
Encore une fois très bon article. Mais donner du sens au jeu vidéo à travers un Beat’em all, ce n’est pas gagné !! Cette lassitude que vous évoquez, ce questionnement qui vous chatouille les neurones est fort légitime face à un style de jeu qui se veut linéaire et répétitif. Mais on pourrait ressentir ces mêmes désagréménts en s’adonnant à n’importe quel jeu. Car le jeu vidéo change sur la forme mais qu’en est il du fond ? Les différentes catégories (FPS, STR RPG,…) reposent sur les mêmes principes éculés.
FPS : avancer, éliminer les obstacles, trouver son chemin.(fan de fps, je ne vois pourtant pas trop l’évolution par rapport au jeu du "tir aux pigeons" de la fête foraine…) RPG : choisir un personnage et le faire évoluer dans un monde ouvert en accumulant des points d’expérience GESTION : Trouver et maintenir l’équilibre entre les différents facteurs intervenants.
C’est très simplifié mais justement, cette simplicité résume les fondamentaux du divertissement vidéoludique. Seul le background s’est enrichi grâce à la technologie. Certains croisements de genre ont été tentés avec plus ou moins de succès (le récent Borderlands par exemple saupoudre un FPS musclé d’éléments RPG avec brio) C’est surement à cause de ce manque d’innovation intrinsèque que le jeu vidéo n’est pas reconnu comme un acteur du développement de l’intelligence par les autres média mais au contraire comme un moyen supplémentaire d’abrutissement.
J’ai lu votre article sur Heavy rain qui tente justement de faire évoluer la conception même du jeu vidéo. Il faut saluer la tentative. Malheureusement, les lois du marché ont décidé de priver les gamers ne possédant pas de PS3 de cette nouvelle expérience de jeu. Dommage… (je n’ai pas de PS3 !!)
Raju, vous dites "Seul le background s’est enrichi grâce à la technologie", mais j’ai peur qu’il y ait confusion entre le le fait que la technologie nous apporte de "plus belles images" et le fait qu’elle a pu permettre aux concepteurs d’approfondir leur background… Parce que si on veut parler d’enrichissement, c’est plus au niveau du scénario et de la profondeur culturelle que par la qualité des images. De plus, l’évolution doit plus se faire attendre du côté des concepteurs que des possibilités technologiques. Nous savons que nous sommes maintenant capables d’inclure un background vraiment travaillé grâce à la capacité des supports, mais cela ne se fait pas sans une réelle volonté des concepteurs. Je ne pense pas que la 3D pourra aider à quelque chose (à part pour l’utilisation des images…)
Par contre, je suis entièrement d’accord par rapport au fait que les concepteurs se basent sur des concepts bien connus pour ne changer que quelques variantes. Cela met en avant l’idée de création, c’est-à-dire que nous donnons forme à ce qui n’a jamais été, que nous effectuons une sorte de rupture, par conséquent. C’est le même problème dans toute forme d’art : nous devons connaître les techniques des anciens et tout ce qui a formé la culture de l’art dans lequel nous nous impliquons ; mais pour ensuite créer quelque chose qui dépasse toute cette culture, même si ça doit s’appuyer dessus. Cela se rapproche de la distinction entre s’inspirer de quelqu’un et copier quelqu’un, reproduire sa technique sans travail sur le fond…