C’est à peine si un ou deux journaux ou sites en ont signalé l’ouverture et, à ce jour, aucun compte-rendu n’est venu en relater les travaux. Pourtant, sous l’égide de l’Institut international de l’eau de Stockholm, deux mille cinq cents experts se sont réunis dans cette ville du 17 au 23 août pour s’interroger sur les questions liées à l’eau et aux équipements sanitaires.
Du peu qui a été dit au moment de l’ouverture de cette assemblée, mais selon des… sources plutôt concordantes, on apprend, d’une part, qu’un habitant sur cinq de la planète est dépourvu d’eau potable à son domicile et que, d’autre part, 40 % de ses habitants ne disposent pas d’équipements sanitaires. Un habitant sur cinq d’une planète qui en compte six milliards huit cents millions, cela signifie qu’un milliard trois cent soixante millions de personnes sont privées d’une eau accessible et qui peut être consommée sans danger, les deux critères pouvant se cumuler.
Ces chiffres épouvantables rappellent – devraient rappeler – que l’eau est aussi nécessaire à la vie que l’oxygène. Imaginerait-on que l’oxygène fût « géré » par des mains privées avec les spéculations qui s’ensuivraient comme on le voit avec d’autres ressources naturelles ou cultivées (pétrole, cuivre, blé…) ? L’oxygène coté sur les marchés internationaux, à Pékin, à Tokyo, à Paris ou à New York ? un Dow Jones, un CAC 40, un Nikkei pour l’air que nous respirons ? C’est bien ce qui se passe avec l’eau et les sociétés qui en assurent l’exploitation. Exploitation… le mot sonne mal.
Cette nécessité de l’eau, on la constate, fût-ce avec regret, dans la culture dite hors sol (récent mot savant : hydroponie). Pour produire des végétaux à la chair et au goût incertains, sinon infects ou inexistants, même en pleine saison, comme les tomates ou les fraises. Mais bien d’autres végétaux proviennent de ce procédé : les concombres, les courgettes, les brocolis ; en fait tous si l’on n’y prend garde. Même sans doute les légumes qui se développent sous terre, oignons, aulx, pommes de terre ou endives.
Les « hydroponistes » n’ont besoin ni de terre, ni de soleil. Mais ils ne peuvent se passer d’eau. La terre est remplacée par un « substrat neutre » dans lequel sont injectées ( !) les « substances » (re- !) dont le végétal a besoin pour sa croissance. Quant au soleil, la lumière électrique le remplace s’il le faut.
Plus grave, beaucoup plus grave, le fait que nombre de conflits armés soient en réalité des guerres de l’eau, des guerres pour l’eau, afin d’y avoir accès en quantité suffisante. Le trio Turquie-Irak-Syrie a su jusqu’à présent éviter les affrontements malgré la « copropriété » de l’Euphrate et du Tigre par ces pays. On ne peut en dire autant des Israéliens et des Palestiniens, les premiers disposant de trois à quatre fois plus d’eau que les seconds, chiffres non contestés.
Ce sinistre constat fait remonter de la mémoire un texte de Marcel Aymé (1902-1967) intitulé La Carte dans le recueil de nouvelles Le Passe-Muraille (1943). Son ironie en est atroce. Afin de lutter contre la pénurie générale (la France est alors occupée par l’armée allemande et subit les lois anti-juives), tout individu se voit attribuer une « carte de temps » définissant la durée de vie mensuelle qui lui est accordée en fonction de son utilité sociale. Par exemple, les écrivains, « quinze jours d’existence par mois », les « professionnelles de l’amour », « sept jours » ; les Juifs, « une demi-journée »…
Devrait-on imaginer un monde où l’individu recevrait une « carte d’eau », en fonction, non plus de son utilité, mais de sa docilité sociale ?