La mort du poète Aimé Césaire, inventeur du concept de « négritude », est l’occasion de faire le point sur le stéréotype du noir en danseur emplumé ou violent machetteur. Pour y voir clair sur la « négrophobie » française, « Bakchich » a fait parler une femme écrivain qui est allée regarder dans les poubelles de nos grands hommes…
Le grand poète français Aimé Césaire vient de mourir, il a été de bon ton de célébrer la noblesse de son combat contre le racisme et la colonisation. Pourtant…
Césaire, de son vivant, n’a pas toujours été bercé des cris admiratifs qui ont suivi son cercueil. Il n’y a qu’à réentendre ceux qui fusèrent en 1994, quand son « Discours sur le colonialisme », écrit en 1950, fit son entrée au programme des classes de terminale ! Le député Alain Griotteray interpella le ministre de l’Education François Bayrou pour déplorer « qu’une oeuvre aussi résolument politique osant comparer nazisme et colonialisme soit inscrite au programme de français des terminales ».
Et l’oeuvre de Césaire, qui devait rester deux années au programme, disparut après la signature d’un décret de Bayrou en fin d’été 1995… Les jours qui ont suivi, aucun intellectuel français n’a pris la plume pour soulever un débat. Est-ce parce que le pays entier bronzait en vacances ?
Non, il n’y a pas que le soleil qui justifie cette désertion… L’agrégée de lettres Odile Tobner, auteur l’année dernière d’un livre intitulé Du racisme français ; quatre siècles de négrophobie, suggère une autre explication. Si nul n’a défendu Aymé Césaire contre François Bayrou, c’est parce que le pays des Lumières et des droits de l’Homme a peur de se regarder dans le miroir que Césaire lui tend et sur lequel clignote la supériorité de nos sentiments à l’égard des colonisés, des noirs, ou de l’Afrique en général.
Ce que nous n’aimons pas admettre, c’est que la plus ancienne attitude qu’il nous soit donnée de connaître à l’égard des noirs est celle d’un très profond sentiment de supériorité. Qui ne s’est jamais extasié, plus ou moins paternellement, de la performance ou de la réussite intellectuelle d’un noir ? Tout cela nous vient d’une vieille négrophobie, souvent très inconsciente, qui dure depuis des siècles.
Pour s’en convaincre, Odile Tobner a exhumé de vieux écrits, qui nous font découvrir que des penseurs humanistes tels Saint-Simon, Bossuet, Montesquieu ont commis sur les noirs des pages monstrueuses, des pages où l’Africain peine à éclore une âme au-dessus de la boue de l’animal. Et qui rappellent aussi que certains de nos grands hommes, Renan, Albert Schweitzer, le Général de Gaulle, ne sont pas épargnés par l’héritage français de la négrophobie.
Devinerez-vous qui a prononcé cette phrase ? « Les races supérieures ont un droit viscéral vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». C’est notre grand bienfaiteur Jules Ferry. D’ailleurs, sa grande idée d’une mathématique des races a hanté les manuels scolaires de la troisième république et formaté l’esprit de millions de Français.
Et celle-ci ? « On ne voit plus qu’eux, il y a des nègres à l’Elysée tous les jours, je suis entouré de nègres ici, foutez-moi la paix avec vos nègres ; je ne veux plus en voir d’ici deux mois, vous entendez ? Ce n’est pas seulement en raison du temps que cela me prend, bien que ce soit déjà fort ennuyeux, mais cela fait très mauvais effet à l’extérieur : on ne voit que des nègres, tous les jours, à l’Elysée ».
C’est Charles de Gaulle, qui se souciait beaucoup, comme on le vérifie ici, de « l’image de la France » à l’extérieur… La citation vient des mémoires de son grand conseiller pour l’Afrique Jacques Foccart, qui faisait en effet défiler ses réseaux africains à l’Elysée. C’était en 1968 !
Pour découvrir quels négrophobes ont aujourd’hui pris le relais de Bossuet, Montesquieu, Jules Ferry et De Gaulle, cliquez, mais sans esprit de supériorité, sur la couverture du livre d’Odile Tobner.
Bonjour,
Chacun fait apport de sa civilisation. Pour moi, n’est pas le + "sauvage" ceux que l’on préjuge.
Ma référence en appui à cette affirmation : Ex-sergent de notre ex-Infanterie Coloniale. J’ai mangé,bu,dormi,chanté,fais la fête,bien ri,partagé une dernière boite de sardine mangé avec les doigts ; un gobelet d’eau, la peur et parfois les dangers avec mes tirailleurs.
Et je n’aime pas du tout une quelconque allusion de notre prétendu supériorité.
En 1944,a Thiaroye au Sénégal, "Vos" tirailleurs (1300 d’entre eux tout du moins) ont été fusillés par leur hiérarchie française pendant leur sommeil pour avoir osé réclamer leur solde la journée précédente.
