Le très sérieux institut de recherche CREDOC recommande curieusement, dans les habitudes de bonne consommation, de boire… des sodas. Au point de faire sponsoriser ses travaux par Coca-Cola qui, depuis bientôt cinq ans, se prétend spécialiste de l’hydratation pour faire oublier l’image du fabricant de boisson saturée en sucre.
« Les Français ne s’hydratent pas assez sous quelque forme que ce soit ». Ce refrain nutritionniste a été repris en choeur le 20 mars, dans le cadre du Medec, le congrès annuel de la médecine générale, à l’occasion de la « Présentation pour la 1ère fois des résultats de l’enquête CREDOC sur le comportement et la consommation de boissons en France ».
A priori, le CREDOC, c’est du sérieux. Créé il y a plus de cinquante ans, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), directement placé sous la tutelle du ministre chargé de la consommation et du commerce, étudie depuis 1978 les modes de vie de la société française. Grâce à une constante subvention de l’État, le CREDOC a ainsi publié plus de 3 000 enquêtes qui, à en croire le vocable de sa propre présentation, constituent une « garantie de professionnalisme, (…), d’impartialité et d’indépendance de ses conclusions ».
Le CREDOC a donc délivré, le 20 mars, les résultats de sa dernière étude, faite « d’impartialité » et « d’indépendance », sur les carences de boissons des Français. Une carence, écrivait Le Point, aux effets tragiques : « Une mauvaise hydratation entraîne une baisse des performances physiques et intellectuelles, des maux de tête et des problèmes tels que des infections urinaires, des calculs rénaux ou de l’hypertension artérielle ».
Au-delà de cette observation, l’étude du CREDOC allait encore plus loin en avançant des conseils de consommation. Comme le résumait parfaitement le titre d’un article de Destination Santé repris en page d’accueil de Yahoo Actualités, le message aux Français se résumait d’un « Buvez, buvez de l’eau… mais pas seulement ».
Un point développé lors de la conférence de presse par le docteur France Bellisle, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste de la nutrition : « Variez vos boissons, il est plus facile d’atteindre la norme recommandée ». Si parmi les produits cités par Bellisle figurent les boissons lactées et chaudes telles que le thé ou le café, le plus étonnant reste la recommandation de boire des… sodas.
Un point suffisamment mis en avant pour conclure un papier de France Soir publié au lendemain de la présentation du CREDOC : « Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les boissons rafraîchissantes sans alcool, en particulier les sodas, contribuent peu aux apports caloriques, et, toujours selon l’étude, il n’y aurait pas de corrélation entre ces boissons et la prise de poids. Encore un résultat qui en fera déculpabiliser plus d’un ».
Pour résumer, alors que la crise d’obésité devient chaque jour un peu plus un problème majeur de santé publique, des nutritionnistes, dans le cadre d’un rapport publié par un organisme vivant des deniers de l’État, recommandent la consommation de sodas et conseillent « aux parents de ne pas diaboliser le sucre, (…) réservons les boissons avec édulcorants aux enfants qui ont de vrais problèmes de poids » !
Ces étranges conclusions méritent quelques explications. Le premier indice – et il est de taille – figure dans le coupon-réponse de l’invitation à assister à la présentation de l’enquête du CREDOC ( encore consultable ici. La fameuse conférence de presse est ainsi présentée comme un événement conjoint entre le CREDOC, le Medec et… Coca-Cola France. Cette association est d’autant plus importante que ce sont les coordonnées de Florence Paris, directeur de la Communication Corporate de la branche française du géant d’Atlanta qui apparaissent sous la mention « contact presse ». Ainsi, un journaliste désireux de recevoir par courrier ou par email, le dossier de presse intitulé « Que boivent les Français ? » doit en faire la demande auprès des services de communication de Coca-Cola France. Une omniprésence qui explique peut-être pourquoi après les questions du genre « Les Français boivent-ils suffisamment ? (…) et Pourquoi l’hydratation est-elle importante pour la santé ? », la conférence du Credoc se proposait d’ouvrir un chapitre sur « Les boissons rafraîchissantes sans alcool : en pratique, hydratation et plaisir ».
