Séisme de petit magnitude sur la scène politique algérienne, le Premier ministre a été remplacé. Mais la donne ne risque pas de changer en Absurdistan…
Ouyahia : Le pays tétanisé par la rumeur. El Watan, 23 mai 2006. Adlène Meddi.
Partira, partira pas ? Les rumeurs autour de l’éventuel départ, démission ou limogeage du chef du gouvernement Ahmed Ouyahia pèsent sur le pays. […] En 2003-2004, le président Bouteflika, candidat pour un deuxième mandat, a commencé par limoger son chef du gouvernement Ali Benflis, également patron du FLN à l’époque, avant de récupérer le vieux parti et le faire entrer dans « la maison de l’obéissance ». Les mêmes sources avancent une autre raison pouvant motiver l’éventuel renversement : le refus de Ouyahia d’entendre parler d’une révision de la Constitution, tant revendiquée par un des occupants de « la maison d’obéissance », Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, également ministre d’Etat. […] La gestion de l’héritage des violences reste, semble-t-il, tabou, relevant des services secrets militaires et des autres démembrements sécuritaires. Services dont les discrets changements dans la hiérarchie pourraient également expliquer les tensions actuelles. […]
Ahmed Ouyahia : le mal-aimé. El Watan, 25 mai 2006.
À lui seul, il symbolise le système dans son insondable façon de fonctionner et ses jeux d’ombre. Personnage politique le plus en vue depuis au moins une dizaine d’années, M. Ouyahia incarne incontestablement cet homme à tout faire du régime. […] Paradoxalement il en tire une immense fierté de « servir son pays » quitte à exécuter le sale boulot. Les ponctions sur salaires, les dissolutions des entreprises publiques, la chasse aux sorcières, la fraude électorale et plus récemment encore le refus d’augmenter les salaires de la Fonction publique sont autant de scories politiques qui [lui] collent à la peau […].
Tel un pompier, [il] accourt dès que les puissants du moment ont besoin de ses services. Il ne dit jamais non et ne mesure pas non plus les implications d’une mission qu’on lui confie, sur sa personne, son avenir. « Impopulaire, Kabyle de service, larbin, poulain des généraux… » […] Ceci, bien que fondamentalement Ouyahia, qui a été forgé dans le sang de la décennie rouge ne partage pas grand-chose avec un Bouteflika, plus enclin à tendre la main aux criminels d’hier aujourd’hui solubles dans la République de la réconciliation. « Si Ahmed » a quand même enfilé l’accoutrement d’un réconciliateur invétéré, sans état d’âme, pour quelqu’un qui fut, il n’y a pas si longtemps, un éradicateur impénitent. La vieille recette qui consiste à envoyer un tâcheron à la vindicte populaire, pour permettre aux tireurs de ficelles tapis dans l’ombre de ne pas se griller, est encore une fois vérifiée. […] Son remplacement pas très catholique, hier, par Belkhadem en est sans doute la preuve.
Analyse : Pour ne pas être « catholique », le remplacement est-il seulement halal ?
Bouteflika conforte le FLN sur toute la ligne. Belkhadem remplace Ouyahia. Le Jeune Indépendant, 25 mai 2006
[…] Ouyahia […] laisse une situation peu reluisante sur les plans économique, social, des libertés ainsi qu’au niveau de l’image de l’Algérie pas très positive à l’étranger […]. En effet, l’aggravation des sanctions contre les délits de presse […], les circulaires réinstaurant le monopole de la publicité étatique au profit de l’ANEP suivie de l’imposition de certains journaux au détriment d’autres, ainsi que le droit qu’il s’est octroyé de mettre un système parallèle de sanction de journaux qui lui sont hostiles, ont contribué à ternir l’image du pays auprès des ONG influentes.
Quant à la très décriée circulaire sur les dépôts obligatoires des avoirs des entreprises publiques et institutions dans les banques publiques, au blocage du foncier industriel, au blocage des investissements dans le secteur du transport aérien, au frein dans les privatisations et à l’instrumentalisation de l’ANDI, tout cela a eu pour effet de maintenir le risque Algérie à un niveau élevé par les assureurs du commerce extérieure de l’OCDE, alors que les indicateurs macroéconomiques sont au vert. […] Bref, voilà un homme, Ahmed Ouyahia, qu’aucun Algérien ne regrettera…
Les raisons d’un choix. El Watan, 25 mai 2006. Hassan Moali.
