Auteur, entre autres, d’un ouvrage sur les pesticides, Fabrice Nicolino tient un blog sans concession sur l’environnement, Planète sans visa.
Deux scoops pour le prix d’un. Le premier : le Net est un écran mortel, aussi efficace pour suspendre la vie qu’un banal ruban tue-mouches. On s’y colle, on y meurt. Le second : il est parfois aussi enivrant qu’une bouteille de grappa, aussi hallucinant qu’un gentil morceau de peyotl, ce petit cactus qu’apprécient tant les connaisseurs.
La vérité est que je ne sais plus par quel miracle électronique j’ai découvert George Perkins Marsh. Un jour, voilà quelques semaines, j’ai buté sur le nom, puis découvert l’homme. En France, il est totalement inconnu. Aux États-Unis, sa patrie de naissance, à peine moins. Or c’est un géant. De la pensée. De la perspective. Du passé, comme de l’avenir.
Deux mots de biographie. Né en 1801 dans le Vermont, Marsh mène une vie ordinaire de nanti. Son père est sénateur, lui-même sera enseignant, avocat, ambassadeur de son pays en Turquie et en Italie.
Banal ? Très. Ce qui l’est infiniment moins, c’est que, parallèlement, Marsh forge seul, dans son coin, une pensée prophétique, à ce point en avance sur son temps qu’elle paraît inventée par quelque auteur de science-fiction. Son grand œuvre s’appelle Man and Nature, paru en 1864. Les États-Unis sont alors plongés dans la guerre de Sécession, mais, surtout, inventent pour partie l’industrialisation du monde, qui va déferler sur la planète entière. Le rail progresse à toute vitesse vers le Pacifique, à peine moins vite que les chercheurs d’or. Les Indiens et les bisons meurent. Les abattoirs de Chicago deviennent le laboratoire qui inspirera ensuite Ford et ses premières automobiles.
Marsh voit tout cela, mais il en tire une conclusion opposée à celle des amoureux des machines et des prouesses technologiques. À ses yeux, il est manifeste que l’homme devient une force géologique à lui seul, capable de modifier la trajectoire de la planète. Cent cinquante ans avant le livre Effondrement, de Jared Diamond, cent cinquante ans avant l’invention du néologisme « anthropocène » – l’ère de l’homme –, Marsh a compris l’essentiel. Il va même jusqu’à mettre en question le plus clinquant de son époque, dont le canal de Suez ou l’exploitation minière, à l’heure même de la ruée vers l’or !
Bref. Il est le pionnier absolu. Ce qui fait de lui un solitaire définitif. Un homme incapable de se faire entendre. Un gentil garçon débitant des fadaises pendant que la société des humains se lance à l’assaut du ciel. Morale de l’histoire, s’il en est une : parler sans être écouté est une malédiction. Mais gloire à lui !