Les Grecs la tenaient pour aphrodisiaque au point de l’appeler désir, et les Egyptiens l’avaient quasiment déifiée. Et si Dioscoride lui reprochait de rendre les filles stériles, on sait bien que cela n’empêche point les sentiments ! Cette pilule d’avant la contraception avait don le double mérite d’encourager à l’amour sans conséquence, pour asperger en toute quiétude !
L’asperge n’est ainsi jamais passée inaperçue. Proust lui reprochait de s’amuser à changer son pot de chambre en vase de parfum, et Courtine, dans sa Célébration de l’asperge, rapporte l’anecdote du marquis de Cussy et de sa belle.
Le gourmand lui avait offert une partie de campagne, mais l’amie de son coeur refusa, prétextant une fête maternelle. Il partit donc seul, par un beau matin et, traversant les Halles, vit deux bottes d’asperges, les seules arrivées du jour dans la capitale. Il les voulut acheter, mais fut devancé par un homme qu’il connaissait bien. Dépité, il partit prendre l’air des champs.
Le soir, il retrouva sa maîtresse, et au moment de l’étreinte, la jeune femme voulut d’abord satisfaire un besoin naturel. Lors, le marquis, d’une voix furieuse, se mit à gronder :
Julie ! Julie ! Tu m’es infidèle !
Mais mon ami, comment pouvez-vous croire ?
Tu as dîné…
Chez ma mère, comme je vous l’ai dit.
Non point, friponne ! Tu as dîné chez l’ambassadeur d’Espagne. Et la preuve, la voici : dans tout Paris, il n’y avait aujourd’hui que deux bottes d’asperges. C’est son maître d’hôtel qui les a achetées devant moi ce matin. Or, tu viens de me révéler d’indéniable façon, à la senteur de tes urines, que tu as mangé des asperges il y a peu de temps.
Dans son Roman bourgeois, Antoine Furetière avait bien raison de stigmatiser ces jeunes mangeuses d’asperges, plus effrontées que les pages de Cour, alors qu’autrefois, si quelqu’une eust mangé des asperges, on l’aurait montrée du doigt.
Curnonsky, qui savait ce qu’il mangeait et de quoi il parlait, avait inventé la recette idéale pour accompagner les asperges et qu’il avait bâptisée d’un nom évocateur :
Placer au bain-marie une casserole contenant deux jaunes d’oeufs, une cuillérée à café d’eau froide, un jus de citron, du sel, du poivre et du beurre frais ;
Tourner au fouet jusqu’à ce que la sauce devienne mousseuse, ajouter alors un peu de moutarde, deux feuilles d’estragon et deux feuilles de menthe pilées.
Pas besoin de minerve qui serve
A tenir ta verge !
L’asperge en fait un cierge.
Et la vierge gamberge…
Ingrédients, pour 4 personnes :
600 g d’asperges
80 g de morilles séchées ou 300 g de morilles fraîches
25 cl de Saint-Raphaël blanc
3 oeufs
25 cl de crème fraîche
1 blanc de poireau
20 g de foie gras de canard cru
sel + poivre
Préparation :
Cuire les asperges à l’eau bouillante salée ; égoutter ; rafraîchir et réserver les pointes : passer les queues au mixeur ; ajouter 80 g de beurre fondu, les oeufs, 10 cl de crème, sel, poivre
Cuire le tout au bain-marie dans un moule à dariole beurré
Emincer le poireau ; le faire suer à couvert avec les morilles ; déglacer avec le Saint-Raphaël blanc et laisser cuire doucement
Ôter les morilles ; faire réduire la cuisson ; passer dans un mixeur avec le foie cru et 50 g de beurre
Passer ensuite au chinois au-dessus des morilles et garder au chaud
Sur l’assiette, démouler le flan d’asperges ; garnir avec les pointes et napper avec la sauce aux morilles.
(Par pitié, choisissez des titres moins vulgaires…).
Par exemple, le mot fameux de Proust : "l’asperge… qui transforme les vases de nuit en encensoirs".
Ou celui de l’empereur Auguste qui, selon Suétone, pour parler d’une affaire rondement menée , disait : "citius quam asparagi coquuntur" - "en moins de temps qu’on n’en met à cuire les asperges".
La forme phallique de l’asperge blanche (cultivée en Alsace, et, jadis, à Arpajon), donna lieu à l’expression triviale : "aller aux asperges" (crues !) pour désigner le labeur des prostituées.