[…] Abdelaziz Belkhadem, qui traîne depuis belle lurette la casserole peu glorieuse de « barbefélene » étant d’extraction politique islamiste, passait, il n’y a pas longtemps, pour quelqu’un dont la république devait se méfier. Ses accointances avec l’Iran des mollahs et ses sympathies jamais démenties pour les Fisistes algériens projetaient de lui l’image d’un homme dangereux qui cadrait mal avec le discours éradicateur ambiant. […] A trois années de la présidentielle 2009, l’heure a sans doute sonné pour lancer la machine électorale. […] Pourquoi faire ? Simplement que [la Constitution] de 1996 ne permettrait pas au locataire du palais d’El Mouradia de postuler une nouvelle fois à la magistrature suprême. Il faut donc tailler une Constitution sur mesure à Abdelaziz Bouteflika. Mieux encore, alors que la mode dans tous les pays du monde est à la réduction de la durée des mandats présidentiels pour consacrer l’alternance au pouvoir, Belkhadem propose dans son projet un… septennat. […]
Analyse : C’est dire que la partition sera bien jouée par un nouveau chef d’orchestre qui va sans doute amuser la galerie, au grand plaisir du maestro. D’ici à 2009, tout semble réglé comme du papier à musique…
Changement du gouvernement (Mardi 25 Avril 2006). Abdelaziz Belkhadem. Portrait en clair-obscur. Liberté, 25 mai 2006. Mounir Boudjema.
[…] Pour saisir l’énigme Belkhadem, il faut remonter à quelques balises de sa vie politique. En 2000, alors que Madeleine Albright, puissante secrétaire du département d’Etat américain débarque à Alger, en plein Ramadan, pour parrainer les accords de paix entre l’Érythrée et l’Éthiopie, Belkhadem est ministre des Affaires Etrangères. Il est 12h, lorsque Belkhadem reçoit un coup de fil de la Présidence lui indiquant qu’il fallait qu’un officiel « déjeune », ou du moins assiste au déjeuner, avec l’émissaire de Bill Clinton au Palais des nations. Refus catégorique de Belkhadem qui se sent « insulté » par cette proposition en contradiction avec ses convictions religieuses. […] L’anecdote renseigne un peu sur l’homme. Intransigeant jusqu’à la lie. Lorsqu’il débarque en juillet 2000, à la tête du ministère des Affaires Etrangères, il subit les railleries des diplomates du sérail qui le mettent en boîte, pronostiquant l’attitude du nouvel MAE dans les réceptions et les mondanités internationales quand il faut lever la coupe de champagne. […]
Sur cet épisode charnière de sa vie [décennie 1970], l’ombre plane. Belkhadem, commis de l’état taciturne et rigide, apprend auprès des « Malgaches », qui écument la Présidence, la noblesse du secret et une certaine conception de l’Etat. On dit qu’il a été pris sous l’aile protectrice de Slimane Hoffman, celui qui organisa les « réseaux africains » de Boumediene en pleine campagne d’assistance aux mouvements de libération africains. Hoffman s’est entouré d’une jeune garde dont Belkhadem faisait partie même s’il ne s’était pas particulièrement fait remarquer. […] En 1988, il est bombardé vice-président de l’APN […]. Dauphin de Rabah Bitat, le monstre sacré, il devient le pendant idéal d’un FLN qui s’ouvre sur le courant islamiste et le conservatisme […]. En 1990, il devient le président d’une APN en pleine ébullition […]. Belkhadem apparaît dans sa gestion fine d’équilibres explosifs entre divers courants du FLN. L’ombre de Larbi Belkheir n’est pas loin. On dit qu’il « veille sur lui » et aurait suggéré à un Chadli chancelant cette « ouverture » vers le FIS pour calmer les tensions. […]
En 1992, Belkhadem fréquente l’ambassade d’Iran à Alger et un conseiller des mollahs, du nom de Saïd Nouami, attaché culturel de son état, qui transgresse les règles diplomatiques. On apprendra que les Iraniens avaient tenté de prendre langue avec le GIA de Chérif Gousmi alias « le Chiite »et Djamel Zitouni, tous deux ayant fait un « pèlerinage » dans la ville sainte de Qom en Iran. Même si des journaux ont accusé Belkhadem de “connivence” avec les Iraniens, avant la rupture des relations diplomatiques avec Téhéran, personne ne sait exactement ce qui s’est passé. Belkhadem a-t-il manipulé les Iraniens ou est-ce l’inverse ? Sur ce point, celui qu’on surnommera le « Barbéfélene », sobriquet tiré du courant FLN qui a voté le code de la famille en 1984, ne dira jamais un mot.
