L’extravagant commandant de police Philippe Pichon, également auteur de Journal d’un flic, paru au début de l’année (chez Flammarion), s’intéresse maintenant de très près au cas Céline. Il s’insurge contre l’absence de plaque Louis-Ferdinand Céline en France.
Pour faire valoir son combat, c’est tout bonnement au Président de la République qu’il s’adresse, dans une lettre ouverte intitulée « Céline : sans plaque, sans nom, sans rien ». Logique puisque Céline, c’est l’auteur préféré du Président. Et Pichon précise que c’est d’ailleurs son « seul point commun avec Sarkozy ». La demande est expressive et directe : « Ici, la conspiration du silence a assez duré et je vous conjure d’ouvrir à Céline les portes de la prescription mémorielle ». Au cours de sa missive, Pichon lance une « idée », « le premier édile de Neuilly-sur-Seine permettant aujourd’hui à Céline de figurer dans l’index nominum de la toponymie municipale ! (…) On flaire tout de suite la bonne affaire : un nanti qui prend la défense du « maudit », l’occasion est trop belle ! » L’on pressent là une certaine ironie… retrouvée à la fin de l’épître, où l’auteur voit en Sarkozy un « lecteur avisé ». Cela dit, il semblerait que ce message ait été bien reçu par son destinataire puisque Pichon devrait être prochainement reçu à l’Elysée !
NB : En 2008 paraît un livre de Philippe Pichon sur le sujet, Le Cas Céline, aux éditions Dualpha.
Bonne initiative, pour honorer le "maudit" Céline.
Mais Céline restera à mon avis imbuvable pour au moins encore deux ou trois siècles, tout simplement parce que les vérités sur plusieurs domaines, son acte de sacrifices contre elles, sont toujours à l’oeuvre, et même plus que jamais !… En plus, il a dépeint l’humain avec une férocité intenable pour des esprits si bien installés dans le confort de leurs mensonges, personne n’accepterait de voir un tel reflet, si vrai.
bonjour, passionné de Céline, je ne pense pas qu’il soit utile ou juste d’apposer une plaque (ou des plaques) sur les lieux qu’il a fréquentés. Il est évident que pour nombre de citoyens ce serait une provocation. On peut arguer du fait que tel ou tel a bien "sa plaque", je ne ressens absolument pas le besoin ou l’envie de rouvrir certaines horribles blessures. On sait parfaitement que ces plaques seront détériorées car elles seront assimilées (à juste titre) à la banalisation d’écrits effroyables et ne serviront qu’à fixer des points de discorde entre céliniens passionnés ou modérés et anti-celiniens passionnés ou modérés. Et cela sans renier le plaisir que j’ai de lire Céline, même dans l’invective la plus dure. Il faut respecter l’enorme douleur de l’holocauste, c’est autre chose que notre passion pour un écrivain, si génial fut il.
Amicalement
Il existe une forme de terrorisme intellectuel chez les anti-Céline qui est de vouloir faire croire que la critique littéraire française cherche à passer sous silence l’antisémitisme de Céline. C’est l’antienne facile et ça fait un moment que ça dure. Il y a effectivement des admirateurs des prises de positions racistes de l’écrivain. Il y en a pas mal même. Mais, contrairement à la doxa bien-pensante, l’antisémitisme de Céline est l’un des thèmes les plus étudiés, aussi bien en France qu’à l’étranger (auteur le + étudié après Proust). Dès l’époque des premiers pamphlets, des auteurs se sont penchés sur la question (Cf. Kaminski : "Céline en chemise brune", 1938).
Depuis les années 70, Philippe Alméras met en lumière le caractère biologique du racisme célinien (par une recherche biographique minutieuse sur la vie de Céline pendant l’Occupation). Nombre d’éléments biographiques édifiants sont déjà relatés dans la biographie officielle publiée par François Gibault (en trois tomes). Marie-Christine Bellosta ("Voyage au bout de la nuit ou l’art de la contradiction"), s’attachant à l’étude des textes, repère les dimensions réactionnaires et racistes des premiers écrits ("L’Eglise", "Voyage au bout de la nuit"). Inversement, Yves Pagès ("les fictions du politique chez Céline") relève les dimensions libertaires cachées, voire anar, des romans céliniens, ainsi que leur importance dans la vie de Céline. Christian Chesneaux s’est employé au démontage psychologique du racisme célinien (peur de la "batardise", rejet des "foules barbares" etc). Et je suis loin de citer toutes les études (innombrables) sur la question. Tous ces chercheurs s’accordent aussi sur l’exceptionnalité de l’oeuvre de Céline (Cf. "Poétique de Céline" de Henri Godard).
