Après les planches de Will Eisner, « Bakchich » revient sur la dernière merveille du dessinateur américain Art Spiegelman. « Breakdowns », paru aux éditions Casterman en mars 2008, est un récit autobiographique déjanté où gags et souvenirs perso se mêlent dans une joyeuse confusion des genres.
Ce n’est pas l’album le plus facile à emporter en vacances et à se bouquiner les pieds en éventail. D’abord pour son format, grand, un peu lourd, mais surtout pour son histoire. Art Spiegelman, au top 10 des dessinateurs américains, nous propose une plongée dans sa biographie déjantée. Un « portrait de l’artiste en jeune », taillé dans la culture underground des comics américains des années 1970. Un régal et un cauchemar. Une dépression en couleur, à l’image du titre.
La tentation est trop forte. Les petits secrets et les délires de Spiegelman sont là, à portée de main. Un album où ce sont déchaînées l’imagination et les obsessions de l’auteur de Maus, son œuvre centrale (récompensée du très illustre prix Pulitzer) qui raconte à travers une allégorie animalière la déportation de ses parents juifs et le travail de mémoire qu’il a réalisé auprès de son père Vladek.
Vie familiale, chassé-croisé de souvenirs personnels, de rêve et de réalité, d’anciennes publications. Rien ne se fixe dans Breakdowns. Un mouvement perpétuel se dégage des images, un brin angoissant. On passe de la couleur à l’encre de chine, d’un trait ponctué à des lignes houleuses. D’autant que le sujet peut être dramatique. Art Spiegelman revient sur le suicide de sa mère Anja en 1968. Titre du chapitre : « Prisonnier sur la planète Enfer », un trait plus que sombre et des regards vides rappellent les « musulmans » des camps de concentration. Ces prisonniers, comme le raconte Primo Levi dans Si c’est un homme, qui avaient cessé de vivre et déambulaient tels des morts-vivants, au sens propre. D’ailleurs, le jeune Art porte le pyjama rayé bleu et blanc. L’expérience de ses parents semble le hanter jusqu’à la moelle. Les croquis de Maus ne sont d’ailleurs pas absents de ces mémoires.
Mais l’ambiance n’est pas toujours aussi pesante. Pour sûr, elle reste en revanche féroce. Breakdowns est tout autant un récit personnel qu’une réflexion sur la BD, l’humour, le gag en images et le bain de la culture alternative née en réaction au conformisme de la société américaine. Dans une interview publiée sur le site de l’éditeur français Casterman, l’auteur explique comment les comics ont construit toute sa relation au monde : « J’ai été fasciné, obsédé par la bande dessinée ».
Dans son art, Spiegelman a édité de nouveaux codes, déroutants, et exerce à son tour une certaine fascination sur son lecteur. Le jeune amateur a su se hisser jusqu’à la petite sphère des dessinateurs connus et reconnus. Pendant une dizaine d’années, il a réalisé nombre des couvertures du très chic New Yorker. Une expérience à double tranchant qu’il raconte lui même dans Bons Baisers de New York, publié en 2004 aux éditions Flammarion et préfacé par Paul Auster.
Pour ce qui est du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, néophytes du genre, accrochez-vous, aficionados, régalez-vous.