[…] 2004 allait signer le retour à la cuisine interne. […] Belkhadem roule pour le président, mène campagne […]. La réélection obtenue, il sera chargé de mettre à plat les dissensions au sein du FLN à travers le 8e congrès bis, organisé dans des conditions épouvantables. Il est élu à 11 heures du soir, après avoir menacé de « se retirer » de cette foire d’empoigne. Et il aura fallu que l’ancien chef de cabinet, Larbi Belkheir, le convainque de rester.
Présidence. Guendil nouveau directeur de cabinet. El Watan, 25 mai 2006.
Le président Bouteflika a nommé Moulay Mohamed Guendil, directeur de cabinet de la présidence de la République. […] Le poste de directeur de cabinet de la présidence est resté vacant depuis août dernier. Avant cette date, il était occupé par Larbi Belkheir, général à la retraite. […] La nomination de Moulay Mohamed Guendil vient consolider la réputation de ce commis de l’Etat. […] En effet, M. Guendil a exercé au niveau de ce ministère pendant onze années en qualité de secrétaire général. […] Son départ de cette importante institution le conduira, en fait, à aller occuper le poste d’ambassadeur d’Algérie en République tchèque en 2005. […] Mais depuis hier donc, avec ses nouvelles fonctions au palais d’El Mouradia, Moulay Mohamed Guendil sera un proche collaborateur de Bouteflika. La présidence de la République verra probablement un coup de ménage sachant que son patron tient toujours à la réforme des missions et structures de l’Etat.
Révision constitutionnelle. Avec Belkhadem au gouvernement, Bouteflika convoquerait un référendum en septembre. Le Jeune Indépendant, 27 mai 2006.
[…] Car, en se remémorant les critiques exprimées en public par le président de la République, le mois dernier, à l’endroit d’une dizaine de ministres qualifiés de menteurs ou d’incompétents, très peu étaient les observateurs qui osaient parier sur le maintien de tel ou tel autre ministre.
[…] Ceci dit, et loin de toute idée machiavélique, ajoute notre source, il y a des raisons objectives au choix de Bouteflika, dont celle qui paraît être majeure : la mobilisation de toutes les énergies pour réussir l’amendement de la Constitution, dont le référendum serait prévu en septembre 2006, vraisemblablement le 14 ou le 21, si les conditions seront bien sûr réunies.
[…] Les propositions du FLN pour la révision constitutionnelle qui ont eu le privilège d’être révisées officieusement par le président du conseil constitutionnel, Boualem Bessaïh, cadre du parti, seront remises officiellement dans les prochains jours au président de la République, avons-nous appris de source proche de la direction du FLN.
Belkhadem ou le portrait d’un barbefélène . El Watan, 24 mai 2006. A. Benchabane.
[…] Belkhadem est nourri, depuis plus de 30 ans, dans les coulisses du régime. […] Le hasard se manifesta au début des années 1970 à l’occasion de la visite effectuée par le colonel Houari Boumediène à Tiaret. […] Les autorités locales le désignèrent pour lire une allocution panégyrique en l’honneur du Président. Emerveillé par ce discours élogieux, Boumediène le « recruta » aussitôt […]. En 1977, il a été élu député de Tiaret, région natale d’un autre homme fort du système : Larbi Belkhir. |…] L’actuel patron du FLN n’a jamais caché ses convictions islamistes. Lors des débats parlementaires de 1984 sur le code de la famille, Belkhadem, assumant publiquement des affinités avec la mouvance islamo-conservatrice, avait fait des pieds et des mains pour l’adoption de cette loi qualifiée d’infâme par de nombreux Algériens. […] Cependant, la véritable poussée politique de Belkhadem a eu lieu en octobre 1990 avec la démission de Rabah Bitat de la présidence de l’Assemblée populaire. […] Ce fut le général Larbi Belkhir qui proposa le nom de son protégé : Belkhadem. […]
Manœuvres et Intrigues
Après la victoire du FIS au premier tour des élections législatives de décembre 1991, le spectre de la guerre civile se précisa de plus en plus clairement. Premières conséquences : l’APN a été dissoute, Chadli destitué et le processus électoral interrompu. Ces trois décisions ne furent pas, bien sûr, du goût de Belkhadem, qui se rangea du côté des islamistes avec lesquels il prit langue. Il fut également en contact avec des « représentants diplomatiques » iraniens accrédités à Alger.
