Pas facile, les nouvelles technologies. Médiamétrie en sait quelque chose. Pour cette vénérable institution, il est visiblement plus facile de mesurer la télé et la radio de papa que l’audience des sites Internet.
Depuis un an, les chiffres qu’elle publie sur le sujet sont fort controversés. Du coup, les noms d’oiseaux fusent entre les sites médias, très sensibles à ces résultats, qui s’accusent mutuellement de tricher. Lefigaro.fr – qui s’accorde chaque mois dans ses colonnes une demi-page d’autopromotion vantant son palmarès –, comptabilise ainsi sous sa propre marque les audiences du site leconjugueur.fr, un site de grammaire en ligne… Et cela fait enrager son grand concurrent, lemonde.fr. Les performances affichées de NRJ hérissent tout le monde. Compréhensible : une partie conséquente des visiteurs de la station musicale est issue de -sites de jeux en ligne, comme kingomusic.
Nous sommes là au cœur d’un sacré pataquès qui agite le petit monde du Net. Quand Médiamétrie a pris la décision d’élargir sa base d’études en recrutant 14 000 nouveaux panélistes via Internet, il s’est adressé à des fournisseurs peu scrupuleux. L’institut a ainsi hérité d’accros des jeux en lignes, facilement identifiables par les sites à cause de leur comportement atypique. Résultat, en achetant certains jeux en ligne, les sites parviennent à rapatrier les panélistes et à démultiplier leur audience (les joueurs se retrouvent sur les sites partenaires uniquement pour cliquer et participer au jeu et en repartent instantanément).
Ces derniers mois, Médiamétrie a tenté de mettre fin à ces abus. Ainsi, le premier clic de validation d’un jeu n’est plus comptabilisé dans les audiences du site client. Mais, si le joueur poursuit sa visite (il suffit alors d’imposer plusieurs clics à l’internaute pour participer au jeu), elle est prise en compte. On clique en rond…
Face à cette querelle de famille, Médiamétrie s’est dit prêt à aller plus loin dans son ménage. Mais l’institut compte à son capital l’ensemble des acteurs du marché (médias, agences et annonceurs), et doit surtout respecter un principe de décision à l’unanimité… Soucieux de ne pas voir leur audience dégringoler brutalement d’un mois sur l’autre, nombre d’éditeurs ont refusé de revoir les -règles de ces petits comptes -entre amis.
Pour le Centre d’études des supports de publicité, chargé par la profession d’évaluer la fiabilité des mesures d’audience, le constat est sans appel. Le panel de Médiamétrie remet en cause la fiabilité de la mesure d’audience. « Médiamétrie n’est pas de mauvaise foi », pointe un éditeur, « ils se sont perdus en chemin et n’arrivent plus à redresser la barre », regrette-il.
Médiamétrie compte et recompte ses visiteurs uniques, mais ne s’y retrouve pas. En suivant la navigation Internet de 25 000 panélistes, l’institut épluche pourtant consciencieusement leurs habitudes sur la Toile pour en déduire l’audience des sites (c’est la technique dite du « user centric »).
Les autres acteurs de la mesure d’audience comme Xiti, Alexa, Google Trends et l’OJD (organisme de contrôle de la diffusion de la presse) se concentrent, eux, sur la fréquentation, en comptant le nombre de connexions à un site web (c’est le principe du site centric). Les écarts vertigineux qui apparaissent parfois entre les résultats des deux types de mesures ne manquent pas de surprendre. Ils s’expliquent, entre autres, car les mesures site centric, à l’inverse de celles de Médiamétrie, comptent plusieurs fois la même personne si elle se connecte à partir de lieux différents (travail, domicile, lieu public…). Mais les différences de tendances sont, elles, inexplicables. Ainsi, le parisien.fr, qui a doublé son audience sur Médiamétrie entre juin et juillet 2009, affichait une courbe désespérément plate sur le baromètre de l’OJD. Allez convaincre un annonceur avec ça
Par l’aimable entremise de Charles Juster, Médiamétrie a tenu à réagir à la sortie de notre enquête. En éveillant tout d’abord notre attention sur le fait que Médiamétrie est l’organisme de mesure de site le plus transparent qui soit puisque « nous sommes les seuls audités par le CESP ». Soit. Et de préciser que « le papier était un peu daté ». « Les panélistes au comportement un peu particuliers ont été sortis de notre base peu à peu et il n’en reste plus ». Depuis Quand ? « Fin septembre ». Bref notre article, sorti dans l’hebdo n° 2 de Bakchich, soit le 30 septembre n’avait pas encore de gout rance…