Cela s’est passé à Paris il y a bien longtemps, mais l’histoire vaut son pesant d’or sans parler du fait qu’elle aurait très bien pu avoir lieu hier ou l’année dernière. Juste un conseil avant de poursuivre : si l’heure du f’tour est encore loin, peut-être vaut-il mieux suspendre votre lecture et attendre d’être en hyperglycémie. Je ne voudrais pas torturer encore plus votre estomac vide et affoler votre cerveau que je sais entièrement occupé à projeter des images de festins faits de viandes, de laitages et de sucreries en tous genres.
Commençons le récit : le jour tombe sur la capitale française. Qu’importe la saison ou le temps qu’il fait (pas trop chaud tout de même, c’est important pour la suite). Retenez juste que c’est bientôt l’heure où même l’oreille la moins exercée va entendre un immense « gnap », vorace et libérateur, qui précède des centaines de mastications ; l’heure où parmi les jeûneurs, certains enlèvent le noyau de la datte tandis que d’autres préfèrent en terminer avec la prière du couchant avant d’aller à la table.
L’homme, dont il est question, vient de rentrer chez lui, heureux d’avoir pu se libérer à temps de son bureau où ses collègues ont fini par admettre, avec ou sans indulgence, qu’il puisse écourter sa journée de travail. Dans son appartement situé au plus haut d’un immeuble du quinzième arrondissement, flotte l’odeur caractéristique du Ramadhan : grillades, oignon, persil, coriandre, un petit zeste d’ail, de la menthe aussi et bien entendu des relents de friture. Vite, se laver les mains, se mettre à l’aise, Monsieur, vous l’avez compris, a très faim.
Dans la salle à manger, le couvert est mis. Quatre assiettes, deux creuses, deux plates, car Monsieur et Madame -qui ne travaille pas - n’ont pas d’enfants, du moins à l’époque. A peine sorti de la douche, l’homme inspecte la table : la bouteille de Selecto est bien présente, la galette aussi, la viande aux pruneaux, deux briks à l’œuf et au thon à la pâte bien dorée, quatre cigares aux épinards et un grand plat de dolma, bref : une immense promesse de bien-être. Tel un squale, Monsieur tourne autour des plats, à peine conscient du drame qui se joue en cuisine.
Le mot drame est peut-être exagéré mais c’est bien ce que pense vivre Madame aux prises avec une cocotte-minute qui a longtemps sifflé pendant l’après-midi et dont le couvercle refuse obstinément de s’ouvrir. Qu’importe me direz-vous, puisqu’il y a suffisamment de nourriture sur la table. C’est une manière de voir les choses mais il est absolument certain que Monsieur ne l’aurait pas partagée. Le fait est que, dans la cocotte brûlante, se trouvent trois litres, tout aussi brûlants, de chorba, soupe sans laquelle une rupture du jeûne ne saurait être digne de ce nom.
Déjà assis, quatre dattes et une moitié de verre de lben avalées, Monsieur s’impatiente et hèle Madame. Ouèche, la chorba ? crie-t-il avec cette morgue coléreuse qui se doit de caractériser tout ramadanisant (désolé pour cette invention mais par les temps qui courent, je préfère éviter celui de carêmisant qui, de toutes les façons, n’existe pas non plus). Madame répond que la soupe est bientôt prête mais sans autre précision. Elle pourrait dire ce qui se passe vraiment mais un zeste de fierté l’en empêche d’autant que Monsieur pourrait en profiter pour lui faire la leçon, lui expliquer qu’une chorba se mijote longtemps à l’avance et qu’elle n’est jamais meilleure que le lendemain de sa cuisson.