Les services de renseignements algériens garderaient toujours un enregistrement reproduisant une discussion entre Belkhadem et l’ambassadeur d’Iran. « Le peuple algérien a choisi la solution islamique, nous saluons cela. Et puis, le régime iranien n’est pas notre adversaire, nous nous glorifions de l’expérience iranienne… », tels seraient les propos tenus par Belkhadem. […] L’effacement de Belkhadem a duré de 1993 jusqu’à 1999, date de l’élection de Abdelaziz Bouteflika à la tête de la Présidence. […]
Son discours tantôt islamiste et tantôt réconciliateur, avait grandement contribué à sa nomination, en juillet 2000, comme ministre d’État, ministre des Affaires Etrangères. Quelles sont les raisons qui ont poussé Bouteflika à propulser cet islamiste déclaré à la tête d’un poste aussi sensible ? Préférence régionaliste, disaient les uns, sensibilité politique, estimaient les autres. Le conflit ayant opposé Ali Benflis à Bouteflika, entre 2003 et 2004, a débouché sur l’éclatement du FLN.
Les proches du chef de l’État avaient chargé Belkhadem d’une nouvelle tâche : piloter le mouvement de « redressement » du FLN. La mission a été accomplie après une série de manœuvres et d’intrigues. Et c’est ainsi que Belkhadem s’est retrouvé à la tête du parti. […] La patience, il en a fait sa devise. Mais dès lors qu’il sent le vent tourner en sa faveur, il en profite pour rebondir. C’est à ce prix qu’on s’incruste dans le cœur du système.
Ouyahia empêché de présenter la déclaration de politique générale (…) Le FLN, la comédie et la Constitution El Watan, 22 mai 2006.
Catégorique, le président du groupe parlementaire du FLN précise que rien ne peut sauver le gouvernement Ouyahia de la sentence de l’APN. « pour nous, quelles que soient les réalisations que ce gouvernement nous présentera, nous lui disons qu’il n’a rien fait du tout ! Et la réalité est là pour en attester ! » note-t-il. Il relèvera que « si le gouvernement nous dit qu’il n’y a pas de chômage, nous lui dirons que le chômage est là et bien présent, s’il nous dit qu’il a éradiqué la pauvreté, nous lui dirons que c’est faux et qu’elle est remarquable à vue d’œil, s’il nous dit que la situation sociale des travailleurs s’est améliorée, nous lui dirons que les enseignants font la grève tous les jours, s’il parle de la croissance économique, nous lui dirons qu’elle n’a pas eu lieu ».
Tenant à préciser que la démarche parlementaire « ne vise pas la personne du chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia », Dadouaâ Layachi indiquera qu’elle « vise plutôt toute l’équipe gouvernementale qui a échoué dans la mise en œuvre du programme du président de la république ».
Analyse : Rappelons tout de même que jusque-là, les parlementaires ont cautionné toute l’action du gouvernement. La seule loi qu’ils ont refusé de signer depuis août 2004 a été celle qui visait à moraliser la vie publique et qui voulait imposer à tous les députés de faire une déclaration de patrimoine. C’est dire l’honnêteté de ces hommes et femmes députés !! La démarche vise « toute l’équipe gouvernementale », disait donc ce monsieur…
Nouveau gouvernement. L’équipe d’Ouyahia reconduite. El Watan, 27 mai 2006. […] Sans attente, l’équipe du chef de l’exécutif démissionnaire, Ahmed Ouyahia, a été reconduite dans sa totalité. […] Le « nouveau » gouvernement n’a donc rien de nouveau. […] Tous les ministres sont maintenus à leur poste. La seule « nouveauté » reste la nomination d’un ministre de la communication. […] Aucun des ministres qui ont été pourtant critiqués publiquement par le président Bouteflika pour avoir échoué dans leur mission n’a « bougé » de son poste. […] L’enjeu peut se situer à ce niveau dans la mesure où Abdelaziz Belkhadem a, le jour même de sa nomination, annoncé que cette révision sera la priorité de son Exécutif. […]
Le soutien de Anouar Haddam. Le Quotidien d’Oran, 27 mai 2006. Amine Bouali.
