Bigre ! On savait la justice algérienne souvent aux ordres. Mais pourquoi alors se donner tant de peine à ajourner le procès de la BCIA, une banque qui a mis la clé sous la porte après avoir trempé dans un détournement d’au moins 13 milliards de dinars ?
On a frôlé l’émeute au tribunal criminel d’Oran le 6 novembre dernier. Après moult reports, l’affaire de la BCIA, du nom de l’ex-Banque commerciale et industrielle d’Algérie, doit enfin être jugée (cf. encadré).
Le scandale vaut son pesant de cacahuètes : 13 milliards de dinars (NDR : 132 millions d’euros) publics détournés, 57 prévenus dont onze en cavale.
L’affaire de la BCIA, connue en Algérie sous le nom d’affaire des “traites avalisées” éclate en 2003. Elle porte sur des détournements de fonds publics évalués à 13 milliards de dinars au détriment de la Banque Extérieure d’Algérie, la BEA. Ce détournement a été opéré par des employés voyous de cette banque d’Etat qui s’étaient acoquinés avec la direction de la BCIA. Pour faire simple, des traites en devises étaient avalisées par la BCIA et encaissées par des commerçants véreux auprès de la BEA jusqu’à ce que feu la BCIA n’arrive plus à les honorer. Depuis, la Banque commerciale et industrielle d’Algérie a mis la clé sous la porte, jetant sur la paille de nombreux épargnants. Les accusés encourent jusqu’à dix ans de prison mais de là à ce qu’ils soient jugés…
C’est notamment le cas d’Ahmed Kharroubi, ex-patron de la BCIA, qui, échappant à l’extradition, clame son innocence depuis la France, courriers fielleux à l’appui. « Certains fonctionnaires liés à l’affairisme, qui dans l’ombre, veulent, par institution judiciaire interposée, détruire la vie d’un homme qui n’a rien à se reprocher », se plaint le pauvre pédégé, tout en réclamant une commission d’enquête indépendante.
Le jour du procès, il y a une foule de marché au tribunal : 46 accusés présents, une dizaine de témoins, une centaine d’avocats de la défense et des parties civiles, une vingtaine d’avocats stagiaires, des journalistes en pagaille et un public touffu. Alors que la justice prévoit que de tels procès puissent se tenir en dehors du tribunal si besoin est, elle n’a rien trouvé de mieux que d’entasser tout ce beau monde dans une petite salle destinée à accueillir une vingtaine de personnes. Résultat : des accusés qui débordent sur les genoux du jury, un président qui s’égosille à réclamer le silence faute de micro, des avocats qui s’insurgent, des parents d’accusés tournant de l’œil. Il ne manquait que les youyou et on ouvrait une kermesse. Toujours est-il que moins de deux heures plus tard, le procès est ajourné sine die. Raison officielle ? Inconnue au bataillon. Dire que la veille, le procureur général s’était fendu d’un point de presse, vantant le caractère exemplaire dudit procès et patati, et patata…
L’Algérie sait décidément bien traiter les scandales politico-financiers. Réfugié à Londres depuis 2003 et la chute de son empire, Rafik Khalifa coule des jours paisibles dans la capitale britannique. Son procès ? Toujours annoncé, jamais tenu. Difficile de traîner devant la justice un hommes d’affaires présenté par Bouteflika lui-même comme le symbole du renouveau algérien. Particulièrement proche, les deux loustics ont sans doute des cachotteries en commun. La Khalifa Bank a compté parmi ses clients de nombreux institutionnels liés au premier cercle du président…jusqu’à sa mise en liquidation judiciaire, à l’orée 2003. Le groupe Khalifa aurait connu une croissance un peu trop rapide pour ne pas être mortel. Et dans sa chute, l’ami Rafik aurait usé de méthodes peut orthodoxes, légalement parlant, pour sauvegarder son patrimoine. La très indépendante justice algérienne enquête elle sur la présumée dilapidation de 50 millions d’euros. Une petite fortune, d’autant plus intéressante qu’elle appartenait à des proches de Boutef’.
Coup de maître que celui de la salle d’audience miniature ! Toute la presse s’est empressée de se focaliser sur l’incurie de la justice algérienne. En revanche, pas une voix ne dénonce l’étrange absence de certains individus pourtant susceptibles d’apporter un témoignage fort utile. Il ne s’agit bien sûr pas de ceux qui cavalent en Europe mais de zigotos coulant des jours paisibles en Algérie, loin des tracasseries juridiques. Comme ce haut dirigeant de la BEA d’Oran, centre névralgique de l’affaire, proche parent de Yazid Zehrouni, le ministre de l’Intérieur. Sans doute une coïncidence.