L’homme moderne croule sous les mails, que faire, où allons-nous ?
On allume son ordinateur, on attend quelques minutes, le temps que la machine s’échauffe un peu et qu’elle accroche le réseau, durée insignifiante mais qui nous paraît de plus en plus longue et insupportable à l’heure du très haut débit (et dire qu’il fut un temps où l’on possédait un Amstrad CPC464 qui se chargeait à vitesse gastéropodique avec des cassettes…). La connexion a réussi, il n’y a pas de troubles sur le réseau, la clé wep machin chose est bonne, la batterie de l’ordinateur n’est pas à plat : nous voilà donc, sillonnant dans l’immensité du cyber-espace, passant d’un site à l’autre, cliquant et recliquant, oubliant ce pourquoi nous nous étions branchés, nous perdant dans le fil foisonnant des commentaires d’un blog ou d’une communauté 2.0 puis réalisant enfin avec effroi que le total des courriels non lus dans notre messagerie va bientôt atteindre un nombre à quatre chiffres. D’un clic, on pourrait sélectionner ces lignes en gras et faire en sorte que ces messages soient considérés comme ayant été ouverts mais quelque chose (honnêteté, mauvaise conscience ?) nous empêche de trier (et tricher) de la sorte. On se dit qu’il y a certainement parmi eux des textes importants, urgents et qu’on trouvera bien le temps d’en prendre connaissance avant d’y répondre.
Un jour peut-être… Ah, les courriels… Petits textes, grandes conséquences. C’est aujourd’hui le meilleur ami des enquêteurs de tous poils, le « smoking gun », la preuve immédiate par excellence (sans email, pas d’affaire Enron). Le courriel, c’est aussi cette liste incroyable d’actes manqués. Le message confidentiel que l’on adresse à tous ses contacts. D’un seul clic irréversible, une carrière peut-être ruinée, une réputation ternie. Que celui qui n’a jamais reçu de message dont il n’était pas destinataire et dont il était pourtant l’objet, lève le doigt. Les mails… Les sollicitations d’escrocs qui veulent vous faire partager un million de dollars, les canulars, les spams en tous genres et ces chaînes du type « envoyez ce message à dix personnes de votre connaissance si vous voulez connaître le bonheur ». Les gens ont du temps à perdre.
Le courriel, c’est aussi les nouvelles impolitesses à commencer par celles qui consistent, faisons amende honorable, à ne jamais y répondre ou à le faire trop tardivement. À l’opposé, c’est aussi la nouvelle tyrannie. À message instantané, réponse immédiate est exigée. Un petit bip, on abandonne le texte que l’on est en train de rédiger, on lit ce mail venu de n’importe où, on se dit qu’il vaut mieux y répondre et c’est ainsi que l’on perd sa concentration et que l’on relativise cette fameuse productivité qu’offriraient les nouvelles technologies de l’information.
Et puis il y a, plus insupportable encore, les réponses impolies, brutales qui, dit-on, obligent peu à peu les entreprises à éduquer leur personnel sur le thème du savoir correctement rédiger un courriel. Expliquons-nous. On prend le temps de la rédaction, on commence par le « cher monsieur » ou la « chère madame » et, pour être clair et limpide, on fait des paragraphes et des retours à la ligne (des retours chariot, disent ceux qui, jadis, et le présent chroniqueur en fait partie, ont utilisé une machine à écrire). Qu’obtient-on en retour (quand on obtient quelque chose…) ? Quelques phrases laconiques, ni bonjour, ni formule de politesse, ni sidi-zekri. Il faut alors lutter contre l’envie de renvoyer un commentaire rageur. Sensations quasi-quotidiennes d’avoir affaire à un monde de malotrus. Et la généralisation progressive des Blackberry, vous savez ces machines qui permettent de surfer sur internet où que l’on soit, ne va pas arranger les choses. Mais voici qu’une fenêtre s’ouvre à l’écran. Mabrouka49 veut partager ses détails avec nous. Voilà ce qui arrive quand on s’enregistre sur Skype. C’est sûr, cela rend service : téléphoner moins cher, utiliser une webcam pour voir les siens quand on est au loin et même passer par la messagerie instantanée qui, affirment les spécialistes, serait quasiment inviolable.
Oui mais voilà . Tous les jours, ou presque, des Mabrouka65 ou des Jimmy.D.Nipples76 polluent votre écran. Allez, zou, interdisons à cette personne de nous contacter de nouveau. « Blacklister » quelqu’un : quel plaisir. Le phénomène s’est quelque peu calmé mais il fut un temps où la boîte de réception était régulièrement encombrée par un message du genre suivant : « Hssissen d’Azazga souhaite vous ajouter à ses amis sur Facebook. Nous devons confirmer que vous connaissez Hssissen d’Azazga pour que vous puissiez être amis sur Facebook. Hssissen d’Azazga dit : ’Azul, comment ça-va depuis le lycée El-Mokrani ?’. Pour confirmer cette demande d’ajout à un groupe d’amis, cliquez sur le lien suivant. Merci, l’équipe Facebook ». On n’a rien demandé, et, à l’exception d’un célèbre chanteur, on ne connaît pas de Hssissen et encore moins de Hssissen ayant fréquenté le lycée El-Mokrani. On efface donc la requête. Puis viennent d’autres, cinq, dix, cinquante, trois cent dix (si, si, le moteur de recherche de la messagerie est catégorique là -dessus).
Trois cent dix amis ? Mais quelle est cette plaisanterie ? Alors, pour avoir la paix, pour signifier aux mondes virtuels que l’on demeure attaché à ce soupçon de misanthropie sans lequel l’être humain ne serait pas ce qu’il est, il a bien fallu s’inscrire sur Facebook. Non pas pour devenir le copain de Deqqa39 de Sidi-Akacha mais pour y clamer haut et gras qu’on ne veut pas d’amis. Et tant pis si cela fait de la peine à Hssissen d’Azazga ou à Nathalie d’Abou Dhabi. Quoique, remarquez, pour les amies c’est autre chose. Il y a moyen d’être plus souple car il ne faudrait tout de même pas passer pour quelqu’un de psychorigide, n’est-ce pas ? D’ailleurs, il est temps de vous abandonner. Rachida939 de Tachkent vient de nous contacter pour échanger ses détails. Nous allons lui répondre.
Les messages non lus attendront encore un petit peu.
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