L’ancien dirigeant du FIS-dissous, Anouar Haddam [un des rares dirigeants islamistes de premier rang à avoir soutenu publiquement le GIA durant la décennie 1990], apporte son soutien à M. Abdelaziz Belkhadem, nouvellement désigné en tant que chef du gouvernement. Dans son communiqué, Anouar Haddam considère que cette nomination est un pas positif et espère qu’elle va ouvrir une nouvelle période qui va avoir des répercutions fructueuses sur notre pays et notre peuple, sa situation sociale, politique, économique et culturelle.
Tout en souhaitant que « ce nouveau pas soit suivi par d’autres pas similaires dans la direction convenable », Anouar Haddam réitère à M. Belkhadem « le soutien de toutes les forces qui croient à l’avènement d’une réconciliation nationale véritable, qui doit se construire sur la base de la non-occultation de la vérité historique, l’apaisement des blessures, la réparation des injustices et la non-exclusion ».
Analyse : Il y a quelques semaines, nous mettions en lumière l’impasse dans laquelle se trouvait le pouvoir entre les velléités contraires de Bouteflika et de ses mentors, les généraux algériens. L’impasse, c’est l’état favori de ce sérail, où chacun des clans qui « s’opposent » parvient à convaincre de sa capacité égale à nuire à l’autre. C’est aussi là que chacun prend conscience qu’il a davantage à perdre qu’à gagner de ce bras de fer, position à partir de laquelle ils peuvent ensuite négocier en bonne intelligence et « concorde ». Bref, c’est l’heure de trouver un terrain d’entente pour s’unir contre l’ennemi commun : le peuple algérien.
Slimane Hoffman et Boualem Bessaïeh, dont les noms sont d’ordinaire rarement cités dans la presse algérienne, apparaissent comme par enchantement à ce moment crucial. Qualifiés de « hauts cadres » du parti ou de l’État, ce sont en réalité des officiers supérieurs de l’ancien MALG, qui s’est mué en l’ancienne Sécurité militaire, avant de devenir à l’approche de la décennie sanglante le DRS (Département de renseignement et de sécurité). Boualem Bessaïeh est notamment le « Boussouf boy » qui détourna, pendant la « Révolution algérienne », les services de renseignement - censés être au service des dirigeants du FLN - pour les affecter pour espionner et réduire ces mêmes dirigeants. Grâce à cela, Boumediene, Bouteflika et Ben Bella ont réussi leur OPA contre l’indépendance algérienne et sont entrés ensuite en Algérie en septembre 1962 en véritable armée de colonisation. Une colonisation qui n’a jamais cessé depuis.
Un régime qui tourne en boucle
Larbi Belkheir, jeune officier fraîchement « déserteur de l’armée française », est l’un des premiers à pénétrer dans un char à Alger à l’été 1962. Il a mis ensuite 16 ans à faire son chemin pour, à la faveur de la mort énigmatique de Boumediene, prendre le pouvoir en plaçant un pantin (Chadli Bendjedid) comme président. Bouteflika (outre le peuple algérien qui compte pour quantité négligeable) est le principal perdant de cette « alternance » en janvier 1979. Depuis, l’Algérie est à toutes fins pratiques devenue propriété privée de Larbi Belkheir.
Mais le régime algérien a cela de particulier qu’il fonctionne en « boucle » : il suffit d’attendre que la boucle ait fait un tour complet pour que de proscrit on retrouve les faveurs des puissants. C’est ainsi que, 20 ans après l’avoir banni, Larbi Belkheir rappelle Bouteflika pour lui confier la mission de garantir l’impunité aux généraux responsables du massacre de leur peuple une décennie durant. Nous avons vu comment Bouteflika s’est ensuite payé un appui de taille, les USA de Georges Bush, contre la cession à son profit des ressources pétrolières algériennes (voir Bouteflika, Chirac et les généraux, infra). Il gagne ainsi un ascendant sur ses promoteurs, débouchant sur la neutralisations des deux camps et l’impasse « politique ».
