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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Dimanche de cendres

La chronique du Blédard / jeudi 3 août 2006 par Akram Belkaïd
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Le matin. Dimanche 30 juillet. Jour d’infamie pour l’humanité. Il pleut à Paris. Sombre et sale journée. Journée d’astreinte où il me faut travailler et savoir raison garder. Ne pas se laisser aller, ne pas hurler, ne pas pleurer. Ravaler ses insultes et avaler les nouvelles effrayantes, encaisser le choc des images et se demander encore une fois s’il existe une justice sur terre. Au Liban, dans le sud, à Cana exactement, les assassins ont encore frappé. En totale impunité, comme il y a dix ans déjà, dans le même village : un massacre oublié, compilé dans une longue liste qui ne cesse de s’étirer depuis Deir Yassine. La veille, pourtant, je m’étais endormi avec un peu d’espoir, un brin d’optimisme totalement irrationnel. La cause n’en était certainement pas l’évolution toujours dramatique de la situation sur le terrain et encore moins les tergiversations diplomatiques.

Il s’agissait en fait d’une simple rencontre, dans l’après-midi, non loin d’un parc àmille lieues de la guerre et de ses horreurs. Un soulagement. Des retrouvailles avec la maman d’une gamine de six ans, née en France mais de parents libanais. Comme tant d’autres, la petite était partie au pays du Cèdre pour y passer les vacances. Arrivée le 10 juillet, repartie quinze jours plus tard, affolée, traumatisée par des événements que son vocabulaire d’enfant avait de la peine à nommer. Nous étions inquiets pour elle et le fait de la savoir saine et sauve a, c’est étrange et quelque peu égoïste, fait passer le reste au second plan. « Elle voit un psychologue », m’a dit sa mère comme pour me rappeler à la réalité. Dimanche matin, toujours. Dans ma messagerie électronique, arrivent de temps à autre des « pourriels » soutenant l’attaque israélienne.

Des pourriels, des spams et BHL

Des sites officiels ou des agences de communication inconnues inondent toutes les rédactions de France et de Navarre de courriers destinés « à rétablir la vérité ». Le message est toujours le même : les Libanais, comme tous les Arabes, sont des menteurs, ils travestissent la vérité, truquent les photos des destructions. Surtout ne jamais leur faire confiance. Leurs tireurs se cachent derrière les civils, leurs mères n’hésitent pas à envoyer leurs enfants à la mort, leur culture est basée sur le refus de la vie, etc. Fin de matinée. Nouveau spam. La newsletter électronique de l’ambassade d’Israël en France reprend dans son intégralité les deux pages de « reportage » publiées par Bernard Henri-Levy dans le quotidien Le Monde [1]. BHL, l’ami de nos éradicateurs, qui nous explique, avec son égotisme habituel (je, je et re-je…) que les Libanais, même morts, ont tort et qu’Israël est dans son droit. BHL qui refuse, comme on le comprend pour lui et ceux qu’il défend, de se livrer « au sale petit jeu de la comptabilité des cadavres » (chiche !). BHL, le protecteur de nos éradicatrices, qui en profite pour placer quelques allusions au sujet de son « romanquête » - autrement dit une enquête bidonnée - sur Daniel Pearl (lequel bouquin serait, me dit-on, en voie d’être adapté à l’écran par Hollywood…).

Les savants-soldats de Cana…

Et BHL qui nous parle avec enthousiasme des « savants soldats » israéliens qui « déploient une intelligence optimale pour, le nez collé sur leurs écrans, calculer la distance de la cible, sa vitesse de déplacement ainsi que, last but not least, le degré de proximité d’un éventuel dommage de civils dont l’évitement est, ici au moins, [il] en témoigne, un souci prioritaire. » Les survivants de Cana apprécieront. Un autre « pourriel » rapporte les écrits d’un journaliste libanais, un certain Michaël Béhé qui affirme que Beyrouth n’est pas détruite, que seuls les terroristes sont les cibles des bombardements et que « comme la majorité des Libanais », il a mis « le champagne au frais pour fêter la victoire des Israéliens ». La guerre, c’est cela aussi : de la propagande et du parti pris et j’assume le fait que cette chronique est elle aussi totalement dédiée à une vision partisane mais dont je revendique pour elle l’attachement à la justice, la liberté et la morale. Treize heures. Dans un petit troquet dont le patron, un Algérien de Dellys, n’hésite pas à brancher sa télévision sur le canal d’Al-Jazira,on regarde en silence les images en boucle de ces corps d’enfants que des sauveteurs aux gilets rouges retirent des décombres. L’atmosphère est pesante, tendue. Ici, on ne vient pas pour bruncher, manger du saumon fumé et boire du thé exotique comme le font les bourgeois-bohèmes du coin.

Le gouvernement américain, gardien d’une loi inique

D’habitude, on y vient pour siroter sa bière dominicale tout en remplissant son bulletin du PMU. Mais ce dimanche, jour de pleurs et de larmes, on reste coi et on comprend - mais on le savait déjà - que dans ce monde règne une règle implacable du deux poids, deux mesures et que le gardien de cette loi inique s’appelle le gouvernement américain. Dimanche soir. CNN diffuse les discours des ambassadeurs à l’ONU. La dialectique israélienne, mélodramatique, est bien rodée, elle qui cherche en permanence à dénier aux Libanais comme aux Palestiniens la supériorité morale que leur confère leur statut de victimes civiles. Pire, qui revendique cette supériorité pour son propre pays et de manière exclusive. C’est le bourreau qui pleure sur son sort. Après tout, dans ce n’importe quoi planétaire, pourquoi pas ? Lundi matin. Pensées sombres. Dans quelques jours, dans quelques semaines, on dira ce que l’on dira, on analysera ce que l’on analysera mais une chose m’est désormais plus que certaine.

Les dirigeants israéliens, civils ou militaires et ceux qui en Europe et aux Etats-Unis les soutiennent, n’attachent guère de prix à la vie d’un Arabe, qu’il soit sunnite, chiite, druze ou maronite. Ce n’est pour eux, malgré tous leurs discours, que le sang d’êtres inférieurs, négligeables. C’est cela aussi le racisme. Lundi soir. Les cafés de la ville sont pleins. Bien sûr, certains oublieront, d’autres relativiseront. En France, après avoir fait profil bas, les porte-voix d’Israël se feront moins discrets et repartiront, à coups de « roman-portages », à l’assaut de l’évidence. Celle que l’on élude dans les capitales occidentales où l’on se dit choqués mais où l’on ne condamne pas ou si peu ou de manière si emberlificotée. Cette évidence, elle est simple : Israël, légataire indiscutable du plus grand drame qu’a jamais connu l’humanité, n’est désormais rien d’autre qu’un Etat voyou.

[1] La guerre vue d’Israël, 28 juillet


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