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« Si tu ne fais pas allégeance, tu sors de la normalité »

Entrevue / mercredi 17 octobre 2007 par Abou Idyl
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Homme politique, opposant et tunisien, c’est encore possible : le docteur Mustapha Ben Jaafar le prouve, via cette interview parue dans le numéro d’octobre du journal l’Audace

Comment se passe la « rentrée politique » en Tunisie ?

MBJ - Cette formule, traditionnellement reprise après le long repos estival, suppose l’existence d’un jeu politique qui obéit, certes, à un rapport de force mais surtout aux règles de l’Etat de droit. Or, nous ne connaissons rien de tout cela, nous vivons depuis longtemps sous le signe de la négation du politique. Tout est régi sur la base du seul rapport de force, la seule règle étant « Si tu ne fais pas allégeance, tu te mets hors de la normalité ». Les droits fondamentaux de s’exprimer, de s’organiser en parti, association ou syndicat, pourtant garantis par la Constitution, ne sont plus considérés que comme des privilèges octroyés aux proches et refusés aux autres, selon les procédés du marchandage à l’allégeance.

Ainsi le FDTL, légalisé depuis près de cinq ans, n’a aucun accès aux médias « nationaux », télévision, radio… pourtant financés par les citoyens. Les lieux de réunion, publics et privés, nous sont systématiquement refusés. Nos propres locaux sont sous surveillance policière permanente. Nos militants sont intimidés et certains de nos invités sont souvent empêchés de participer à nos réunions ou même de nous rendre visite. La situation est en train de s’aggraver quand, face à la détermination de l’opposition, on assiste à des actes inquiétants comme l’incendie criminel du cabinet de Maître Ayachi HAMMAMI ou l’expulsion du Parti Démocrate Progressiste de ses locaux conduisant ses deux leaders à une grève de la faim illimitée.

En un mot, le pouvoir veut jouer tout seul ou avec des comparses, ce qui revient au même… Comment, dans de telles conditions, peut-on parler de politique, de pluralisme, de compétition ?

N’est-ce pas le signe le plus patent de l’échec de l’opposition ?

MBJ - Peut-on vraiment parler d’opposition dans le contexte qui prévaut depuis plusieurs années et en l’absence des libertés élémentaires ? De même, si elle a sa part de responsabilité, compte tenu les conditions dans lesquelles elle milite, on ne peut pas l’accabler. Nous ne sommes pas en compétition avec les militants d’un parti majoritaire classique. Nous sommes confrontés à un Etat, avec tous les moyens dont il dispose. Nous nous trouvons presque toujours face à des policiers en civils qui agissent selon les « TAALIMETS », des instructions le plus souvent arbitraires. La responsabilité du RCD,« parti au pouvoir » devenu « parti du pouvoir », ne doit pas être occultée et il devra un jour rendre des comptes, ne serait-ce que devant l’Internationale Socialiste, organisation démocratique dont il se prévaut d’appartenir et dont il bafoue les valeurs.

Contre cet absolutisme du pouvoir étatique, n’y a-t-il rien à faire ?

MBJ - Bien sûr qu’il y a beaucoup à faire, et en premier lieu essayer, dans ce contexte d’asphyxie systématique, de s’organiser pour se développer. Nous avons, en dépit de nos modestes moyens, lancé un journal heddomadaire, Mouatinoun. En raison du verrouillage, nous trouvons d’énormes difficultés pour le diffuser et le rentabiliser aux fins d’assurer sa survie. Nous avons dû prolonger la pause de l’été, qui dura deux mois. Et c’est par défi que nous reprenons sa diffusion le 3 octobre avec un numéro bilingue. En deuxième lieu, il est nécessaire de rassembler l’opposition démocratique et crédible derrière un mot d’ordre clair qui viendrait s’ajouter aux revendications classiques des libertés fondamentales et l’amnistie générale…

A quoi pensez-vous précisément ?

MBJ - Je pense aux rendez-vous de 2009. Le pouvoir s’y prépare depuis un an. Une campagne fiévreuse d’allégeance est déjà en place pour appeler le président sortant à une nouvelle candidature pour un cinquième mandat. La campagne, censée être spontanée, frise le ridicule. Y sont mêlées des organisations à caractère syndical, des associations culturelles et même sportives, des assemblées informelles dont on ne connaît ni les initiateurs ni le lieu de réunion. Cela n’a aucun sens et consacre le mépris dans lequel on tient l’intelligence de notre peuple et ses élites. Et le candidat en a-t-il vraiment besoin ? Personne ne peut croire aujourd’hui à l’existence d’une vraie compétition. Mais qui nous empêche d’agir ensemble pour créer les conditions d’une vraie participation ? Qui nous empêche de nous rassembler pour des Elections Démocratiques en 2009 ?

