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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Ces beurs qui vont voter Le Pen

Chronique du blédard / lundi 16 avril 2007 par Akram Belkaïd
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Il y a plus de dix ans, alors que j’étais en reportage dans le nord de la France, j’ai interviewé une famille française d’origine maghrébine dont le père, la mère et les deux filles, m’ont soudain affirmés qu’ils voteraient à l’avenir pour le Front national. Je me souviens de notre discussion comme si elle datait d’hier. Nous étions réunis dans leur salon (banquettes, tapis, gros coussins avec thé et sodas servis sur une petite table) et mes questions tournaient autour de l’incertain retour au pays, ce mirage poursuivi par des milliers de franco-maghrébins de la première génération et dont, à l’époque, il ne restait déjà plus grand-chose.

« On est d’ici maintenant. Rentrer au bled, c’est fini. On est tellement français, qu’on va voter Le Pen », m’a dit la mère dans un français laborieux. Elle parlait fort avec de grands gestes, approuvé sans la moindre once de gêne par son époux et sa progéniture. « Les seuls qui sont venus taper à notre porte sont les gens du Front national. Pour les autres, on n’existe pas », a surenchéri l’aînée, consciente de mon trouble.

De retour à Paris, je me souviens que de nombreux confrères et amis n’avaient pas voulu me croire. La chose — des Maghrébins votant Le Pen ( !) — leur paraissait impossible ou relevant d’une plaisanterie de mauvais goût. Moi-même, j’ai vite mis de côté cette anecdote et j’avais tort. Erreur professionnelle… La percée du Front national au sein de la population française d’origine étrangère n’était pas une fiction et j’aurais été inspiré d’orienter mon enquête là-dessus.

Depuis, rares sont ceux qui contestent l’influence grandissante du FN chez les minorités visibles comme en témoigne la visite hautement symbolique de Jean-Marie Le Pen sur la dalle d’Argenteuil. On se souvient aussi de l’affiche électorale de ce parti qui représentait une Beurette incitant à voter FN et on serait sot de négliger l’impact du soutien apporté à Le Pen par Dieudonné et l’écrivain Alain Soral. Aujourd’hui, à Sarcelles ou dans les quartiers nord de Marseille, le patron de l’extrême-droite française peut désormais compter sur quelques dizaines de milliers de bulletins de vote supplémentaires, ce qui n’incite guère à l’optimisme pour le résultat du 22 avril prochain. Que s’est-il donc passé pour que l’on en arrive à cette situation ?

Il y a d’abord un premier constat. Les principales victimes de l’insécurité entretenue par les voyous qui sèment la terreur dans les quartiers, sont leurs voisins qui partagent, le plus souvent, la même origine qu’eux.

Et c’est sur cela qu’a (bien) joué la propagande du Front national. « Les militants du FN nous expliquent qu’on n’a rien à craindre d’eux. Qu’ils nous respectent en tant que Français et qu’ils ont besoin de notre aide pour mettre de l’ordre dans la cité. Il y a des gens sensibles à ce genre d’arguments », m’a dit un jour un jeune comptable d’origine algérienne vivant à Juvisy.

De l’extérieur, les « quartiers » sont vus de manière uniforme avec l’image récurrente de populations soudées contre « les autres », habitants des villes, « gaulois » ou autres supposés nantis. Rien n’est plus faux.

Les tensions au sein d’une même cité, voire d’un même immeuble sont importantes. Contrairement à une idée reçue, la solidarité y est rare et, si les jeunes font les quatre cent coups ensemble, les parents, dépassés, s’épient, se jalousent et s’en veulent mutuellement. Il y a, par exemple, un phénomène dont on parle peu dans la presse française et qui est celui de la délation. Comme dans certains villages, les lettres anonymes dénonçant le voisin qui touche des allocations familiales ou un RMI indus ne sont pas rares.

Comme ailleurs, on y pourfend « les profiteurs » et on maudit ceux qui amènent le désordre et qui, finalement, sont les responsables de cette punition collective qu’est la stigmatisation des quartiers et de tous leurs habitants.

Et quand un militant du FN se pointe et affirme la main sur le cœur qu’il sait distinguer le bon grain de l’ivraie, il est souvent bien mieux entendu et accueilli qu’un agité du karcher ou qu’un vague représentant du PS.

Une autre raison majeure de la percée du Front national chez les Beurs, c’est, qu’en France, ce parti n’est plus perçu comme un danger et le travail de séduction entrepris par Marine Le Pen n’en est pas la seule explication.