Interrogée par Bakchich, Florence Paris a confirmé que « Coca-Cola France en 2007 a demandé au CREDOC les résultats spécifiques sur la consommation de boissons et en a financé l’exploitation, comme couramment pratiqué par le CREDOC ». Un usage qui favorise le mélange des genres et, in fine, brouille le message pour le consommateur, lequel ignore que les informations présentées comme venant d’un organisme public sont, en réalité, « sponsorisées » par un industriel.
Il faut d’ailleurs s’interroger sur le sens donné par Coca-Cola au terme « financement ». A en croire la représentante du groupe, Coca-Cola s’est borné à acheter une partie des résultats d’une enquête scientifique du CREDOC. Sollicitée par Bakchich, Pascale Hebel, la directrice du département consommation au CREDOC n’a pas donné suite à nos demandes de précision.
En fait, c’est France Bellisle, la nutritionniste et caution scientifique de la présentation, qui nous éclaire sur le rôle joué par Coca-Cola : « La société Coca-Cola n’a pas participé à l’acquisition, ni au traitement des données. Cependant, elle a ajouté des questions et suggéré d’étudier des aspects spécifiques de la prise de boisson, par exemple la consommation de boissons sucrées à différents âges de la vie ».
Mieux encore, Bellisle confirme avoir « travaillé ensemble avec Coca pour préparer la conférence. Plusieurs réunions de préparation ont été nécessaires. Il a fallu s’entendre sur la présentation des données et préparer des diapos susceptibles d’être comprises. Ce travail n’est pas différent qu’il y ait ou non contribution d’un partenaire industriel ».
De toute évidence, le rôle joué par le géant de la boisson à bulles, aux côtés de médecins et d’un organisme dépendant en partie de l’État, dépasse largement celui d’un simple financement. Il soulève une autre question : en orientant l’étude sur certains aspects scientifiques, Coca-Cola s’assure-t-il que le message délivré serve aux mieux ses objectifs commerciaux ?
En réalité, ce type d’étude colle à la stratégie mondiale adoptée par le géant américain. Ainsi, cela vous a peut-être échappé mais depuis bientôt cinq ans, Coca-Cola n’est plus un fabricant de boisson saturée en sucre mais un spécialiste de l’hydratation ! Ce positionnement est martelé dans chaque discours corporate (voir par exemple celui-ci en 2005), sur l’emballage de ses produits aux USA et sur internet, où désormais la marque explique comment éviter les problèmes de déshydratation en buvant ses produits (ainsi pour « découvrir plus de 80 moyens de s’hydrater », il faut cliquer sur hydration.thecoca-colacompany.com).
Ce position de la Compagnie correspond à deux tendances. D’abord l’appétit du consommateur pour les produits considérés « bons pour la santé » et surtout la volonté de la marque de ne pas être pointée du doigt lorsque l’on évoque la crise mondiale d’obésité. La cause de l’hydratation est donc un vertueux cache sexe, d’autant plus douteux que, comme le rappelle les chercheurs de l’université de Clemson, au-delà de son absence de valeur nutritionnelle, de sa teneur en sucre, le soda contient souvent de la caféine. Un diurétique entraînant via l’urine une perte de fluides et donc de la… déshydratation !
Que Coca-Cola souhaite que les Français ne boivent pas que de l’eau est forcément dans l’ordre des choses. Que le CREDOC serve de tremplin à ce genre de message ne l’est pas vraiment, même si l’organisme n’a jamais caché travailler « contractuellement pour des entreprises privées ».
Demain, la suite de cette enquête : des liens de Coca-Cola avec certains scientifiques.
Vous avez peut-être lu la réponse de Rochefort (Crédoc) sur le blog de l’émission On refait le monde
http://blogs.rtl.fr/onrefaitlemonde/
@au redac’chef de Destination Santé : j’espère que vous publirez les résultats d’une récente étude américaine (papier du Figaro la semaine dernière et du Parisien d’hier) démontre qu’il n’existe aucune preuve scientifique de la nécessité de boire 1,5 litre d’eau par jour… Serions-nous bernés par vos clients annonceurs ?