Cette création collective présentée au Théâtre de la Colline par la compagnie "D’ores et déjà" allie un humour féroce à la grandeur de la réflexion.
SCHLAAK !!! Comme c’est beau ! La lame qui s’abat sur la nuque blanche agrémentée d’un petit duvet ! Le sang gicle ! Et des nuées de mouches vrombissent ! Ce n’est ni le Rwanda, ni la Guinée, ni la Corée du Nord, ni la place Tiananmen mais le tsunami de la Terreur sur la place de la Révolution. Nous sommes en 1794, le 9 thermidor an II, et Robespierre prononce son dernier discours à la tribune de la Convention. Le lendemain il sera exécuté ou s’est-il suicidé -l’Histoire ne le dit pas- mais le metteur en scène prend parti de dire oui, il s’est tiré une balle !
Le spectacle « Notre Terreur » est une création collective qui vient d’être présentée au Théâtre de la Colline par la compagnie D’ores et déjà. Il associe un humour féroce à la grandeur de la réflexion. Les questions posées nous interpellent : quels sont nos moyens d’action pour changer le cours des choses ? Faut-il prendre parti pour la Révolution ou la Réforme ? Le radicalisme est-il le ressort nécessaire à la prise de conscience et au changement ? Les interprètes sont très convaincants et la mise en scène intègre judicieusement le chant, la musique et l’art de la marionnette.
Les membres du Comité de salut public taillent leur crayon dans une petite guillotine rouge après s’être exclamés sur la beauté du spectacle de l’exécution capitale à laquelle ils viennent d’assister. Ils ont joui de ce pouvoir ! Ce jouet de mort les attire, leurs pupille brillent du feu de la gloire mêlées de méfiance et de peur d’y passer aussi un jour s’ils ne réussissent pas leur révolution ! .. Exaltés ils se prennent à leur jeu tout en sachant qu’ils n’ont pas droit à l’échec sinon ils sont broyés par l’immense soc d’une charrue sauvage ! Le grand rideau rouge-sang du fond de scène vrombit et claque !
La question centrale du spectacle est placée à son point extrême de trouble : « le gouvernement de la révolution vise à soutenir le despotisme de la liberté contre la tyrannie » déclare Robespierre car « « la terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu… une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressants besoins de la patrie » ! Les personnages sont déchirés par leur soif de pureté, leur engagement pour sauver la République et les décisions tranchantes et sans pitié qu’ils doivent prendre dans la précipitation pour tuer les vampires de la corruption et de l’abus de pouvoir.
Les dissensions sont très fortes au sein du comité. La gangrène a atteint les responsables qui se servent au passage ! Elle est aussi vicieuse que les petits vampires qui minent le pouvoir et sucent le sang : ils s’appellent corruption, abus de pouvoir, mégalomanie, soif de pureté, faux démocrates ! Jusqu’où va la corruption ? Les membres du comité n’ont pas le courage de poursuivre les personnes-amies qu’ils ont eux-mêmes nommées ? Le peuple est en colère et a rumeur de la foule inquiète le Comité.
Robespierre était il-un tyran, un despote ? La question est toujours d’actualité. Tout dernièrement la Mairie de Paris a refusé de donner son nom à une rue de Paris (cf. article de Renaud Chenu « Robespierre à la rue, Delanoë à la Lanterne » publié dans Bakchich du 10 octobre) alors que les historiens eux-mêmes ne sont toujours pas d’accord sur le rôle qu’il a vraiment eu à cette période.
Dans son dernier discours Robespierre liste les vertus de la République qui doivent se substituer aux vices et ridicules de la Monarchie comme la morale, la probité, les principes, l’empire de la raison, le mépris du vice, la fierté, la grandeur d’âme, la vérité, et nous assistons à une République vulgaire, à l’esprit étroit, dont les grands principes sont bafoués et malmenés par des prises de pouvoir intempestives !
Notre Histoire se construit jour après jour et les malentendus sont nombreux – ils persistent sur de longues périodes et notre vigilance est de mise. Comme le dit le metteur en scène du spectacle « Notre Terreur » lorsqu’on analyse la chute du mur comme la victoire du capitalisme sur le socialisme, on s’engouffre dans une perversion de la vérité à long-terme !
Cette création nous interpelle aussi sur les menaces qui pèsent sur ces grandes vertus de la République voulues par Robespierre que ce soit la Justice (présomption d’innocence, juges d’instruction), la Laïcité, la liberté d’expression (Internet), la privatisation des services publics (communication, santé, etc..). L’idéalisme est-il l’ennemi de la politique ?
NOTRE TERREUR Création collective d’ores et déjà
mise en scène par Sylvain Creuzevault avec Samuel Achache, Cyril Anrep, Benoit Carré, Antoine Cegarra, Eric Charon, Sylvain Creuzevault, Pierre Devérines, Vladislav Galard, Lionel Gonzalez, Arthur Igual, Léo-Antonin Lutinier
Après le Théâtre de la Colline à Paris, "NOTRE TERREUR" se joue
du 24 novembre au 4 décembre au Théâtre des Célestins à Lyon
du 17 au 25 mars 2010 au Nouveau Théâtre d’Angers - centre dramatique national des Pays de la Loire
les 8, 9 et 10 avril à Lisbonne - Culturgest
A noter également, jusqu’au 31 octobre, le théâtre de la Colline présente une autre création collective « d’ores et déjà ». Il s’agit du spectacle « Le père Tralalère ». Ne le manquez pas, il est de la même veine, la même énergie que « Notre Terreur ».
Pour cette nouvelle saison, le théâtre de la Colline a choisi comme thème de réflexion pour « Rêves d’héroïsme et de radicalité » afin de « créer des « appels d’air » dans une société où « les normes et les codes, les formes de la vie sociale et les formatages technologiques régissent de plus en plus les conduites et la conception que chacun se fait de soi, de sa propre valeur ou non valeur » (Anne-Françoise Benhamou).
Au programme sur ce thème : « Notre terreur » ; « Une maison de poupée » et « Romersholm » de Henrik Ibsen, « Merlin ou la Terre dévastée » de Tankred Dorst », « La Pierre » de Marius von Mayenburg » et « les Justes » d’Albert Camus. Autour des spectacles des rencontres- débats sont organisées.
On pourra aussi voir au Théâtre de la Colline « Manhattan Medea » de Dea Loher, « Die Ratten » de Gerhart Hauptmann, « L’Eveil du Printemps » d’après Frank Wedekind, « Ciseaux, papier, caillou » de Daniel Keene et « Combat de nègre et de chiens » de Bernard-Marie Koltes.
Théâtre national de La Colline : Tel : 01 44 62 52 00 http://www.colline.fr