Est-ce vraiment possible vu les divisions qui paralysent l’opposition ?

MBJ - Ces divisions sont réelles, mais elles sont trop souvent amplifiées par la propagande officielle. On peut également penser que certaines tentatives maladroites et inopportunes pour improviser un leadership de l’opposition par des coups médiatiques contribuent à créer malaise et défiance. Je pense, malgré tout, que la partie est jouable à condition que nous cessions, les uns et les autres, de nous comporter en donneurs de leçons comme si quelqu’un ou quelque parti détenait la vérité absolue et la solution miracle.

Plus concrètement, il y a un effort à faire pour que tous les acteurs s’accordent sur l’ordre des priorités du moment. Ce ne sera pas aisé mais c’est possible. Certains partenaires, en dehors du comité du 18 octobre pour les libertés, placent le projet de société à la tête de leurs préoccupations et, ce faisant, rechignent à mener des actions communes avec ceux qui ne partagent pas leurs idéaux. Ils ont des arguments qu’il faut prendre au sérieux et écouter. Ce ne sont pas des éradicateurs et ils ne veulent pas être des alliés objectifs du système répressif. Il faut les convaincre que la grave dégradation que connaît le pays implique une action urgente pour changer l’équilibre des forces outrageusement favorable aux tenants du pouvoir.

Comment le faire sans sacrifier le projet progressiste de modernisation de la société ? La question n’est pas insoluble et le FDTL fera tout ce qui est en son pouvoir pour rapprocher les points de vue, ou tout du moins créer un climat de sérénité qui nous évitera de nous enliser dans des querelles marginales de nature à affaiblir l’ensemble de l’opposition. Un dialogue sérieux est d’ores et déjà engagé avec nos camarades d’Ettajdid. Nous en attendons beaucoup et nous ferons en sorte que 2009 ne soit pas une occasion ratée. Il nous faudra pour cela éviter les erreurs et les malentendus de 2004.

Concrètement, quelles mesures préconisez-vous ?

MBJ - Nous allons en discuter ensemble mais certaines sont évidentes. D’abord, il nous faut conquérir nos droits élémentaires afin d’établir un lien avec la société - car tout est fait pour nous empêcher de communiquer avec les citoyens. Il faut que cela cesse. Il y a ensuite des règles à modifier pour que l’opposition puisse participer aux élections. Pensez que s’il y a aujourd’hui, pour une raison ou une autre, vacation au sommet du pouvoir, selon les lois en vigueur, seul le RCD est en mesure de présenter un candidat à l’élection présidentielle. Ce qui est évidemment une source de blocage et d’instabilité institutionnelle. Nous en sommes là parce que le pouvoir refuse de mettre en place une règle du jeu stable et connue longtemps à l’avance, qui soit susceptible de consacrer le pluralisme des candidatures. Il ne cherche qu’à se maintenir, qu’à s’assurer « le risque zéro » et pouvoir, à la dernière minute, concocter une loi exceptionnelle et transitoire qui vise essentiellement à éliminer ses adversaires de la course.

Quant aux élections législatives, le pouvoir, par une étrange règle de quotas, a mis en place un système électoral dont il maîtrise parfaitement les tenants et les aboutissants. Il assure pour lui-même 80% des sièges et déplace la compétition dans le champ de l’opposition, qui récolte les miettes. Il a ainsi pu intégrer au décor les moins farouches. Ce système, qui ne reflète en aucun cas l’image des composantes politiques, doit changer.

Reste le problème - probablement le plus délicat - de créer les conditions de la participation effective des citoyens : inscription sur les listes électorales, liberté et secret du vote… e.tc. A ce propos, l’idée d’une commission de contrôle indépendante me semble incontournable.

Si je comprends bien, vous êtes pour une participation aux élections prochaines ?