Quant aux pamphlets, il ne fait aucun doute qu’ils seront un jour réédités, accompagnés d’un appareil critique sérieux. L’oeuvre célinienne dans son ensemble est bien trop importante pour qu’on l’ampute d’une de ses parties. D’une part parce qu’il n’est pas possible de couper arbitrairement (moralement en réalité) l’oeuvre en deux (une "bonne", une "satanique") car, sur le plan littéraire, les pamphlets sont une phase de transition stylistique et, sur le plan politique, ils sont une part sans équivoque du racisme célinien (celui-ci trouve d’ailleurs à s’exprimer d’une manière plus parodique et masquée dans la Trilogie finale : "D’un Chateau l’autre", "Nord", "Rigodon"). D’autre part, parce que cela reviendrait à faire subir à l’oeuvre de Céline le même sort que celle de Sade : l’opprobre et la mise à l’index. C’est à dire censure politique pure et simple. Rappelons toutefois que s’il n’est pas possible de publier aujourd’hui les pamphlets, c’est à la demande de l’ayant droit de Céline (à savoir sa femme) qui respecte la demande formulée après la guerre par Céline d’interdire leur réédition. L’Etat n’est pour rien là-dedans.
A noter pour les curieux, parmi le flot raciste et antisémite des textes des pamphlets, se détachent aussi des passages incroyables sur le "spectacle", sur la télé, ainsi que des morceaux de bravoure qui, s’ils n’étaient dans ses livres là, seraient dans tous les recueils de grands textes de la langue française (pour reprendre les mots d’Emile Brami, libraire spécialisé sur Céline).
Quant au désir de porter Céline au pinacle du Star System, par une reconnaissance grand public, je crois que c’est bien inutile. Le "Voyage au bout de la nuit" est déjà l’une des meilleures ventes en poche. Et je crois bien que Céline se ficherait pas mal d’avoir sa plaque sur le mur d’une ville quelconque. Par contre, on ne peut que regretter la méconnaissance publique des autres romans qui par biens des aspects sont tout aussi prodigieux : Mort à Crédit, Casse Pipe, Guignols Band, Féerie pour une autre fois, la Trilogie allemande, Entretiens avec le professeur Y.
Céline est partout. Qu’on le déteste ou qu’on l’adule, on ne peut échapper à son influence. A côté de ses erreurs les plus graves (qu’il importe de connaître absolument), il est incontestablement un temps fort du 20e siècle, dont on mesure encore mal la portée en raison des nombreuses contradictions de l’oeuvre. Céline a exprimé dans une langue hors norme une révolte hors norme elle aussi : contre la brutalité des forts et la crédulité des faibles, contre Dieu et sa chute, contre la philosophie de salon et les commissaires politiques, contre la bétise et la vulgarité, contre soi, contre la Mort. Tout cela l’a conduit dans une situation intenable : être seul contre tous. Céline est une sorte de "situationniste de l’extrême" : il a poussé le vice à ce qu’il soit strictement impossible d’en faire une idole. N’oublions pas enfin que toute l’oeuvre de Céline est sous-tendue par le rire, la parodie et l’ironie.
Permettez-moi pour conclure une citation de "l’Hommage à Zola" qu’il prononça en 1933 :
" Nous voici parvenus au but de vingt siècles de haute civilisation et, cependant, aucun régime ne résisterait à deux mois de vérité. Je veux dire la société marxiste aussi bien que nos sociétés bourgeoises et fascistes.
L’homme ne peut résister, en effet, dans aucune de ces formes sociales, entièrement brutales, toutes masochistes, sans la violence d’un mensonge permanent et de plus en plus massif, répété, frénétique, "totalitaire" comme on l’intitule. Privées de cette contrainte, elles s’écrouleraient dans la pire anarchie, nos sociétés. Hitler n’est pas le dernier mot, nous verrons plus épileptique encore, ici, peut-être."
Lisez Céline.