Deuxième volet de la saga de feu Dominique Venturi, décédé le 6 avril, ex-figure légendaire du milieu corso-marseillais et ex-proche d’ancien maire de Marseille Gaston Defferre. Comment le sulfureux Nick devint un entrepreneur de BTP choyé par la mairie et comment ces faveurs finirent par le perdre, le conduisant en prison, au milieu des années 80.
Relire le premier épisode de la saga de Nick Venturi, feu le porte-flingues
La martingale ! Ayant échappé aux guerres fratricides du milieu corso-marseillais comme aux soupçons de divers trafics que lui avaient collés les policiers américains, l’habile Dominique Venturi, en temps employé au journal Le Provençal, a trouvé de quoi assouvir son sens des affaires.
Dès 1953, l’année où son mentor politique Gaston Defferre était élu à la mairie de Marseille, Nick a créé la Coopérative d’entreprise générale du Midi (CGEM), spécialisée dans les travaux de bâtiment. Il y a fait entrer comme associés, en 1969, son épouse, son fils Jacques qui a pris la fauteuil de président, et un dénommé Roger Salel, ancien collaborateur du sénateur socialiste Antoine Andrieux, un adjoint de Defferre à la mairie de Marseille, chargé de certaines adjudications de travaux. Un homme fort précieux.
Nick cultive des entrées à l’hôtel de ville. Il est toujours bien reçu, auréolé de sa participation aux faits d’armes de la résistance, de sa présence dans les meetings électoraux de Gaston, et de son rôle de membre influent du parti socialiste marseillais. Après le décès de son oncle Louis Rossi, qui assurait des liens entre la mairie et les Corses, Nick Venturi a trouvé d’autres appuis près de Gaston, dont Antoine Andrieux et Jean Masse, autre adjoint en charge de la voirie.
La CGEM prospère. La société familiale des Venturi réalise un joli volant de chantiers, signés la plupart du temps avec la mairie, ce qui lui assure un chiffre d’affaires annuel d’environ 1,5 millions de francs. De quoi vivre tranquille. Nick en est officiellement le directeur commercial, mieux payé que le Pdg, sans compter de plantureuses notes de frais. Son fils Jacques et son frère Jean montent également, à partir de 1977 une autre société, la Renosit, qui glane des marchés municipaux pour aménager les jardins et enlever les ordures ménagères. Du gâteau.
Mais Nick Venturi a les yeux plus gros que le ventre. En 1978, sa petite entreprise emporte, dans des conditions controversées, un très gros marché de revêtements de sols. Il y en a pour 10 millions de francs. Trop lourd pour la CGEM, qui doit en sous-traiter une partie. Malheureusement, des impayés surgissent. Pris à la gorge, Nick donne à ses sous-traitants sa belle villa, dans le quartier Saint Barnabé, en hypothèque. Les créanciers réclament leur dû. Nick tente de vendre sa maison. En vain.
Plus grave encore : une entrevue avec Gaston Defferre, son vieil ami, tourne mal. Le maire a été prévenu de contrats douteux avec la CGEM. Il est implacable. Nick est désormais barré au parti socialiste, à la mairie, et son entreprise déstabilisée. Coincé, il doit, fin 1979, céder ses parts de la CGEM pour une bouchée de pain à la Spapa, une autre société de BTP.
Celle-ci croit alors que, malgré la situation financière délicate de la CGEM, celle-ci vaut la peine parce que ses dirigeants (les Venturi et Roger Salel) ont des contacts « avec des hommes politiques marseillais » qui assurent des appuis à la CGEM « sans restriction ».
Mais ces « appuis » espérés se dérobent. La Spapa éjecte Jacques Venturi. Comble de malchance, en décembre 1980, Nick brade finalement sa belle villa pour 1,5 million de francs, au lieu des 2 millions espérés. L’acheteur est un certain René Lucet, le directeur de la Sécu des Bouches-du-Rhône, personnage fort en gueule et militant syndical Force Ouvrière, en conflit avec la CGT et avec le ministère des affaires sociales.
La poisse s’accumule. Le 4 mars 1982, le corps de René Lucet est retrouvé au milieu de la chambre de sa villa, gisant dans une flaque de sang. L’autopsie conclut d’abord à un suicide par calibre 38. Mais, selon une deuxième expertise, le suicide est bien étrange : deux balles ont été tirées dans le même orifice !
