Il y a une semaine, le quotidien Le Monde a publié une enquête sur des jeunes condamnés à des peines de prison ferme à la suite des émeutes en banlieue de l’automne dernier [1]. .. Libérés et de retour dans leurs cités, ils ont confié au quotidien du soir leurs doutes vis-à-vis de l’avenir avec, pour tous, l’obsédante crainte d’être pénalisés à vie.
En fait, plutôt qu’une crainte, on pourrait parler de certitude voire de résignation. Qu’ils soient coupables ou non, ces jeunes, qui ont payé une lourde dette à la société du fait de leur emprisonnement, devinent qu’ils auront encore plus de mal à trouver un emploi ou, tout simplement, à se réinsérer.
Je ne sais pas si des mains généreuses vont se tendre vers eux. Je ne sais pas non plus si leur condamnation va faire réfléchir leurs cadets et les inciter à redoubler d’efforts pour arracher une place honorable au sein de la société française. Une chose est néanmoins sûre : nombre de ces jeunes ont vécu leur incarcération comme une grande injustice et cela ne va pas arranger les choses. Car plus de six mois après les émeutes, rien ou presque n’a vraiment changé dans les banlieues. C’est toujours la même tension, le même feu qui couve et l’été qui vient risque d’être long et chaud même si les pouvoirs publics espèrent que la Coupe du monde de football qui débute bientôt va canaliser, un temps, les énergies.
À l’heure où je rédige cette chronique, des affrontements ont d’ailleurs lieu à Montfermeil (Seine-Saint-Denis) entre des policiers et une centaine de jeunes cagoulés, armés de projectiles et de battes de base-ball. Pour mémoire, c’est dans le centre de cette ville que le maire, Xavier Lemoine, a pris des arrêtés controversés interdisant les regroupements de plus de trois jeunes âgés de 15 à 18 ans. Voilà un fin stratège… Ces gesticulations ravissent peut-être l’extrême-droite mais, dans la réalité, elles sont totalement improductives puisqu’elles ne servent qu’à augmenter les tensions et conduire à l’irréparable.
Mais revenons à l’enquête du Monde. Si je l’évoque, c’est parce que je me demande ce que pensent les jeunes des banlieues - à commencer par ceux qui ont eu maille à partir avec la justice - de l’amnistie présidentielle dont vient de bénéficier Guy Drut. Député UMP et ancien champion olympique, ce proche de Jacques Chirac a été jugé en octobre 2005 pour avoir « occupé » un emploi fictif dans l’affaire des marchés publics de la région Ile-de-France. Dans la foulée, le Comité international olympique (CIO), dont il est membre, l’a suspendu provisoirement de ses fonctions. Quelques mois plus tard, voici l’ancien athlète blanchi par la volonté quasi royale d’un président qui semble déterminé à finir son mandat dans les polémiques.
Car cette amnistie, dans le lourd climat politique et social que vit la France, n’est qu’une nouvelle provocation irresponsable. Un message présidentiel désinvolte que l’on peut facilement résumer par cette expression triviale à l’adresse des Françaises et des Français : « C’est moué le roué et je vous emm… ». Il n’y a donc pas que dans les banlieues où les choses n’ont pas changé.
Loin du slogan fumeux « tolérance zéro » (à l’encontre des élus délinquants), la vie politique française continue de ressembler à un marigot fangeux d’où se dégagent les pires odeurs pestilentielles. Ne parlons pas de l’invraisemblable feuilleton Clearstram et restons-en à cette pitoyable amnistie. Cette dernière a été rendue possible par une loi adoptée en 2002 - dans l’urgence et, paraît-il, déjà pour aider un autre sportif proche de la chiraquie - qui permet d’absoudre des « personnes qui se sont distinguées d’une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel, sportif, scientifique ou économique. » Il est vrai que Guy Drut,médaillé d’or aux 110 mètres haies des JO de Montréal en 1976 (trente ans déjà), a fait partie de ces champions qui ont amorcé le renouveau du sport français à la fin des années 1970 après une longue traversée du désert (avec lui, on peut citer les « verts » de Saint-Etienne ou Bernard Thévenet, vainqueur du Tour de France en 1975 et 1977).
Mais de là à le soustraire à la justice, il n’y avait qu’un pas que Jacques Chirac a allègrement franchi au grand bonheur de l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen qui n’a même plus besoin de faire campagne. Question qui mérite d’être posée : le président français souhaite-t-il que le chaos lui succède en minant le terrain de la sorte ?
Le plus grave, c’est qu’il n’y a pas que dans les banlieues ou dans l’électorat français que cette affaire va avoir des conséquences dévastatrices. Tous les journalistes qui couvrent les dossiers internationaux le confirmeront, c’est aussi l’image de la France dans le monde qui en fait les frais.
De scandale en scandale, s’impose en effet la perception - exagérée mais réelle - d’une France qui n’est plus uniquement une puissance moyenne qui refuse d’accepter son déclin (et forcément d’y réagir) mais bien celle d’un pays où la corruption, le passe-droit et le clientélisme règneraient en maître dans une ambiance délétère de fin de règne. Dans les couloirs du Parlement européen ou dans les travées de l’ONU, on moque les diplomates français, on évoque la « république bananière » et les Anglo-Saxons ne sont pas les derniers à s’adonner à ce petit jeu. Longtemps, les charges à répétition contre la France de l’hebdomadaire londonien The Economist m’ont parues outrancières. Force est de constater que les errements du pouvoir français ne cessent de leur donner du crédit. Il paraît pourtant que l’amnistie de Guy Drut était « absolument nécessaire pour défendre les intérêts de la France au sein du Comité international olympique » dixit Jacques Chirac. Tiens donc ! Je ne sais pas quoi penser de cette déclaration. Est-ce une manière de nous pousser à ironiser sur la légendaire probité qui règne parmi les membres du CIO ?…
Ce qui m’inquiète aussi, c’est le fatalisme, certes teinté de dégoût, avec lequel mes amis parisiens réagissent à cette affaire. L’affaire les choque mais sans les surprendre. En tous les cas, cela n’a pas gâché leurs congés de la fin mai. Et je ne suis pas sûr que cela va convaincre ceux qui se sont abstenus de voter en 2002 de ne pas bouder les urnes l’année prochaine. Je vous le dis (et cette phrase va souvent me servir de chute) : 2007 risque fort d’être une année rock’n’roll.
[1] « Les émeutes, la prison… et maintenant ? » 23 mai 2006