Un nègre d’hommes politiques révèle combien écrire est important pour ceux qui n’écrivent pas. Et livre quelques anecdotes à sourire.
Encore un livre de Machin ? Il en sort un tous les ans celui-là, comment fait-il, il ne dort jamais ? Ce que tout le monde sait sans oser le dire, c’est que Machin n’écrit pas ses livres. Il a son nègre attitré qu’il paie pour faire le boulot. Bon.
Mais après tout, Machin n’est pas le seul vilain. Beaucoup d’autres personnages importants et pressés usent et abusent du nègre. Il en est de forts connus. Dont celui qui rôde dans les couloirs de l’Elysée. On murmure qu’il irait même jusqu’à rédiger certains SMS. Mais pour la plupart, nul ne voit le bout de leur museau. Sauf Eric Dumoulin.
Eric Dumoulin a décidé d’écrire un livre signé Eric Dumoulin et non plus signé Machin. Et c’est un régal. Quinze ans, quinze longues années, le nègre Dumoulin a gratté, a raturé, a rajouté, a coupé, a collé, des mots, des formules et des petites phrases pour le compte d’hommes et de femmes politiques.
C’est dire s’il peut les raconter les députés de base qui profitent de « l’incomparable aura érotisante » conférée par leur pouvoir : l’un de ces parlementaire « chassait sans ménagement ses malheureux assistants de son bureau pour s’y enfermer longuement en compagnie de sa belle ». Et les faux reportages télévisuels sur les marchés dominicaux organisés par les candidats aux élections républicaines : une petite troupe de caméra et autres men bidon « les sillonne de long en large, laissant entendre aux chalands que si le candidat bénéficie ainsi de l’attention des médias, c’est qu’il est en tête de sondages secrets » (p. 90).
C’est dire s’il les a entendues et encaissées, les vanités du faux écrivain Machin. Tandis que le nègre qui a fait tout le boulot reste au deuxième plan, le commanditaire « polit à l’infini les phrases chocs qu’il compte asséner aux journalistes ». Et se la joue moi-je-moi-je suis un Artiste, avec des « vous comprenez, chère amie, j’avais en moi l’intuition profonde de ce livre ». Et des « mes idées étaient claires, ne manquait que le fil rouge. Eh bien, croyez-le ou non, il m’est apparu lors d’une nuit de veille durant le vote du dernier budget ». Et aussi des « j’ai compris une chose, très chère : le monde se divise entre ceux qui écrivent et ceux qui n’écrivent pas » (p. 62).
Parmi ses employeurs figure une femme de renom. En 2002, au moment des législatives, il se retrouve chez elle, dans le salon d’un modeste appartement haussmannien de trois cents mètres carrés. Un original de Bernard Buffet « trône au-dessus du canapé ». Mais méfions nous des apparences. La dame est dans la mouise. Une victime, une vraie.
Le mari prévient le nègre : « Nous n’avons malheureusement plus de budget pour vous, cher ami. Vous comprenez, cette campagne s’est avérée plus coûteuse que prévue, surtout avec cet idiot de dissident RPR qui nous a mené la vie dure. Mais si mon épouse l’emporte, vous n’aurez pas affaire à des ingrats ».
Le nègre console et conseille : pour gagner, la dame doit commencer par « retirer ses bijoux dont le plus modeste pèse un an de salaire de l’un de ses ouvriers, tenter de trouver un véhicule immatriculé dans le département d’adoption, recentrer sa communication sur la femme de cœur, empathique, solidaire et soucieuse de l’autre. En un mot, l’exact inverse de sa personnalité réelle » (p. 139).
En 160 pages délicieuses, le nègre dévoile sa vie qui pourrait se résumer à cette boutade. Un ministre en croise un autre. « J’ai vu que tu venais de sortir un bouquin. Qui te l’a écrit ? » Et l’autre de rétorquer : « Et toi, qui te l’a lu ? »
Signé : Le nègre de l’auteur.
Eric Dumoulin, Politiquement nègre, Robert Laffont, 16 € (publié le 07/02/08).