La mort mystérieuse de René Lucet, déstabilisé depuis plusieurs semaines par une inspection du ministère ayant déniché des « faits graves » dans sa gestion de la Sécu, prend des allures de scandale politique national. Lucet victime de la gauche au pouvoir ! Puis affaires rebondit sur le terrain financier.
Car les enquêteurs tirent des ficelles. Ils découvrent alors l’achat par René Lucet de sa villa à Nick Venturi, à prix cassé. Nick, un ami sulfureux de Gaston Defferre, voilà de quoi les intriguer ! Étendant leurs investigations, ils mettent surtout à jour un ensemble de marchés de BTP passés par la Sécu, les offices de HLM et la mairie de Marseille avec certaines entreprises trop privilégiées.
La CGEM de Nick et Jacques Venturi est l’une des principales bénéficiaires de ces faveurs, grâce à ses « relations privilégiés avec les milieux politiques et administratifs de la mairie de Marseille » noteront les magistrats. L’enquête révèle des monceaux de fausses factures dans d’autres sociétés opérant avec la mairie, où règne une corruption galopante.
Les auditions et arrestations se multiplient. Jacques Venturi est interpellé fin juin 1982. En colère, son père Nick jure qu’il va se battre à mort pour faire libérer « le petit » et promet des révélations fracassantes. Au téléphone, il se lâche [1] : « S’ils me cassent les tintins, je parle de Francisci. Il était avec nous, avec Defferre… je vais pas dire de mensonge, moi, je vais dire la vérité. ». À son ami Jean Masse, adjoint au maire, il répète, menaçant : « Jeannot, je te promets du spectacle. Je me retiens, je veux être calme, mais tu vas voir, quand cela va exploser ! »
Gaston Defferre, alors ministre de l’intérieur de François Mitterrand, est furieux de voir ainsi ternie l’image de sa gestion municipale marseillaise. Lors d’une conférence de presse mémorable, à la mairie, l’austère protestant lance, tel un fauve, le 3 juillet 1982 : « Je serai sauvage. J’irai jusqu’au bout pour que la lumière soit faite. Personne ne sera protégé, qu’il s’agisse de mes collaborateurs ou de mes propres amis. »
C’est un couperet fatal. Un lâchage complet. Nick Venturi est arrêté le 7 juillet, inculpé et incarcéré à la prison des Baumettes. Les magistrats auscultent tous ses comptes et découvrent, notamment, qu’il recevait de la CGEM une rémunération « léonine » ne correspondant à « aucune prestation effective », qu’il s’était fait attribuer illégalement un marché de voirie, tout en touchant également des pots-de-vins sur des contrats passés avec des sous-traitants…
Au procès des fausses factures de Marseille, où il comparaît aux côtés de 80 prévenus, Nick Venturi est condamné en janvier 1985 à quatre ans d’emprisonnement (dont un an avec sursis) pour faux en écriture, escroquerie à la TVA, abus de biens sociaux, corruption active. Son fils Jacques écope de cinq ans, dont deux avec sursis [2]. Les peines sont confirmées en appel quelques mois plus tard. Fin de partie.
Gaston Defferre décède le 7 mai 1986. Lorsqu’il ressort de prison, Nick Venturi a payé ses erreurs. Il devient passe-muraille. Il tente de se faire oublier, naviguant entre son domicile de l’avenue du Prado, à Marseille, et quelques escapades du côté de Tanger où il a gardé quelques attaches.
Mais Nick n’avait plus beaucoup d’illusions sur le sort des porte-flingues…
[1] Rapporté dans Enquête sur les mystères de Marseille, Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut, Robert Laffont, 1984
[2] Son fils Jacques Venturi a refait parler de lui fin 2007 dans l’affaire rocambolesque du Cercle de jeux Concorde, où il est mis en examen, avec des figures connu du grand banditisme et quelques banquiers amis
Bonjour, Monsieur Nouzille
A votre avis, pour quelle raison Marseille reste-elle éternellement, aux mains d’équipes mafieux politiques qui se renouvellent au fil du carnet de nécrologie ?