En bref, le FN ne fait plus peur aux franco-maghrébins du fait de sa banalisation d’autant que ses idées ont été récupérées d’une manière ou d’une autre par le reste de la classe politique.

Les élites françaises ne parlent presque plus du Front national. Cela fait des années maintenant que Le Pen n’est plus présenté par elles comme « le » danger car médias et intellectuels spécialistes de l’indignation se sont trouvés d’autres causes. Pendant ce temps-là, l’extrême-droite prospère et le reste de la classe politique s’aveugle et refuse d’admettre que le FN n’est pas simplement la captation conjoncturelle de toutes les frustrations des Français mais bien une force politique avec laquelle il faut compter. Dire par exemple que Bayrou est « le troisième homme » est hasardeux car c’est bien Le Pen qui joue ce rôle.

Un an à peine après le 22 avril 2002, c’est l’affaire du voile qui a fait couler le plus de salive dans les partis politiques, à droite comme à gauche. Mais qui s’est inquiété du fait que les troupes du FN, celles qui défilent le 1er mai rue de Rivoli à Paris, étaient rejointes par des militants de plus en plus jeunes ? Personne ou presque. Tout à leurs stratégies pour conquérir leur parti après le retrait de Jospin, les poids lourds socialistes ont oublié que l’extrême-droite est un adversaire redoutable et le PS risque de s’en mordre les doigts dans les prochains jours. Quant à la droite, toute occupée à fonder son parti unique, elle a aussi longtemps négligé le FN avant de croire qu’il serait électoralement rentable de chasser sur ses terres.

Enfin, il y a un autre phénomène qui pousse certains Beurs à voter Le Pen. C’est l’envie de perturber le système, de « foutre la m… », pour dire les choses de manière triviale. Les manifestations d’entre deux tours en 2002 ont eu cet effet étrange qu’elles ont convaincu de nombreux habitants des quartiers populaires que Le Pen, élu, nuirait plus aux Français des belles villes et des beaux villages qu’à eux. Raisonnement idiot mais contre lequel la classe politique républicaine ne s’est guère mobilisée. Attention, le 22 avril, il y aura encore danger…


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21 MESSAGES
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Forum

  • Ces beurs qui vont voter Le Pen
    le mercredi 2 mai 2007 à 00:03
    A votre avis pour qui vont voter les "beurs" qui votent le pen au second tour ?
  • Ces beurs qui vont voter Le Pen
    le mercredi 18 avril 2007 à 01:30
    akram belle caid… le maniement du karcher n’a plus de secret pour toi non plus ! en effet t’y vas pas avec le dos de la cuillère ! à tel point que je ne sais pas ou commencer ? il serait bon que tu enlèves tes lunettes de protections l’ami ! les verres grossiers dont elles sont faites t’aveuglent et par la meme fausse ton analyse !!…t’as rien compris ! le pen vaut mieux qu’un sarko tu l’auras soit !…une analyse ???
  • Ces beurs (Pardon ??? Ces quoi ??) qui vont voter Le Pen
    le mardi 17 avril 2007 à 15:44, MH a dit :

    Bonjour à tous,

    J’espère que par "commentaire poli et argumenté", vous n’attendez pas que tous s’agenouillent devant votre analyse un peu bancale du report des voix de ces français de seconde zone que l’on ne cesse de renvoyer à leurs origines. Et qui par réaction finissent par se définir eux-mêmes en fonction de ce regard, reste de la vision colonialiste du monde (Peaux noires, Masques Blancs).

    La gauche et la droite traditionnelles n’ont que faire de ces personnes qu’ils désignent avec un rien de paternalisme comme issu de l’immigration. Ne leur en déplaise, je suis issu du bas-ventre de ma génétrice à l’hopital intercommunale de Montreuil. Ne voyez vous pas que le problème réside dans cette notion plus que vague d’origines.

    A la question plus que récurrente :"Mais d’où venez vous ?", "De quelles origines êtes-vous", "Etes vous chinois ?", j’avais l’habitude de répondre comme tous les enfants des cités. Je répondais bêtement : "Oui je suis d’origine cambodgienne, mais j’ai aussi des origines algérienne" et de rajouter connement "mais je suis français".

    Une décennie est passée, je me suis intéressé à la politique au mécanismes de stigmatisation de ceux que vous appellez "personnes de couleurs", "personnes colorés", "notre ami chocolat" (non là j’éxagère et le concède bien volontiers. C’est à se demander si les autres ne sont pas transparents.

