Honte à vous qui ne parlez que de football alors que les Libanais et les Palestiniens meurent sous les bombes israéliennes ! ». Au cours de ces derniers jours, j’ai reçu plusieurs messages comparables à celui-ci. C’est vrai que j’ai beaucoup écrit sur le football et d’autres sujets futiles tandis que les chars israéliens entraient dans Gaza avant que l’aviation de l’Etat hébreu ne dévaste le Liban.
Oui, je l’admets, il aurait fallu écrire sur les Palestiniens et les Libanais sans oublier les Irakiens ; il faudrait en fait toujours écrire sur ce thème, mais ce n’est pas aussi simple. Le sort des Palestiniens, celui aujourd’hui des Libanais, est une peine à vivre que l’écrit indigné n’arrive pas à atténuer. Appelez cela de la résignation, c’est simplement que, trop souvent, je pense que cela ne sert plus à rien. Faut-il écrire parce que simplement « ça va mieux en le disant » ? Les Algériens, les Arabes, les musulmans, partagent dans leur grande majorité le même sentiment de colère vis-à-vis de ce qui se passe au Proche-Orient. Voilà des années que je fais ce métier et voilà des années que nous n’arrêtons pas de coucher notre révolte sur le papier. Qu’avons-nous changé ? Rien. Nous ne faisons que nous lamenter et confronter, entre nous, des convictions que nous partageons totalement. Pourquoi ne pas écrire alors dans la presse occidentale puisqu’elle s’adresse aux opinions qu’il faut justement convaincre ? Pourquoi rester silencieux quand la propagande anti-arabe est présente dès le réveil sur les ondes des radios parisiennes et qu’elle s’étale dans toutes les publications par le biais de pseudos experts en géopolitique qui n’ont de cesse de justifier le terrorisme d’Etat d’Israël ? Ce n’est pas du silence mais de l’impuissance. C’est en fait un silence imposé, une censure qui ne dit pas son nom. Il existe certes des médias (Le Monde Diplomatique, Témoignage Chrétien,…) où l’on peut faire entendre sa voix mais ils sont bien peu nombreux.
Nous vivons dans un monde où la raison du plus fort prime et où la mauvaise foi règne. Pour arriver à toucher un public qui ne demande qu’à comprendre ce qui se passe au Proche-Orient, il faut surmonter les multiples pièges d’un racisme médiatique qui fait du sang arabe qui coule un événement mineur voire négligeable ou, à l’inverse, parfois même nécessaire au nom « de la démocratie et de la liberté ». Il est évident que ce serait chose utile que de prendre position dans l’un des grands quotidiens français pour contribuer à défendre un point de vue plus juste ou qui aille tout simplement à l’encontre de ce scandaleux « Israël ne fait que se défendre » dont on nous rabâche les oreilles en permanence. J’ai essayé de le faire, en vain. Quel que soit le texte, il est soit refusé soit amendé et vidé de sa substance car, vous comprenez, un Arabe qui donne son avis sur l’attaque israélienne au Liban, ou sur le sort indigne fait aux Palestiniens depuis plusieurs décennies, est forcément un antisémite ou un adepte de la théorie du complot ou les deux à la fois… Voilà le problème.
Nous sommes suspects au départ et notre propos est toujours accueilli avec méfiance. A l’inverse, si je rédige demain un texte insultant l’islam, mon papier aura toutes les chances d’être publié dans les pages opinions les plus prestigieuses de l’Hexagone. Mais expliquer que les Israéliens sont en tort parce qu’ils pratiquent la punition collective - laquelle est interdite par la Convention de Genève depuis 1949 - est loin d’être aisé. Cela n’entre pas « dans les choix rédactionnels » ou encore, comme on me l’a expliqué un jour, « c’est trop déséquilibré, pas assez objectif ». Il m’est donc très difficile de trouver un support - avec audience puisque c’est le but recherché - où il me serait possible de traiter madame Condoleeza Rice de… (non, restons courtois), parce qu’elle explique, sans ciller, qu’elle est certes concernée par le sort des civils libanais mais qu’elle estime que les opérations israéliennes ne peuvent s’arrêter tout de suite.
Des soupçons, on en attire aussi quand on appelle un confrère d’une chaîne d’information pour lui demander des explications sur cette phrase prononcée durant un journal télévisé : « Israël est pris en tenaille entre le Hamas et le Hezbollah ». Avec un peu d’insistance on s’entend dire « règle de l’équilibre et de l’impartialité » comme si les forces en présence étaient de puissances égales. De même, quand on demande à un autre confrère de la presse écrite pourquoi il oublie de mentionner que l’armement israélien est américain quand il précise systématiquement que les roquettes du Hezbollah sont de fabrication iranienne, on n’obtient aucune réponse si ce n’est un soupir agacé. Et défendre les Palestiniens n’est pas sans risque dans un pays où Sarkozy, le ministre de l’Intérieur et candidat évident à la présidentielle, se présente sur TF1 comme « l’ami d’Israël » sans guère de compassion pour les civils libanais. Et que dire de toute cette classe politique, droite et gauche confondues, qui explique la bouche en cul-de-poule que cette guerre d’Israël « est juste »… Comme nombre d’autres événements géopolitiques, cela permet de clarifier les choses.
En France, être pour les Palestiniens, défendre le Liban, pleurer l’Irak, c’est se sentir vraiment à la marge d’une élite médiatico-politique dont on peut se demander jusqu’où va sa sincérité dans son soutien bruyant (intéressé ?) à Israël… « La France solidaire du Liban sans condamner Israël », titre le quotidien « de référence » du soir : totale schizophrénie, oui ! Et c’est dans ce même quotidien que l’on nous explique qu’Israël se sent faible et que c’est ce qui explique son offensive au Liban. Un grand moment de journalisme… Ce qui est aussi dur à accepter, c’est de voir que les Euro-Maghrébins, qui ont habituellement un accès plus facile à la parole publique, se taisent et se terrent. Il y a dans ce lot, les « beurgeois » célèbres qui craignent de ne plus passer à la télé, des ambitieux qui rêvent d’un ministère, des écrivains qui traquent le prix littéraire, des essayistes qui pensent à leurs droits d’auteur et des artistes et des sportifs qui vivent dans la hantise d’être renvoyés dans leurs cités. Mais il est vrai que n’est pas Mohammed Ali qui veut.