MBJ - Nous n’avons jamais été contre par principe. Jusque-là, nous avons refusé de participer à des pseudo élections dont les résultats sont précisément connus avant même qu’elles ne commencent. Nous avons deux ans pour tout faire afin que les conditions changent. A ce moment là, nous déciderons en fonction de l’évolution de la situation. Le meilleur scénario serait que l’opposition adopte une attitude commune. Il faut y travailler dès maintenant, calmement, méthodiquement. Rassembler implique des impératifs. En premier lieu l’humilité. Il n’y a pas d’un côté les bons intransigeants accrochés à leurs principes et prêts au sacrifice suprême et , de l’autre, les opportunistes qui, dans le meilleur des cas les faire valoir. Il faut certes de la clarté dans les choix. Il faut dénoncer les compromissions, pour des raisons morales, mais surtout parce qu’elles retardent l’heure de la délivrance. Il faut enfin se convaincre que, pour réaliser un objectif, il ne suffit pas d’avoir raison, il faut surtout que la raison soit celle de tous au bon moment, au moment de l’épreuve. Cela ne se fera ni par les incantations ni par les décrets.

Un dernier mot. Quelle issue voyez-vous à la grève de la faim entamée par Maya JRIBI et Néjib CHEBBI ?

MBJ - Je m’inquiète de leur état de santé. Je suis bien évidemment solidaire d’autant que ce qui arrive au PDP peut arriver à toute organisation, parti, ou personne, qui refuse l’allégeance. S’agissant d’un problème qui concerne toute l’opposition, j’aurais privilégié une démarche collective. Mais l’heure est à la solidarité. Cette histoire pathétique illustre bien notre sous-développement politique. Le rôle d’un Etat démocratique aurait été d’intervenir pour assurer aux organisations civiles leurs besoins vitaux : financement public, locaux, publicité dans leurs journaux. Seul le RCD dispose d’un budget illimité, de centaines de locaux gratuits et de milliers de fonctionnaires détachés aux frais de la communauté nationale. Un Etat de droit, un Etat juste, voilà ce dont la Tunisie a le plus besoin.


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5 MESSAGES

Forum

  • « Si tu ne fais pas allégeance, tu sors de la normalité »
    le mardi 23 septembre 2008 à 20:36, Alain Querrin a dit :

    http://tunisie-harakati.mylivepage.com

    Les opposants tunisiens aboient beaucoup mais ne font rien de plus. Ils passent plus de temps à prendre des coups ou à séjourner en prison. Ils devraient modifier en urgence leurs façons de faire mais aussi apprendre à tous travailler ensemble. Les tunisiens sont fort mal représentés, les cas à la Sameh Harakati deviennent du quotidien pour le malheur de la démocratie. Monsieur Ben Ali a encore des longts jours devant lui.

    http://tunisie-harakati.mylivepage.com

  • « Si tu ne fais pas allégeance, tu sors de la normalité »
    le dimanche 21 octobre 2007 à 13:07, petit rapporteur, non, ce n’est pas Jacques Martin a dit :

    Français résident en Tunisie de 2001 à 2004, j’y retourne toujours plusieurs mois par an. Je ressens à la fois que le régime, aussi puissant qu’il puisse apparaitre encore, est à l’agonie et que les Tunisiens, calmes et patients de nature, sont à bout de nerf.

    Une ambiance de fin de règne Le cancer de la prostate du Président le diminue nécessairement, on voit bien que ses interventions publiques sont espacées. Des mauvaises langues ont d’ailleurs émis des doutes sur sa récente parternité : son fils de deux ans aurait été conçu alors qu’il était déjà atteint de cette maladie, tandis que personne n’avait remarqué, il y a trois ans, l’état de grossesse de la Présidente pourtant régulièrement invitée à des manifestations publiques sur les thèmes de la femme et du social, tandis que la disparition totale du paysage d’une des filles du Président, qui aurait fauté avec un garde du corps telle une vulgaire princesse monégasque avant d’aller accoucher discrètement en Suisse, a fait beaucoup jaser. Dommage qu’on ne puisse pratiquer de test ADN ! Quoi qu’il en soit, Ben Ali a refusé l’intervention chirurgicale que lui ont préconisé plusieurs spécialistes, et pas seulement pour pouvoir continuer à honorer Leila. Il a surtout voulu ne pas se trouver en situation de faiblesse physique et risquer d’être destitué ! Les traitements qu’il a suivis font alterner des périodes de rémission avec des périodes où il reste plus encore enfermé dans son bunker.

