Volontiers pimpante, provocante, parfois chatoyante mais toujours suffisante, Mme Michèle Alliot-Marie mène son ministère d’un verbe haut, le torse fier. Une posture avantageuse auprès des militaires, gens d’un discernement timide, parcellaire et parcimonieux. Surtout qu’ils ne livrent plus de vraies guerres depuis 1962. Or, rien ne vaut d’entendre des balles pour vous ouvrir les yeux.
Avec procès et corruptions en tout sens, les magistrats oeuvrent au moins dans le réel. Y prendraient-ils des mœurs de soudards ? Le 10 du mois, les juges d’Huy et Pons convoquent ainsi la terrible Dame du Zinc pour la questionner sur l’affaire Clearstream. Un choix bizarre. Le lendemain, elle préside par fonctions les cérémonies du 11 novembre à Paris. Une date exceptionnelle. En 1918, l’Armistice mettait un terme à la pire hécatombe jamais endurée par le pays : un million-cinq-cent-mille morts, le double en blessés, mutilés parfois horriblement.
Auprès de ces épreuves, Mme Alliot-Marie ne pèse pas très lourd. Le timbre de sa conversation généralement mitrailleur laisse même supposer qu’elle ne réfléchit pas plus qu’un projectile. Hors son avenir personnel, aucun sujet ne la passionne. Mais son dossier chez les magistrats leur brûlait-il tellement les doigts qu’il exigeait sa comparution juste la veille du jour où le Ministre de la Défense apparaît sous l’Arc-de-Triomphe dans l’immense dignité de sa position ?
Les républiques bananières se reconnaissent toutes d’après le même signe : elles piétinent les principes, et d’abord l’honneur, pour satisfaire des gangs obscurs. Les ambitions des clans y écrasent toujours l’intérêt général. Mrs les juges du Pôle financier peuvent-ils dire quel bien collectif spécial justifiait une audition aussi singulière la veille d’un jour exceptionnel, quand un peu de décence recommandait un report de 48 heures ?
Avec son aplomb ordinaire, la victime se hissa à la hauteur des circonstances. Une copine de Méry, Roussin, Cassetta, Juppé, quelques autres, sait comment parler dans un cas pareil. Avec un interrogatoire d’onze heures d’affilée, Mrs d’Huy et Pons venaient de lui offrir le régime qu’ils réservent aux suspects les plus coriaces. Hé bien, en leur compagnie, elle ne vit tout simplement « pas le temps passer ». Les Français, eux, n’avaient jamais vu un 11 novembre le Ministre de la Défense sortir à quelques heures de chez un magistrat pour le garde-à-vous, place de l’Etoile. Avantageuse comme toujours, l’Amazone. Quand même un peu palôte, ce matin-là.
Mais nous ? À longueur d’années, nos notables pleurent comme des veaux sur les pertes d’identités dans les banlieues à risque. Mais notre identité nationale, qu’est-ce qu’ils en foutent, les chenapants ?
Aux confidences de Michèle, ses interlocuteurs gagnent en tout cas une réputation de délicieux gentils-hommes. Leur longue, très longue conversation lui fût un vrai bonheur. Des choux, des choux à la crème ces deux-là, de véritables puits d’amour. Elle en remangerait. Souhaitons quand même qu’ils ne l’invitent pas une autre fois à se mettre à table dans les mêmes conditions. À ce traitement, un pays tout entier attrape des indigestions.