Un Bouton sous pression

Daniel Bouton n’aime pas les balles perdues. Ce golfeur, décrit comme « émérite », perd facilement ce sang froid accumulé au cours de ses passages dans les écoles des grands fauves quand sa petite boule ronde s’égare dans l’eau ou l’herbe folle. Daniel Bouton a la réputation de tenir très fort à ce qui lui appartient, même à une balle à 5 euros.

Contrairement à ce que l’actualité pourrait faire croire, Bouton n’aime pas gâcher. A ce propos - et dire qu’Attali n’y a pas pensé -, les actionnaires et clients des banques et autres entreprises du CAC 40 devraient avoir un droit de regard sur le classement golfique de leurs dirigeants. Un indice trop bas vous dénonce à coup sûr le type qui passe plus de temps sur les greens et fairways qu’au bureau. Alors que son trader loufoque de la Société Générale, un membre de l’UMP, le créatif Jérôme Kerviel, celui qui confond ordinateur et jeu vidéo, n’a pris que 4 jours de vacances en 2007, combien de semaines Daniel Bouton et son caddy ont-ils passé les pieds cloutés dans l’herbe grasse ?

Daniel Bouton

© Soularue

Mais Bouton c’est du béton. Son allure de clergyman est elle aussi virtuelle, une vraie armure qui résiste à tout. On voit ici les bienfaits de l’école Juppé (Bouton à été son directeur de cabinet de 86 à 88), filière d’excellence qui n’a produit que des hommes droits et bottés. Et ce n’est avec, comme seule émotion visible, qu’une petite poussée de rose aux joues que Daniel Bouton fait solidement face à Sarkozy, Lagarde et Rachida dans l’affaire qui l’occupe. Improvisés professeurs de vertu, ces experts indiquent au banquier le chemin de la sortie. Une colère, poussée au mépris de la présomption d’innocence, qui nous rendrait sympathique ce Bouton là. Et de son conseil d’administration qui lui a, provisoirement, épargné les délices du parachute doré.

Mais, « rupture » encore et droit nouveau, ce n’est peut être pas Sarko- président de la République qui a poussé un coup de gueule, mais le Sarko-client rageur de la Société Générale, où il a placé le magot de ses assurance-vie. Au prix du kilo de Rolex, il ne faut pas laisser n’importe quel jeune breton jouer avec les économies des autres, au seul prétexte qu’il veut travailler plus pour gagner plus… Sarko devrait pourtant savoir qu’un coup de poignard dans le dos n’accélère la course de la victime que dans les tous premiers mètres !

Fils d’un informaticien (on n’est trahi que par les siens), Daniel Bouton est né en un frileux mois d’avril 1950 à Paris dans le Xème arrondissement. Bête à concours dès l’enfance, il va finir en beauté, à 23 ans comme benjamin de sa promotion Rabelais de l’ENA. L’avenir les appartient. En 1980, cet inspecteur des finances devient, au Budget, conseiller technique de l’excellent Maurice Papon, l’homme des rafles, qu’elles soient de juifs ou d’arabes.

En 1981 le rose aux joues ne suffit pas, puisque cette couleur se porte au poing. Bouton est dégagé comme chef de bureau à la direction du Budget. En 1986, tel un œuf oublié dans le nid, il est retrouvé par Alain Juppé qui achève son cursus politicus, toujours au Budget. En cohabitant, il y reste jusqu’en 1991. Où de grandes belles pantoufles brodées au logo de la Société Générale lui tendent la main qu’il finira par présider en 1997.

Du chic, du vin, de l’opéra, des gros sous

Membre du Siècle, club guindé et cartel des puissants, Daniel Bouton est désormais incontournable. Avec sa femme, rencontrée à Sciences Po, elle-même icône du monde de la finance, le banquier, grand amateur de cigares et de vins fins (la cave de la Société générale à la Défense vaut mieux que ses salles de marché !) est un roi du Paris chic. Pour lui, la vie n’est pas un songe, mais un opéra. Hormis le golf, c’est là que s’exerce l’autre passion de Bouton. Rassurez vous, il ne chante pas mais adore les sopranes « dont il tombe amoureux ». Amour vocal, bien sûr.

La dernière favorite de sa platine n’est pas blonde, c’est la très sexy et talentueuse diva brune et ukrainienne Anna Netrebko. Après avoir interrogé Daniel Bouton, une consoeur musicologue nous explique tout des secrets de ce financier qui chante comme un cordonnier : « La passion de l’opéra aide les grands patrons à réussir. La raison ? Ils connectent alors cerveau droit et cerveau gauche. Du coup ils passent facilement du rêve à la concrétisation… » Amen.

Côté sous, Daniel Bouton est aussi un prince. Administrateur de Total, Veolia, Schneider et autres jetons, il a, selon le classement 2007 de notre confrère Capital, vu son salaire fixe augmenté de 25% en 2006, ce qui met la barre à 1,250 millions d’euros. Mais la barre est flottante, la part variable de son traitement fait grimper le magot à 3,3 millions. Allez, avec les stock-options, nous pouvons vous faire le tout à 10,8 millions pour 2006. Soit, en France, le revenu médaille d’argent pour un PDG.

Connaissant le souci qu’ont nos confrères à ne pas accabler un homme blessé, nous avons remarqué que bien peu on évoqué le tribunal qui attend en février l’excellent Bouton. Déjà ! Non, rien à voir avec les facéties du trader venu de là où sonne le biniou. Ici, l’inventaire compte des dizaines d’inculpés, dont une poignée de rabbins plus ou moins en fuite, et des centaines de millions d’euros baladeurs. Un micmac de fausses traites, de faux chèques et de blanchiment entre Israël et des groupes d’escrocs installés dans le quartier du Sentier à Paris. Mis en examen, Daniel Bouton, qui plaide l’innocence, était déjà une vedette de l’affiche. Maintenant il est star.

PS. Tout cela n’a rien à voir avec les très gros sous, ni avec Bouton d’ailleurs, mais plutôt avec le golf. Arrivé au pouvoir, Mitterrand hésitait à avouer qu’il jouait à la ba-balle sur tee depuis des lustres. Pour rester discret, il jouait les jours de fermeture des clubs, ou sur le terrain des militaires à Villacoublay. Découvrant un Mitterrand amateur de greens et links, Attali achète immédiatement un pantalon de golf, et ce qui va avec. Quelques temps plus tard, une partie regroupe Tonton, Rousselet et le débutant Attali. Mitterrand tape sa balle et lance résigné : « Merde, je suis dans le bunker ». Là où tout le monde a vu rouler sa balle. Sauf Attali qui hurle : « Mais non monsieur le Président, vous n’y êtes pas, vous n’y êtes pas ! » Et Rousselet de conclure : « Ecoutez, Attali. Ca suffit. Ici nous ne sommes pas au bureau ! »