Un peu de sérieux ne faisant jamais de mal, Bakchich propose une douceureuse et fort pointue analyse des derniers attentats terroristes commis au Maghreb.
Depuis quelques mois, les trois pays du Maghreb central sont le théâtre d’actions terroristes attribuées ou revendiquées par Al Qaïda au Maghreb islamique, nouvelle appellation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) depuis janvier 2007.
L’ancien GSPC algérien, né en 1998 d’une scission avec le GIA, s’inscrit alors dans une logique internationale en essayant d’organiser des attentats plus adaptés au mode opératoire d’Al-Qaïda : attentats contre des autobus transportant des employés étrangers [1], voitures piégées, simultanéité des attentats commis en février 2007 en Kabylie contre des bâtiments des services algériens de sécurité.
Ces différentes attaques ont précédé le double attentat du 11 avril à Alger, l’un contre le Palais du gouvernement et l’autre un commissariat de police situé à Bab Ezzouar. Des opérations qui illustrent bien l’évolution du groupe et sa capacité à frapper au cœur même de la ville d’Alger, ce qui constitue un sérieux démenti au pouvoir algérien qui affirmait de manière insistante que l’islamisme radical n’était plus que résiduel.
L’ancien GSPC affiche ainsi sa volonté de déstabiliser l’État algérien tout en s’inscrivant dans la mouvance du jihadisme international que ce soit par le choix de ses cibles, son mode opératoire ou encore dans son ambition d’opérer s’il le peut, au-delà des frontières algériennes.
Ainsi, en décembre 2006, le groupe terroriste qui a été démantelé dans la banlieue de Tunis comptait six salafistes ayant été entraînés dans des camps du GSPC près de Tébessa, dans l’Est algérien [2].
Pour autant, la capacité du groupe salafiste algérien à unifier les forces jihadistes de la région n’est pas avérée et le lien qui pourrait exister entre les différentes actions terroristes semble davantage idéologique qu’opérationnel.
Au Maroc, par exemple, si les attentats-suicides survenus le 11 mars et le 10 avril [3] s’apparentent aux méthodes d’Al Qaïda, leur commandement paraît toutefois autonome. Ils raniment néanmoins le spectre de mai 2003, lorsque des attentats-suicides simultanés avaient provoqué la mort de 43 personnes à Casablanca.
Les autorités marocaines avaient alors réagi sévèrement, appréhendant plus de 5000 personnes considérées comme sympathisantes avec le groupe qui avait fomenté les attentats. Beaucoup furent condamnés à de lourdes peines par une justice très expéditive, et certains d’entre eux ont fini par bénéficier d’une grâce royale en 2005, le kamikaze du 11 mars en faisait partie.
Dans ce pays, la difficulté à contenir l’action de ces groupes est liée à divers facteurs : nous sommes d’une part face à des cellules islamistes radicales dont les objectifs sont divers. Si le GICM (Groupe islamique combattant marocain) reste le groupe de référence, il en existe d’autres, relativement déterminés à atteindre des cibles variées, allant des symboles du pouvoir, aux occidentaux, en passant par les touristes se trouvant au Maroc. Au cours de l’année 2006, les services de sécurité ont démantelé 11 réseaux d’agents recruteurs de combattants en Irak qui s’y rendaient via le Mali. Ces réseaux étaient animés par le GICM et l’un d’eux aurait envoyé 40 marocains combattre les forces américaines en Irak après avoir été entraînés dans le nord du Mali [4].
Le démantèlement régulier de cellules prêtes pour des attaques terroristes [5], indique qu’il y a bien une persistance de la menace de mai 2003 à avril 2007. Comme dans le cas du GSPC algérien, ces groupes marocains affichent une capacité certaine à régénérer les réseaux, et ce en dépit d’une grande surveillance de la part des forces de l’ordre. Le Maghreb serait-il alors devenu un terrain de recrutement privilégié pour les salafistes de la mouvance internationale ?
Si pour l’heure, le lien entre les logiques locales du GSPC rallié à Al Qaïda et la multiplication des attaques, notamment à Casablanca ne semble pas existant, les contextes politiques des deux pays, de même que les raisons susceptibles de créer un sentiment de désespoir chez les jeunes peuvent néanmoins présenter quelques ressemblances.
Les deux principaux pays du Maghreb organiseront cette année des élections législatives. Les attaques ici et là pourraient signifier un désaveu de la gestion du politique, dans la mesure où les consultations électorales n’ont pas réellement d’effet sur la conduite des affaires publiques. En outre, ici et là les partis islamistes dits modérés participeront à ces élections et le parti marocain de la Justice et du Développement (PJD) est donné gagnant. Les salafistes qui considèrent ces partis comme inféodés au pouvoir, souhaitent peut-être signifier qu’il y a d’autres façons d’être islamistes sans qu’il s’agisse pour autant d’une velléité de s’emparer du pouvoir. Contrairement au FIS ou au GIA, il ne s’agit pas là de vouloir mettre en place un État islamique, mais de s’inscrire dans un projet global qui puisse à terme fédérer les forces jihadistes locales tout en déstabilisant les pouvoirs en place, jugés complices des États occidentaux et dont les représentants sont jugés comme apostats.
Khadija Mohsen-Finan
[1] Le 11 décembre 2006, le GSPC revendique un attentats commis la veille, à Bouchaoui contre un autobus transportant des employés de la société algéro-américaine Brown and Root Condor (BRC), faisant un mort et neuf blessés. Début mars, un attentat visant un autre autobus transportant cette fois des employés d’une société russe fait quatre morts
[2] Sur un site islamiste lié à Al Qaïda, Les lueurs du Jihad en Tunisie, ce groupe avait déclaré « vouloir venger les musulmans du régime de Ben Ali, régime aux ordres de l’Occident et qui a combattu le voile islamique ».
[3] Le 11 mars 2007, attentat-suicide dans un cybercafé de Casablanca, le 10 avril, mort de quatre kamikazes et d’un policier
[4] Voir des recrues d’Al Qaïda passent par le Mali, Le Figaro 23 mars 2007.
[5] Par exemple, en novembre 2006, une cellule du GICM qui projetait de s’attaquer aux locaux de la chaîne 2M a été démantelée.