Bayonetta, l’alliance incarnée des fantasmes d’ados et de gamers dans un jeu vidéo exubérant et jouissif.
Vous êtes Bayonetta. Taille 1m70 + vingt centimètres de talons. Mensurations : 90-60-90. Vous portez une combinaison de latex accessoirisée néo-gothique qui moule vos formes parfaites. Vous avez deux flingues dans la main et deux autres accrochés aux talons.
Autour de vous, tout tourne. Vous faites pivoter la caméra et réalisez que vous marchez sur la façade d’une horloge façon Big Ben qui dégringole d’une falaise à une vitesse vertigineuse. Des créatures surgissent et vous attaquent : on dirait des anges. Vous pressez les boutons de la manette : Bayonetta exécute un poirier en grand écart et fait cracher les flingues de ses chaussures tout en tournant sur elle-même. Deux secondes plus tard, elle traverse l’air et inflige un combo dévastateur qui explose un groupe d’ennemis. La pleine lune apparaît dans le ciel. L’horloge s’écrase au sol tandis que vous traversez les cieux à Mach 3 en prenant appui sur des rochers en chute libre. Atterrissage. Bayonetta sort une sucette rose qu’elle lèche distraitement et décoche un clin d’œil complice à la caméra. Bienvenue dans son univers.
Une nouvelle référence du jeu d’action
Avec "Bayonetta", l’ambition de Platinum Studio et du réalisateur du jeu Hideki Kamika, concepteur de génie derrière des titres aussi cultes et brillants que "Resident Evil" , "Viewtiful Joe" ou encore "Okami", était claire : livrer « un électrochoc visuel et auditif » et dépasser "Devil May Cry", dont le premier opus déjà réalisé par Kamika avait crée nouveau standard du beat’em’up (jeu de castagne) sur les consoles de la génération précédente.
Je savais que le studio Platinum Games -monté par des anciens de Clover Studio, liquidé après l’échec du sublime "Okami"- était capable de grandes choses mais pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce que Bayonetta soit aussi jouissif, excessif et démesuré. C’est simple : "Bayonetta" s’impose comme la nouvelle référence des jeux d’action et comme l’apothéose du genre pour tous les joueurs ayant grandi et joué dans les années 80-90.
Quand vous étiez jeune gamer, vous vous souvenez peut être avoir eu des conversations avec vos amis sur le jeu de vos rêves du genre : « Et là, il y aurait un dragon à deux têtes de dix mètres de haut qui ferait exploser le château et moi, je surferais sur un morceau de rempart avec ma moto jusqu’à sa tête et là je me transformerai en monstre géant pour le tuer. » Eh bien, dans Bayonetta, vous pouvez littéralement faire ça.
Chaque minute passée dans le jeu vous gratifie de la transposition à l’écran d’un de vos fantasmes de joueur et vous avez à peine le temps de ramasser votre mâchoire que le jeu vous assène un nouveau choc visuel. Soyons clair, le jeu en se contente pas d’en mettre plein la vue. Derrière le spectaculaire et la frénésie de l’action qui frôle toujours le chaos total sans jamais y sombrer, "Bayonetta" dissimule un gameplay et un sens du rythme réglés comme une horloge suisse.
Le design des niveaux est toujours inspiré ; les situations d’affrontement sont toujours renouvelées soit par l’environnement, soit par l’apparition de nouveaux ennemis ; la palette des coups est accessible pour le novice mais offre une effroyable profondeur pour le joueur hardcore et le jeu utilise plates-formes, courses, énigmes et un peu d’exploration pour insuffler une variété bienvenue dans les niveaux et en faire un peu plus qu’une simple succession de bastons. De ce point de vue, Bayonetta est une œuvre conçue par des artistes au sommet de leur art.
Mais plus important que tout, Bayonetta parle le langage du jeu vidéo. Ses créateurs ont parfaitement compris ce que le jeu vidéo peut apporter en plus par rapport à toutes les autres formes de divertissement et ne se privent pour exploiter toutes les folles possibilités du médium. La caméra virevolte, affranchie de toutes les lois de la physique ; les affrontements sont des ballets surréalistes de corps bondissant au mépris de toute limite humaine et les espaces de jeu se déploient dans toutes les dimensions de l’espace 3D (sol, plafond, mur).
Pour résumer : "Bayonetta" assume. En premier lieu dans le design de l’héroïne elle-même qui incarne à la fois le fantasme ultime du geek tout en en constituant la critique. Bayonetta possède une conscience aigüe de son apparence physique et n’hésite pas à se moquer ouvertement de ceux que cette apparence pourrait totalement subjuguer, qu’il s’agisse du joueur ou de ses adversaires.
"Bayonetta" va encore plus loin à travers toute une filiation vidéoludique qu’il cite de manière plus ou moins visible en intégrant de nombreux éléments de jeu tirés essentiellement de grands classiques SEGA (dont un épuisant hommage à "Space Harrier" et "Afterburner").
Je l’ai dit, "Bayonetta" trouve sa source dans un genre qui remonte aux années 90 voire 80 et dont il constitue le pinacle : un jeu vidéo conçu comme un défouloir avec le fun et le plaisir immédiat comme objectifs et les jeunes mâles avide de sensations fortes comme cible. Je crois qu’il sera difficile d’aller plus loin que "Bayonetta" dans ce registre d’autant plus que le jeu prend soin de refermer la boucle sur lui même via son ironie et sa distanciation.
Mais si on regarde Bayonetta d’un œil neutre, on constate tout ce talent, toute cette énergie, tout ce travail de création ont été utilisés in fine pour créer une œuvre qui repose essentiellement sur une nana qui file des coups de tatane survitaminés à des monstres pendant des heures avec une histoire sans queue ni tête. Comme un film de Steven Seagal mais en mieux.
Alors la vraie question, c’est que faire du jeu vidéo et des espaces artistiques qu’il a ouvert sans oser les explorer ? Doit-il se contenter de satisfaire des fantasmes adolescents ou peut-il s’ouvrir à des émotions et des problématiques plus adultes ? Avec "Bayonetta", le jeu vidéo vient de terminer sa puberté et peut désormais s’avancer sur le chemin de l’âge adulte. Prochain arrêt : "Heavy Rain" ?
Bayonetta
Développé par Platinum Games et édité par SEGA
Prix public : 70€ environ
Disponible sur Playstation 3 et Xbox 360
C’est pour vous si vous avez aimé : God of War, Devil May Cry, Ninja Gaiden
Je pense au contraire que nous sommes en plein dans l’adolescence du jeux vidéo. Une période de la vie ou, pour se sentir exister on a besoin de la reconnaissance des autres et des adultes en particulier. L’irrépressible tentation d’adhérer à un groupe pour se conformer à ses codes et finalement de perdre son identité au profit de la sécurité de l’opinion générale. Et c’est précisément ce qui se passe dans le jeu vidéo "console et PC", on a une perte dans l’expérimentation au profit de l’utilisation systématique des mêmes recettes, les jeux de tirs en visions objective en sont le parfait exemple. Comme les adolescents, ce qui est devenu l’industrie "vidéo-ludique" délaisse son imaginaire propre et se perd dans une puérile volonté d’adopter quasi-systématiquement un langage "adulte". En définitive, le jeux-vidéo "mainstream" singe les vieux médias (cinéma, télévision) aux détriment de son propre langage et de sa personnalité.
Évidement, vous pouvez toujours me trouver une cohorte de contre-exemples et heureusement, car le jeu reste encore mon passe-temps favori et la passion de toute ma vie ! Cependant avec la course aux performances je craint que ça ne soit une tendance lourde.