    Significative est son impuissance à empêcher sa femme de monter une milice privée armée qui, d’après des rumeurs, aurait déjà tiré sur des policiers en tenue venus les désarmer, tandis que le niveau de prévarication jamais atteint dépasse les capacités de résignation de tout un chacun. Oui, oui, vous avez bien lu, il existe aux abords du Palais de Carthage des hommes en treillis et en armes qui n’appartiennent pas aux services d’ordre officiels. Il semble même qu’ils tuent le temps en organisant la prostitution autour du port de plaisance de Sidi Bou Saïd voisin. Et ça, ce ne sont pas des rumeurs, je l’ai vu par moi-même.

    Une autre rumeur fit frémir tout Tunis en mai dernier, lorsque des "terroristes", contrôlés par hasard dans une voiture de location au cours d’un des innombrables contrôles d’identité au bord d’une route, prirent la fuite, furent retrouvés et tirèrent mortellement sur les policiers venus les chercher. Les poursuites, commencées par la police et reprises en main par l’armée, auraient conduit à la découverte d’un réseau et de caches d’armes dans d’anciennes carrières dans les petites montagnes entre Tunis et Hammamet. Invérifiable, naturellement, d’autant que Tunis est un village où chacun reprend et répète ce qu’il a entendu sans jamais prendre le risque de griller sa source, ce qui fait qu’on ne sait pas de combien d’hommes il s’agissait, si un armement lourd pointé sur le Palais de Carthage a réellement été découvert, s’il ne s’agissait que d’Algériens infiltrés (ben voyons), ni même si tout ça s’est réellement produit ou s’il s’agit d’un fantasme nourri par toutes les frustrations accumulées.

    Comme il n’y a aucune information sérieuse dans les journaux, comment savoir ? Savourez sur http://www.lapresse.tn/ , il y a encore ce jour un excellent article d’un pauvre pantin professeur de droit qui analyse doctement comment « La République Tunisienne a pour fondements les principes de l’Etat de droit et du pluralisme et œuvre pour la dignité de l’Homme et le développement de sa personnalité ». Personne n’est dupe, naturellement, d’ailleurs ce journal francophone, introuvable hors les grandes villes, n’est pas lu par la population arabophone, mais seulement pas les milieux économiques, qui y décodent quelques signaux en fonction des thèmes abordés, de la place qui leur est accordée. Cette subtilité byzantine serait-elle un héritage de l’époque de la domination turque ?

    Le mois dernier, un énième remaniement ministériel a rebattu les cartes. On reprend les mêmes et on recommence, en écartant du Ministère du Commerce un des hommes "qui montent", officiellement pour lui demander de bâtir un système de sécurité sociale au Ministère de la Santé, en vérité parce qu’il aurait été trop conciliant sur les pourcentages prélevés par les familles du pouvoir sur les énormes marchés de matières premières alimentaires (patates, lait, etc.) passés par l’État à travers l’Office du Commerce. Ces rumeurs, encore, accréditent l’idée d’un Président honnête qui, en lavant le linge sale en famille, chercherait à éviter ces mauvais agissements.

    Pourtant, la corruption s’est considérablement accentuée ces dernières années. Le petit bakchich, au sens propre du terme ;-) pris par le policier de la route pour rémunérer sa présence debout de jour comme de nuit sous la canicule comme le froid de l’hiver et fermer les yeux sur un éclairage défectueux ou un dépassement dangereux, a subi une inflation de 100% en quelques mois. Si vous glissez les 10 dinars "traditionnels" entre le permis de conduire et la carte grise (6 euros), on vous retorquera que "l’essence a augmenté". Mais le pire, c’est qu’aux plus hauts niveaux des Administrations et de l’Etat, ces pratiques se sont généralisées, de l’obtention rapide de documents réguliers à l’attribution de passe-droits irréguliers, en passant naturellement par la passation de marchés publics.

    Dernier exemple en date, la façon dont une superficie énorme du futur cœur de la capitale, Tunis, a été littéralement privatisée au profit de capitaux émirati l’été dernier. Derrière l’affichage enthousiasmant d’un montant colossal d’investissements qui viendront irriguer l’économie tunisienne, c’est en vérité un quasi rétrécissement du territoire national qui a été acté, tant le contrat donne tout pouvoir au holding de Dubaï pour y faire ce qu’il veut ! Lecteurs parisiens, imaginez qu’en échange d’une promesse d’investissement de 50 milliards d’euros sur 20 ans on concède à des promoteurs immobiliers russes toutes les Batignolles, Saint-Ouen et le Bois de Boulogne sur une simple maquette !