    Prétendre que ces personnes vont voter Le Pen parce qu’il se sentiront plus français est trop facile, ces personnes sont française, sinon elles n’auraient pas le droit de vote. Ces personnes vont voter Le Pen car ils ont voté extrême-gauche, PS, UMP, même au centre et qu’au final leur situation a été instrumentalisée à chaque élection. Croyez-vous réellement que ces personnes qui après une journée de travail se retrouvent erreintés dans leur ascenseur qui pue la pisse soient abrutis, au point de croire que quelqu’un se soucie d’eux dans le système actuel ?

    Bien évidemment qu’il y a des racistes au FN, plus ou moins que dans les autres partis, cela n’a jamais été démontré. En effet, entre les racistes conscients de leur état et ceux qui ne se doutent pas que les schémas qu’ils ont l’habitude d’appliquer procèdent d’une vision racialisée du monde, je pense que dans tout le spectre politique français est atteint, c’est kif-kif.

    Quant on entend Kouchner ou Frêche se demander où sont les blancs dans l’équipe de France, je ne vois pas ce qu’ils ont à envier à ceux du FN qu’il faut combattre. Et comment mieux combattre, si ce n’est de l’intérieur.

    Evidemment qu’une répartition des richesses plus juste va déplaire à ceux qui se nourrissent le mieux sur le dos de la bête France agonisante. Il est ridicule de réduire l’envie de certains jeunes de banlieues de court-circuiter ce système. Ca procède du même mécanisme qui permet à tous de dire qu’il n’y a pas assez de "minorités visibles" à la télévision, et de se voir interdire la question pendante : Pas assez de… Mais trop de quoi alors ? Le système se mord la queue et si vous y réflechissez, le FN aura la pouvoir cette année ou dans 5/10/15 ans, alors pourquoi ne pas accélerez le processus ?

    Bien à vous, MH.

  • Ces beurs qui vont voter Le Pen
    le mardi 17 avril 2007 à 13:00, n’importe quoi a dit :

    Bonjour,

    Je ne suis pas d’accord, ceux qui remplissent les rangs de Le Pen sont des harkis, ne mélangez pas.

  • Ces beurs qui vont voter Le Pen
    le mardi 17 avril 2007 à 11:43, François a dit :

    Votre article est excellent ! Ce qui vous est arrivé, m’est arrivé il y a un peu moins de 5 ans alors que j’étais candidat (pour la première fois) aux législatives (pôle républicain). J’étais sur un marché d’un quartier populaire. Discutant avec un gars, celui-ci me prends par la manche et me tire vers ses amis.

    Je tiens à dire qu’ils étaient autant noirs que maghrébins ou blancs. Tout colorés qu’ils étaient, ils étaient comme des villageois de leur quartier, ils l’aimaient. Là ils me disent qu’ils en ont assez de la "pagaille" (c’était pas le mot utilisé ;-) qui règne dans leur quartier, des rodéos, par exemple, qui font qu’ils ne peuvent ni laisser leurs enfants jouer dehors, ni même les laisser aller à l’école seuls, alors qu’ils n’auraient que la rue à traverser et le terre-plein central. A l’époque nous étions au début de la coupe du monde, les voyous en question avaient incendié les boîtiers de la télévision par le câble, ce qui faisait qu’ils n’avaient plus la télé. Ils étaient furieux et personne ne faisait rien. Ils me donnent mille autres exemples.

    « Vous trouvez ça normal ? » « qu’est-ce que vous faites pour nous ? » « On ne vous voit que lors des élections » « Y’a que le FN qui veut mettre de l’ordre » Et ils m’ont affirmé qu’ils avaient tous voté FN aux présidentielles et qu’ils feraient de même pour les législatives… je suis tombé de haut. Sur le coup j’ai cru qu’ils me charriaient. Puis j’en ai croisé d’autres.

    Reconquérir tout ce monde des quartiers populaires à la politique (et la couleur n’y est pour rien) ne se fera pas en une fois mais la première chose à faire et à dire, c’est de faire comprendre que le FN ne fait que renforcer le "système" contrairement à ce qu’il prétend, car comme il s’empare de tous les thèmes qui permettraient de débloquer la situation (contestation de l’Europe, de l’ouverture de la France à la globalisation, etc.) et mélange ces thèmes à des propos ignobles, il les discrédite et place les gens dans l’alternative stérile d’être soit avec l’UMP-PS (qui sont sur le fond en accord sur ces questions Europe-globalisation, d’où le chômage et les pb qui s’en suivent), soit avec l’horrible fâcheux. Sinon ça fait longtemps qu’on aurait débloqué la situation.

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