« Bakchich » a rencontré des membres du mystérieux réseau « Anonymous » qui veut détruire la Scientologie et enquêté sur le sujet. Reliés en permanence par Internet, ces anonymes n’ont ni chef, ni organisation. Ce qui ne les empêche pas d’être très actifs. Samedi 15 mars, un peu partout dans le monde, ils se rassembleront devant les sièges locaux de la secte. Dont celui de Paris.
Pour un peu, on se croirait dans le film Matrix. La superproduction mettait en scène une poignée de résistants, tentant de libérer leurs congénères de la réalité virtuelle dans laquelle les avaient plongés des machines cybernétiques. Sauf qu’ici, la machiavélique intelligence artificielle s’appelle l’Eglise de Scientologie. Et les résistants se sont baptisés « Anonymous », les anonymes. Un réseau international d’internautes qui a entrepris de détruire l’organisation fondée, voici un demi-siècle, par l’auteur de science-fiction américain Ron Hubbard.
Ce samedi 15 mars, passant du virtuel au réel, ils manifesteront, un peu partout dans le monde, devant les sièges locaux de l’Eglise de Scientologie. Pour la deuxième fois. Le 10 février, déjà, une bonne dizaine de milliers d’anonymous se sont rassemblés pacifiquement à New York, Los Angeles, Boston,Washington, Toronto, Melbourne, Sydney, Oslo, Londres, Dublin, Bruxelles…
Une cybermanif planétaire. Du jamais vu dans l’histoire mouvementée de la secte. Car, jusqu’à présent, il n’y avait que les victimes et leurs familles, épaulées par des organisations anti-sectes, pour se mobiliser. Autrement dit, pas grand monde.
Pourquoi cette hargne contre l’Eglise de Ron Hubbard ? L’affaire a démarré en janvier avec la mise en ligne, sur le site de Gawker, un média new-yorkais, d’une vidéo interne à la Scientologie dans laquelle un Tom Cruise, passablement halluciné, ne tarit pas d’éloges sur l’organisation. Une contre-publicité. Aussitôt, les avocats de la secte exigent le retrait du document. Le site refuse. Et le net s’enflamme.
Dans les heures qui suivent, les sites internet de la Scientologie sont assaillis par des milliers et des milliers de requêtes qui saturent les serveurs. Dans la foulée, quelques gentils hackers s’en donnent à cœur joie. Anonymous est né. Quelques jours plus tard, une vidéo commence à circuler. Vue près de deux millions de fois, elle déclare la guerre à la secte « La connaissance est gratuite. Nous sommes Anonymous. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas »
Dans les forums, on élabore le projet « chanalogy ». En gros, comment dézinguer le plus efficacement possible – sans violence, toutefois - l’empire édifié par Ron Hubbard. Au programme des manifs mensuelles, partout dans le monde, et une guerre de tous les instants dans le cyberespace. Les sites de la secte sont saturés de commentaires assassins. On ferraille sur les « chats ». Des petits malins ont la bonne idée de mettre en ligne les œuvres complètes de Ron Hubbard. Une initiative qui fait s’étrangler de rage l’etat-major de la secte. Car elle perd là une bonne part de ses recettes. Réputés hautement confidentiels, ces livres et bulletins techniques sont vendus fort chers à des adeptes qui sont tenus – le mot est faible ! - d’ouvrir largement leur porte-monnaie. Bref, c’est le fonds de commerce qui fout le camp.
En France, l’insurrection en est encore à ses balbutiements. A Paris, le 10 février, ils n’étaient qu’une vingtaine à manifester devant le Celebrity center, - le bâtiment réservé aux VIP de la secte - rue Legendre, non loin du square des Batignolles. Un succès mitigé que les Anonymous français attribuent à la nouveauté de leur mode de communication. Visiblement, le tract virtuel ne fait pas encore recette. La fracture numérique, comme dirait Chirac…
Car c’est par la seule grâce des forums internet que les manifestants se sont retrouvés sur le pavé. La majorité ne se connaissait pas auparavant. Et il y a fort à parier qu’ils ne se connaissaient pas davantage en repartant. La règle veut que les Anonymous se griment ou portent un masque – le V inspiré du film Vendetta est très tendance. Si ça se trouve, le voisin de palier ou le collègue de bureau étaient là. Et aucun des intéressés n’en saura jamais rien. Pour une fois que la Scientologie créait du lien social…
Pourquoi ce camouflage généralisé ? Pour éviter les représailles de la secte, prompte à photographier ou filmer ses opposants. Mais l’anonymat est surtout le moyen de préserver le fonctionnement libertaire de cette communauté, passablement allergique à l’autorité et au culte de la personnalité. Bref, les anti-sectes ne veulent surtout pas devenir à leur tour une secte.
D’autant qu’ils sont passablement méfiants, voire un tantinet paranoïaques. Pour les rencontrer, mieux vaut être familier des forums d’Internet. Ensuite… Eh bien il faut monter patte blanche. Et, avouons-le, la chose est plus facile quand on a déjà écrit quelques articles sur la Scientologie.
A en juger par les spécimens que Bakchich a pu rencontrer (voir notre vidéo), ces technophiles sont assez éloignés du cliché de l’étudiant attardé qui bidouille en se gavant de pizzas. Il s’agit plutôt de jeunes cadres évoluant dans le secteur de l’informatique. Parfois avec de grosses responsabilités. Et qui, le soir venu, se lancent dans la guérilla contre les vilains censeurs scientologues. No pasaran !
Seule exception, Nono le Clown. La figure du mouvement. Au propre et au figuré. La secte accuse cet artiste de rue de se livrer, avec son gros nez rouge, à un…harcèlement systématique des adeptes. Elle a d’ailleurs entamé une action devant les tribunaux.
Il est vrai que Nono, qui habite à deux pas du Celebrity center, a trouvé dans le discours scientologue une intarissable source d’inspiration. Mais voilà, les disciples de Ron Hubbard ne sont pas des petits rigolos. Depuis quatre ans, Nono ne compte plus les incidents et les altercations. Récemment une bousculade lui a valu un arrêt de travail de trois jours. De fait, il ne peut plus passer devant le siège du Celebrity center sans être surveillé, voire filmé, comme le prouve notre autre vidéo ci-dessous. Il n’en fallait pas plus pour qu’il devienne un symbole.
Samedi, ce sera donc l’heure de vérité. Les Anonymous français espèrent bien refaire leur retard sur leurs petits camarades européens et américains. Il en va de l’honneur national. La France ne passe-t-elle pas aux yeux du monde – à tort ou à raison - pour le pays le plus sévère à l’égard des sectes ? Enfin, ça c’était avant qu’Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, ne mette publiquement en doute la dangerosité de la scientologie…
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La scientologie c’est quelque chose, mais c’est tous ces mouvements neo-pentecotistes qui gangrènent le monde en inculquant une vision binaire de la vie (et en se faisant pleins d’argent pour acheter des services privés de sécurité, le monde tourne) contre lesquels il faudrait partir en guerre. Toutes les églises universelles du royaume de dieu, toutes ces merdes, là.
Anonymous est le futur du militantisme.
Et si les Français sont à la ramasse du mouvement, c’est qu’on est les seuls à être des burnes en anglais.