    Deux mois plus tard, comme en 2003, les 3/4 de la ville baignait dans l’eau des inondations, provoquant des morts (une vingtaine officiellement, sûrement beaucoup plus en réalité) et la dévastation chez de nombreuses familles pauvres, parce que tous ces foutus faubourgs ont été et sont toujours construits sans canalisations d’évacuation des eaux !

    La tension peut-elle monter plus encore ? Dans les guides touristiques comme dans les vieux livres, on parle immanquablement des Tunisiens comme de personnes aimables et accueillantes. Au-delà du poncif, la différence de caractère par rapport aux voisins algériens, est manifeste. Quand on sortait des zones polluées par le tourisme dans les esprits plus encore que dans les paysages, on était accueilli spontanément de manière extraordinaire.

    En cette fin d’année 2001, je me souviens avoir emprunté une petite route qui menait au Sud saharien. De très beaux paysages, mais pas de pompe à essence. Je me suis arrêté dans un petit village à la recherche de carburant, la jauge de ma voiture irrévocablement allumée depuis de trop longs kilomètres. Je me suis retrouvé invité à dîner dans une maison où j’ai été accueilli comme un roi par des inconnus qui se sont mis spontanément à préparer un véritable festin. Ils voulaient me garder à dormir pour plus de calme et de sécurité. Comme j’insistais, un voisin m’a apporté un jerrican d’essence ; j’ai appris qu’il avait fait 30 km sur sa vieille mobylette pour aller me le chercher pendant que j’étais reçu comme un pacha !

    Le poids toujours plus oppressant du régime, le durcissement des conditions de vie et, peut-être, l’influence de l’extérieur, ont fait voler en éclat ces modes de vie. Tout ceci s’est totalement étiolé. D’un côté, la lente dévaluation continue du dinar (-40% par rapport à l’euro en 5 ans), la fuite en avant sur un tourisme de plus en plus bas de gamme pour remplir les hôtels, la grande difficulté du secteur essentiel de l’industrie textile à résister à la concurrence chinoise ont rendu la vie au quotidien plus difficile et l’emploi plus rare. Alors, quand à ces problèmes s’ajoute la façon dont les familles du pouvoir ont capté des pans entiers de l’économie, dépossédant les entrepreneurs de leurs sociétés, l’omniprésence des mêmes hommes d’affaires connus pour leurs liens personnels et leur capacité de vengeance mafieuse en cas de contrariété, les multiples mécanismes d’aide et de soutien en trompe l’œil, tout ceci décourage et dégoûte toutes les bonnes volontés. Il y a 5-6 ans, la plupart des Tunisiens qui osaient parler me confiaient : " Oui, il se sert, c’est surtout sa femme et son gendre, mais bon, un autre se servirait aussi. Mieux vaut le garder, maintenant qu’il s’est bien servi, il va peut-être s’en contenter et nous laisser tranquille, alors que si un autre arrive, il faudra qu’il se remplisse les poches et ce sera pire". Et puis, même si l’ostentation était manifeste, il existait encore quelques initiatives "sociales", et une politique économique volontariste pour développer le pays.

    Le piège du pari de l’éducation lancé par Bourguiba se referme sur Ben Ali. Une grande majorité des jeunes entre 18 et 30 ans est éduquée et ne trouve pas de travail à la hauteur de ses compétences, voire pas de travail du tout. Malgré une série d’artifices pour faire durer les études, malgré les stages officiellement non rémunérés à répétition et les aides au premier emploi, le chômage réel de cette tranche d’âge excède probablement les 25 %. Le pouvoir avait « lâché du lest » aux étudiants sur les mœurs, dans un échange officieux. Vous couchez autant que vous voulez, mais vous ne faites pas de politique. Les étudiants ont profité de la vie, mais le boomerang revient à toute vitesse : les filles ne sont plus vierges pour le mariage (forcément, si la plupart sont étudiantes), et les garçons désœuvrés ne peuvent ni épargner ni s’endetter pour construire la maison leur permettant de se marier. Seuls les gynécos sont gagnants, ils recousent discrètement… L’exaspération monte, tandis que les idées islamistes se répandent, parce qu’elles portent une soif de pureté retrouvée, de dignité et de fierté arabe si régulièrement bafouée dans tout le bassin méditerranéen depuis 50 ans, et apporte des repères faciles à identifier à une jeunesse écartelée entre une soif de rêve occidental parfaitement inaccessible dans son propre pays (pas de bon travail, pas de possibilité d’initiative) comme à l’extérieur (pas de visa) et des valeurs morales « arabo-musulmanes » traditionnelles perçues d’autant plus comme supérieures qu’elles s’opposent à l’hypocrisie et au mensonge généralisés en politique comme dans la vie de tous les jours.