La chorba ! crie encore Monsieur. Il se rend bien compte que son brik et ses cigares refroidissent mais il reste arc-bouté sur ce qu’il considère être une règle intangible : après les dattes et le lben, doit d’abord être engloutie la chorba. Et cela, Madame le sait. Tout en se battant avec le couvercle de la cocotte - elle a essayé le chiffon mouillé, le gant en caoutchouc, les coups avec le pilon, rien à faire - elle peut presque voir se dessiner la mine agacée de son époux. Alors, naît en elle une idée étrange, de celles qui nous viennent parfois dans les moments critiques et pour lesquelles aucun signal d’alarme ne retentit dans nos esprits agités.
Madame ouvre la fenêtre de la cuisine puis empoigne la cocotte-minute des deux mains. A l’extérieur, et à cette hauteur, pense-t-elle, l’air frais va détendre ce joint dont elle sait qu’il est à l’origine du mutisme inébranlable de l’ustensile. Et voilà la cocotte brandie à quelques dizaines de mètres du sol, enveloppée par des courants ascendants et expérimentant à son corps défendant plusieurs principes de thermodynamique. Vous devinez la suite, n’est-ce pas ?
Las d’attendre, Monsieur fait son apparition dans la cuisine en hurlant presque. Madame, dont les bras commencent à fatiguer, sursaute et c’est ainsi qu’arrive ce qui doit arriver. Ce ne sont plus les lois du transfert de chaleur qui s’appliquent à la marmite sifflante mais celles de la gravité. Effrayée, Madame lâche l’objet qui, moins de cinq secondes plus tard, perfore dans un immense fracas un trottoir heureusement désert. Ce soir-là, Monsieur s’est finalement passé de chorba, la cocotte-minute, qui n’a pas lâché son contenu, ayant été confisquée par les pandores venus à la rescousse.
Voilà une bien amusante histoire, me direz-vous, mais quelle en est la morale ? Est-ce là une illustration de la difficile condition de la femme musulmane pour laquelle le Ramadhan est une véritable épreuve puisqu’elle jeûne et cuisine tandis que les hommes passent des journées entières à fantasmer sur leurs ripailles du soir ? Cela pourrait être cela mais franchement, ce n’était pas mon intention première même si je pense effectivement que l’on n’évoque que trop rarement l’exploit constitué par le fait de cuisiner le ventre vide.
En réalité, je n’ai rien trouvé de mieux pour rappeler à quel point la chorba est indissociable du Ramadhan. J’aurais pu énumérer des recettes, mais tout le monde sait que celles qui comptent sont celles que l’on garde pour soi. J’aurais pu moquer ceux qui, à la chorba, préfèrent la hrira (les pauvres) ou, pire encore, la soupe de lentilles mais ai-je besoin d’enfoncer ceux qui sont déjà à terre ? Il me suffit juste d’écrire que malheureux sont ceux qui n’ont jamais goûté à la chorba, qu’ils soient jeûneurs ou pas. Mais il est temps pour moi de vous laisser. Avec mon maillet, j’ai un couvercle de cocotte-minute à débloquer.
(Saha Ramdanekoum et salut amical à Abdelouahab Réda qui, il y a bien longtemps de cela, m’a conté cette histoire de cocotte-minute).
…et non AHMED, ouèche est bien écrit :
ouèche, wèche ou wesh interjection. De l’arabe waach (Eh quoi !).
1. Terme de salut, littéralement : comment ça va.
2. Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il y a ? : « Ouèche ! Qu’est-ce qu’on fait ? On y va ou quoi ? »
hoe j’ai bien rigole , mais c’est WESH a la djeuns , et non ouech , le blédard ;) , sinon je veux bien que ma femme bosse , mais je sais pas si elle va pouvoir nous nourrir tous avec son salaire a -25% de moins qu’un homme et je l’imagine pas a préparer des tuyaux de carbon de 20 pouces et de le monter aux palans et de le souder en position , j’ai jamais vu ni une femme blanche ou noire faire mon boulot , sinon je voudrais bien échanger de boulot avec vous pendant 1 semaine .en tout j’ai bien rigole ca me rappel mon enfance votre histoire .lollll je lui est même trouve un titre a votre histoire "chorba volante "
allez bon ramadan le bledard