…celui "d’El Moudjahid", un journal qui a beaucoup changé, célébré par un discours émouvant
Cette semaine, on célébrait à la Bibliothèque Nationale le cinquantième anniversaire d’El Moudjahid historique, pas celui d’aujourd’hui, symbole de la presse aux ordres et de la langue de bois, mais l’autre, né à l’initiative d’Abane Ramdane en 1956, en pleine guerre de libération nationale comme une arme de combat du FLN.
Un an plus tard, en 1957, Abane Ramdane, l’un des héros de la révolution algérienne, était assassiné par ses frères dans des conditions demeurées obscures jusqu’à nos jours. El Moudjahid de l’époque avait titré à la Une de son édition en français, « Abane Ramdane, mort au combat ». « À tous ceux qui nous reprochent aujourd’hui cette version des faits, je demande : qu’auriez-vous fait à notre place ? Fallait-il aller à l’ambassade de France avec un drapeau blanc ? Pour moi, les choses étaient encore plus douloureuses parce que j’avais risqué la vie de ma femme et de mon épouse pour arracher Abane des mains des paras français ».
L’homme qui parle d’une voix cassée par l’émotion et qui est écouté dans un silence religieux est Pierre Chaulet, un Algérien d’origine française comme on dirait aujourd’hui. Un homme à part. Arrêté en 1956, le jour même ou il devait accompagner Abane Ramdane alors recherché par les paras qui écumaient Alger emprisonnant, torturant à tour de bras, c’est en effet son épouse Claudine, militante également du FLN qui le relaiera et qui, avec son bébé, accompagnera Abane au volant de sa deux chevaux au maquis. Un maquis dont il ne devait jamais revenir… Mais ce n’est pas tant ce que dit Pierre Chaulet à l’assemblée qui nous bouleverse tous que ce qu’il ne dit pas de cette voix cassée.
Cet homme qui avait vingt ans quand il adhèrera au FLN dés 1954 au nom de l’humanisme porté par les chrétiens de gauche, fait extrêmement rare à l’époque pour un enfant issu de la société coloniale ou même les communistes votaient les pouvoirs spéciaux, a aujourd’hui plus de soixante dix ans et tente en dix minutes de raconter un engagement et le prix à payer en silence à son éthique pour que triomphe la cause à laquelle il croit. Alors, quand cet homme connu pour sa capacité à ne jamais montrer ses sentiments conclura, presque en larmes : « je continue à espérer, malgré tout », la salle, comme un seul homme, s’est levée pour une véritable standing ovation. Et moi, assise, je me surprends à pleurer au cinquantième anniversaire d’El Moudjahid.