Le colonel Kadhafi remet de l’ordre dans la maison Jamahiriya : la rue libyenne montre les dents et il estime qu’il y a péril en la demeure. Et il veut redevenir un leader de la cause arabe qu’il avait un peu délaissée ces derniers temps
Dans son dernier discours devant le Conseil général du Peuple (le Parlement libyen) qui s’est réuni à Syrte du 2 au 5 mars, le colonel Kadhafi a consciencieusement attaqué les Comités populaires. Ces derniers gèrent les affaires du pays excepté la défense, la sécurité, les affaires étrangères, le pétrole et les investissements extérieurs.
Le Guide de la révolution libyenne a tout simplement appelé à y mettre fin car, selon lui, ils n’ont pas rempli leur devoir envers le peuple. En cause ? La dépense de 37 milliards de dollars en trois ans dont les Libyens n’ont pas vu la couleur. En bref, Kadhafi a voulu faire porter le chapeau de l’échec aux Comités révolutionnaires qui constituent pourtant le pilier de son système « jamahiriyen ».
Selon un ancien proche collaborateur du Guide reconverti dans le privé, Kadhafi a clairement senti le vent tourner. Il est, cette fois, convaincu que le mécontentement de la population a atteint son apogée. En cause ? Malgré la flambée du prix du baril de pétrole, le pouvoir d’achat se dégrade et le chômage atteint des niveaux inacceptables. De plus, le Libyen moyen a vite fait de flairer l’embrouille budgétaire. Selon les statistiques officielles, les revenus pétroliers du pays atteignent un petit 40 milliards de dollars pour 2007 alors qu’en 2006, ils étaient de 37 milliards. Or, avec un baril à 80 dollars en moyenne, il est tout bonnement impossible que les revenus pétroliers n’excèdent pas les 40 milliards.
Autre problème pour Kadhafi : les langues commencent à se délier. Du plus mauvais effet quand on a toujours joué sur la peur pour faire taire. De sources concordantes à Tripoli, notamment au sein des Comités révolutionnaires, véritable soupape de sécurité du système, on met en garde contre des émeutes à caractère social susceptibles d’éclater à tout moment dans plusieurs régions.
C’est le cas à Benghazi ou dans la région d’El-Jebel al-Akhdar, un fief islamiste. Et ce, malgré le deal conclu récemment avec le Front islamique libyen combattant qui entretenait des relations avec Al-Qaïda. Pour parer à tout débordement, Kadhafi a annoncé devant le Congrès général du Peuple qu’une partie des revenus de 2007 devait être distribuée équitablement entre les plus démunis et la classe moyenne. Il tente ainsi de calmer les esprits, surtout des plus pauvres qui n’appartiennent pas à sa tribu, les Guedadfas, et qui se sont peu enrichis ces dix dernières années.
Toujours pour apaiser la population, le chef de l’État libyen s’est aussi (re)tourné vers le monde arabe qu’il avait délaissé au profit de l’Afrique. Et a choisi la Palestine comme porte d’entrée. La Libye préside en effet la session du Conseil de sécurité de l’Onu et a pesé dans l’échec de la demande israélienne visant à faire passer une résolution condamnant l’opération-suicide menée contre une école talmudique le 6 mars.
Ce retour au bercail arabe devrait se consolider lors du prochain sommet arabe de Damas les 28 et 29 mars qui aura pour thème principal « La Palestine par excellence ». Les observateurs prédisent que Kadhafi multipliera les provocations envers les États arabes dits modérés. Pour regagner la popularité qu’il a perdue chez lui.