Jusqu’au 17 mai, le théâtre de la Bastille, à Paris, présente la conférence loufoque et poétique de Pierre Meunier : « Au milieu du désordre », ou l’éloge de l’amorphe et de la durée muette.
Nom : Meunier, prénom : Pierre. Heureuse coïncidence puisque des pierres, on en trouve en quantité dans le bric à brac à la fois forain et savant que cet auteur-metteur en scène-interprète déballe sur la scène du théâtre de la Bastille. De ces modestes cailloux, Pierre Meunier commence par faire un tas. Plus tard, ce seront des ressorts, suspendus à des portiques : notre homme aime les objets simples, à la matérialité brute et au discours sans détour. Points de départ de son théâtre, un théâtre pauvre au sens noble du terme.
Que nous raconte donc ce tas impudemment érigé aux yeux de tous ? Pierre Meunier bâtit dessus un spectacle qui tient à la fois de la conférence burlesque, de l’expérimentation théâtrale et de la performance. Explorant les mystères de la chute et de la gravité, de la tension et de la résistance, il parodie le jargon scientifique et ses emprunts savants, dans la meilleure tradition pataphysicienne, celle des savants Cosinus de tous poils ou de Georges Perec et de son bel article sur la « réaction yellante (yelling reaction) des cantatrices (cantatrix sopranica) soumises au lancer de tomates » (Lire ici)…
Est-ce le tas qui défie le ciel de tout son être ? Est-ce le ciel qui au contraire accueille le tas en son immensité ? Telle est la question débattue par Rebecca Sylvester et le grand Pederotti, tous deux collègues de Pierre Meunier en élucubrations pseudo-savantes et en colloques fantaisistes. En quoi le tas de gravats trouve-t-il sa supériorité absolue sur le château de Chambord ? Espiègle, Pierre Meunier entraîne son public dans une série de questionnements dont le relativisme convoque à la fois le sapeur Camember et Héraclite. Un peu magicien, il dévoile ses objets avec un air de conspirateur, fait danser ses pierres et chanter ses ressorts avec une poésie et une drôlerie intactes jusqu’au bout, en accumulant grivoiseries et calembours, à une vitesse effrénée.
Et cela sans pourtant que le spectacle ne s’arrête qu’au rire. Car le tas de Pierre Meunier, en tant que somme collective de cailloux, est aussi une image sur laquelle méditer, une métaphore offerte, à la fois politique et métaphysique. La tentation d’effondrement perpétuel qui habite chacune des pierres obéit en effet à la loi de l’immobilité du nombre. Raison pour laquelle ce tas, de même que son exact contraire, la voûte, formulent aussi pour le public, soudain devenu plus grave, comme un muet avertissement. Ne sommes-nous pas nous-mêmes soumis aux mêmes lois de la pesanteur et de la « con-centration » ?
Que chacun écoute sa « partie tas », réclame Pierre Meunier. Conseil à suivre à la lettre pour goûter à cette remarquable poésie brute, à la musique et au rire qui l’accompagnent. Une certitude : le tas qui est amoncelé devant nous sur cette scène est, dans tous les sens du terme, une résistance imperturbable à la gravité.