Triste sort pour réservés par la France à ceux qui ont sauvé sa patrie. Difficile d’y voir une quelconque égalité de traitement avec leurs homologues militaires blancs
Je pense qu’il est important pour moi d’exprimer deux choses à la lecture de cet article.
1°) Vous dites que la France a peur de se regarder dans le miroir du colonialisme.
Non, c’est faux. 80% des Français n’ont pas de préjugés typiques. D’une part, parce que cela ne fait pas partie de leur éducation, et d’autre part parce qu’un quart de la population française est d’origine extra-hexagonale tout en étant européenne. Si la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne et le Portugal ont été de grands esclavagistes, sachez que l’Europe est constituée d’autres peuples qui n’ont jamais eu de près ou de loin rien à voir ou à faire avec l’esclavagisme. Ces gens n’ont pas à endosser les erreurs des pays esclavagistes. Ni les effets pervers du colonialisme. Ils n’ont donc pas peur de se regarder dans une glace. Je ne me revendique pas de Ferry ou de Gaulle, mes ancêtres n’ont participé à aucune traite, ils n’ont pas été des coloniaux, je suis pourtant française. Point à la ligne.
2°) Pour revenir à de Gaulle, vous êtes un peu jeune ce qui fait que vous n’avez pas conscience de l’époque à laquelle il faisait ses "sorties". Ca n’en est pas plus pardonnable c’est exact et d’ailleurs nul ne se privait de lui faire savoir qu’il critiquait les réseaux africains dont il est vrai que ses conseillers le saturaient à l’Elysée, mais il les recevait. Et bien que critiquant ouvertement l’assaut des quémandeurs africains (dictateurs d’hier et d’aujourd’hui faut-il le rappeler ??), ça n’empêchait pas ces gens de revenir à la charge. Et c’est vrai que lorsque vous regardiez les infos le soir à la télé, la seule chose que vous pouviez voir pendant des mois, c’était de Gaulle sur le perron de l’Elysée avec 3 ou 4 personnalités africaines. Et on se doutait que ça n’était pas pour lui demander de l’aide pour le soutien scolaire des élèves de leur pays. Il "pleuvait" réellement des placets africains à longueur de semaine à l’Elysée. Mais de Gaulle n’avait jamais été un homme de grand tact et les gens le disaient "pourquoi les reçoit-il si c’est pour parler comme ça".
Voilà, c’était pour dire que quelque chose dans votre article mérite d’être souligné, mais à remonter la pendule du temps, parfois on se trompe d’époque. Plus indigent est l’abandon de Bayrou face aux critiques, mais là encore, si vous vous rappelez (mais pouvez-vous vous le rappeler), le "discours sur le colonialisme" sorti de la poussière des bibliothèques avait fait coulé beaucoup d’encre 40 ans après. Bayrou n’a pas su trouver les arguments pour imposer un certain point de vue.
Le racisme, la négrophobie existe en France mais il est outrageant d’associer tous les Français à ces vices.
Montesquieu négrophobe ? Ah Bon ?
Pourriez-vous me donner des sources car même si je ne connais pas l’ensemble de l’ouvrage de Montesquieu, cela me surprend beaucoup puisqu’il était contre l’esclavage (qui concernait les noirs à l’époque).
J’amerais une preuve de ce que vous avancer…
le passage de l’esprit des Lois dont certains disent qu’il s’agit d’ironie et de second degré.Même si je me demande comment ils peuvent l’affirmer, vu les textes non moins explicites de ses autres contemporains (Voltaire et la crâniométrie sensée déterminer l’intelligence, Hume dans "Essais moraux, politiques et Littéraires"ou Kant dans "Observations sur le sentiment du beau et du sublime" selon lequel "les nègres d’Afrique n’ont par nature aucun sentiment qui s’élève au dessus du puéril" et surtout Hegel par la suite)
"Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?"
L’esprit des lois, XV, 5 (1748).
Merci pour la présentation de l’ouvrage d’Odile Tobner. Ceci dit, coller l’étiquette "penseurs humanistes" à Saint-Simon, Bossuet et Montesquieu me paraît outrancier.
Louis Sala-Molins (qui cartonne beaucoup de monde, c’est vrai, dans Le Code Noir ou le calvaire de Canaan) considère qu’avec Montesquieu le droit concernant les Noirs et l’esclavage passe du rien au presque rien (voir l’ironie, et rien de plus, du livre XV, chap. 5 de De l’esprit des lois [références de mémoire]).
S’agissant de Bossuet, il est un représentant du catholicisme le plus réactionnaire.
Quant à Saint-Simon, il symbolise l’ultradroite parlementaire.
Pour au moins ces deux-là, défendre les droits fondamentaux propres à chaque être humain n’est pas exactement l’objectif prioritaire.