Les hommes ont les femmes qu’ils méritent. Le président du Cameroun Paul Biya n’échappe pas à la règle
C’est à ce genre de manifestation que l’on reconnaît la nature d’un régime. La pauvreté et le dénuement, qui frappent des millions de Camerounais, ont réuni sur l’esplanade de l’Hôtel de Ville de Yaoundé plusieurs centaines de jeunes et quelques responsables associatifs. Il fait chaud, en ce mardi matin 9 janvier. Un imposant bataillon militaro-policier patrouille, l’œil suspicieusement braqué sur les passants anonymes. Et une armada de reporters, caméra au poing, sont déjà sur les lieux.
Mutinerie d’étudiants en colère ? Manifestation de l’opposition camerounaise ? Non : cérémonie en hommage à Chantal Biya, dont la Fondation « caritative » organise, nouvel an oblige, une « remise de dons » à quelques orphelins de Yaoundé. Telle est la magie du système Biya : pendant que le chef étouffe ses compatriotes dans la misère, sa femme prospère, à tous les sens du terme, en jouant les dames au grand cœur. Les banderoles qui embellissent la capitale donnent un aperçu du tour de passe-passe : « Maman Chantal Biya, un précieux atout pour la Cameroun », « Fondation Chantal Biya, véritable état-major de la lutte contre les souffrances », etc.
Cuisant à petit feu sous les chapiteaux colorés, les 600 orphelins endimanchés attendent gentiment l’arrivée des caciques du pouvoir. On installe, tel un décor de cinéma, d’ostentatoires sacs en toile de jute : du riz, du sucre, des haricots… Les orphelins ont été « sélectionnés » pour leur extrême indigence, nous informe fièrement un gorille en tenu d’apparat, casque colonial sur le crâne. Les premières limousines blindées arrivent enfin. Les flash crépitent, clic, clac, pour immortaliser les costumes élégants des ministres aux lunettes noires et les grotesques toilettes des richissimes dames du Cercle des Amies du Cameroun et de Synergies Africaines, filiales de la très opaque Fondation Chantal Biya (cf. Biya sonne le Ndong), qui défilent en musique dans des effluves de parfums hors de prix. Ambiance de festival de Cannes, à Yaoundé.
Quelques curieux contemplent le spectacle à distance, accoudés aux barrières. « Rien qu’avec le sac de celle-là, on pourrait nourrir la moitié de la ville ! », s’exclame Jean-Pierre, chômeur à temps partiel, venu tuer le temps en écoutant les blagues vaseuses d’« Edoudoua Non Glacé », acteur de la chaîne privée Canal 2 réquisitionné par les services de propagande de la Première Dame. C’est un SMS qui a prévenu Jean-Pierre des festivités. Son opérateur téléphonique, l’omniprésente multinationale sud-africaine MTN, a signé un partenariat avec l’incontournable Fondation Chantal Biya [1] …
Puis viennent les interminables discours des apparatchiks qui brandissent, puisque c’est le sujet du jour, l’indigence et la misère de leurs administrés comme des trophées. De quoi justifier les hommages brejnéviens qu’ils déversent sur la femme de celui qui les a nommés… et sur les « nos précieux partenaires financiers internationaux », dûment représentés en tribune officielle, qui aident généreusement la « dame de cœur » dans ses œuvres de charité. Pour réveiller les vieux qui somnolent et tirer les larmes aux journalistes qui rigolent (sous cape), on invite au micro une pauvre orpheline qui s’embourbe dans le jargon mielleux que quelque technocrate lui a mitonné.
« Et elle vient quand, Chantal ? » Impatient d’en finir, on demande à Jean-Pierre. « Chantal Biya ? Mais elle ne vient pas ! Elle reste gaillardement assise chez elle… en attendant qu’on lui apporte le reportage ! » De la magie, qu’on vous dit.
[1] À noter aussi la présence d’une blonde représentante du PMU du Cameroun (PMUC). Omniprésente elle aussi, la pasquaïenne entreprise entretient de longue date de très cordiales relations avec Madame la Présidente (cf : Le Silence de la forêt, Réseaux, mafias et filière du bois au Cameroun, Dossiers noirs, n°14, L’Harmattan, pp 1-19)
Triste réalité que vous décrivez là et je vous en remercie car elle correspond au Cameroun que je connais. D’un côté il y a l’irresponsabilité et l’inefficacité d’un chef d’état et de l’autre la "générosité" un peu trop expressive de la première dame.
Et surtout pas de questions qui fâchent : Pourquoi en est-on arrivé là ? Comment finance-t-elle son association ? Pourquoi ne pas se focaliser sur les dysfonctionnements des systèmes de santé et d’aide sociale, afin de les améliorer, et qu’au final ces "orphelins" soient assistés par des structures officielles et non par le bon vouloir d’associations.