    Alors chacun vit au jour le jour, se renfrogne un peu plus et se résigne aux petites bassesses égoïstes pour améliorer son propre sort. Il ne faudrait qu’une étincelle pour mettre le feu aux poudres. L’été dernier, l’expression de détermination farouche d’une relation amicale m’a particulièrement frappé. Lui toujours jovial, le jeune sexagénaire qui a réussi dans les affaires et reçoit et régale de nombreuses personnes, a soudain pris un visage de haine. « Si ça pète, je te jure que je suis prêt à prendre un couteau et à frapper ceux qui le méritent ». Le risque de tout perdre s’efface derrière la soif de restaurer la dignité du peuple et de redonner un espoir à ses enfants, neveux et nièces. Ben Ali a négocié des puissances occidentales qu’elles ferment les yeux sur ses agissements en échange de positions systématiquement favorables à la « modernité » et en agitant le chiffon rouge de la menace islamiste contenue par sa police efficace, contrairement à ses deux voisins algérien et libyens si dangereux. Mais le retour de ces deux pays dans le giron international efface le contraste, tandis que la répression politique aussi discrète que violente étouffe les opposants démocratiques et favorise donc la montée de l’islamisme radical.

    Amis démocrates tunisiens, je vous en supplie, sachez faire passer l’intérêt du pays devant vos divergences d’idées, organisez une résistance nationale et provoquez une alternance démocratique en douceur. En espérant que notre chantre de la rupture, de son Palais élyséen, sache mettre en acte ses discours et sache montrer la fermeté nécessaire pour accompagner le mouvement.

    • « Si tu ne fais pas allégeance, tu sors de la normalité »
      le lundi 22 octobre 2007 à 22:44, Z.A. Alhammami a dit :
      Il n’y a que les Irresponsables du RCD (Rassemblement conspirateur et despotique),le parti fantoche de l’affairiste et magouilleur Bac moins trois et son clan constitué de gens sans foi ni loi ni instruction ni éducation, et les cireurs, lécheurs et pantins ministres qui ne souscrivent pas et qui n’adhèrent pas à cette contribution honnête et juste qui décrit exactement l’état de la Tunisie aujourd’hui.99% de la population la signeraient sans hésitation des 2 mains s’ils étaient libres.Pauvre Tunisie
    • « Si tu ne fais pas allégeance, tu sors de la normalité »
      le mercredi 24 septembre 2008 à 12:59, daly a dit :
      Je voulais réagir à cette plaidoirie de belle facture de notre cher ex-résident français en tunisie, de la part d’un résident tunisien en france !! je trouve désespérant, triste et déprimant de ne pouvoir parler de la Tunisie que sous couvert d’anonymat ou en étant non résidant au pays, ceci résume à lui tout seul, l’idée qu’on se fait (nous autres tunisiens) de l’état de droit qui prévaut dans le pays eslon la terminologie officielle. Il me semble que la Tunisie touche le fond, politiquement parlant et que le danger qui guette ce beau pays est à ses portes, si une réaction populaire ou devrais-je dire un soulèvement populaire, avec l’aide vitale de l’UE et surtout de la France ne survient pas rapidement. En effet, nous ne pouvons rien espérer de "l’opposition", puisque le choix serait tout simplement impossible entre les ralliés au RCD, les opportunistes et les isolés. Notre opposition est tout simplement fantomatique, elle est inexistente.
  • "Si tu ne fais pas allégeance, tu sors de la normalité"
    le mercredi 17 octobre 2007 à 14:12, désespéré a dit :
    Moi je ne crois pas trop à ces opposants qui n’ont ni les moyens ni les capacités pour changer le cours des choses. La seule solution c’est que le RCD implose, il faut que les tetes dirigentes (sans compter bac-3 et cie) se mettent à se bouffer et à créer des pseudos courants… et de là y aura peut être un moyen pour aller vers une démocratie ou tout les partis auront leur mot à dire. Mais le problème, c’est qu’il faut toujours compter avec des acteurs qui sont externes à la scène politique mais qui ont du pouvoir, surtout économique… Les trablesi, les jilanis, les ben ali… et tout ca me rend vraiment sceptique sur une solution à court voire à moyen terme.
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