« Consolidation du pouvoir »
Aujourd’hui, contrairement à ce que pronostiquent bien des observateurs, ce n’est pas à un changement de pouvoir que nous assistons, mais à la consolidation du seul qui existe depuis 1962, le DRS. Il s’agit simplement d’un échange de bons procédés entre clans pour garantir les intérêts des uns et des autres. Nous les avions laissés dans la situation suivante : Bouteflika aspire à un troisième mandat, ce qui le mettrait à l’abri de toute représailles de la part des généraux. Ces derniers peuvent l’en empêcher en maintenant la constitution intacte. Bouteflika a l’initiative du calendrier et donc de la gestion de l’impunité des généraux, reportant sine die le « traité d’amitié » avec Jacques Chirac. Le premier qui cédait s’exposait à de grands risques. Le départ d’Ouyahia laisse place à deux hommes de Belkheir.
Guendil et Belkhadem (voir les articles ci après), deux hommes de Larbi Belkheir sont chargés d’encadrer Bouteflika, pour le rendre inapte à nuire aux généraux. La révision de la Constitution peut maintenant intervenir comme cadeau pour lui ouvrir droit à un troisième mandat. Le gouvernement lui, reste intact, pour assurer le maintien des Algériens sous colonisation renforcée. Accessoirement - ou de façon centrale, selon que l’on mène l’analyse à hauteur algérienne ou géostratégique -, ceux qui perdent sont aussi les Français, sachant que Bouteflika va lourdement favoriser les Américains dont il est peu de dire qu’il est désormais un agent. La « Françafrique » telle que nous la déplorions vit ses ultimes instants ; elle mue mais, hélas, pas pour le meilleur bénéfice des Africains. Paradoxe infâme, tout ce montage ne tient que grâce à l’appui de l’État français, qui est seul habilité à offrir l’impunité aux généraux. L’État français qui, concernant l’Algérie, depuis 176 ans, au lieu d’entreprendre un travail de concorde et d’amitié avec le peuple algérien, pour le bénéfice de tous, a pour fâcheuse tendance à s’allier avec quiconque qui se présente avec l’ambition de le réduire en esclavage.
La sécurité militaire algérienne, sous quelque dénomination qu’elle se présente, est passée maître dans l’art de faire passer les choses pour leur contraire. L’art de décliner une même réalité sous une apparence de renouveau. Cette énième manipulation est une alliance morbide entre ce que le Boumedienisme avait de plus néfaste, Bouteflika, et ce que le DRS a de plus rétrograde, Belkhadem, remettant aux calendes grecques l’espoir des Algériens de regagner un jour la maîtrise de leur destin.
Analyse : Cela se passe en 2003, un an avant l’élection présidentielle d’avril 2004. L’obstacle contre la réélection de Bouteflika était alors Ali Benflis, ancien Premier ministre fraîchement débarqué. La manœuvre visait alors à mettre la main sur le FLN dirigé par Benflis pour garantir le succès de la réélection de Bouteflika. L’opération, parfaitement réussie, était menée de main de maître par Toufik Mediene (chef du DRS), qui avait berné tous les médias algériens et français en faisant croire que Benflis serait le favori du régime (en plus d’être celui des « sondages »).
Le Soir d’Algérie, 17 juin 2003.
« Mercredi dernier et au sortir de la réunion restreinte qu’il a tenue avec « la cellule de crise spéciale FLN », Zerhouni charge […] deux de ses principaux collaborateurs de deux missions différentes. « A son secrétaire général, Mohamed Guendil, Zerhouni demande à ce qu’il organise, discrètement chez lui à Club-des-Pins, un dîner avec les meneurs de la contestation parmi les dissidents du FLN : Hadjar, Amar Tou, Saïdani… Il est ensuite demandé au directeur des moyens généraux au niveau du ministère de faire le nécessaire pour la réussite de ce dîner de travail » […]. Et c’est vraisemblablement au cours de cette « rencontre intime » que l’on a mis au point les dernières retouches du stratagème devant relancer le « dossier FLN ».
Analyse : Mais avant d’arriver là, Bouteflika s’était distingué deux ans plus tôt, à l’occasion de la crise de la Kabylie, notamment lors de la manifestation du 14 juin à Alger. Le ministre de l’Intérieur, Yazid Zehouni, avait alors vidé les prisons de leurs pires criminels, recrutés pour l’occasion comme supplétifs aux policiers chargés de réprimer les Kabyles. Voici comment en rendait compte la presse algérienne, le lendemain…
El-Watan, 15 juin 2001.
« Le secrétaire général du ministère de l’Intérieur, M. Guendil, très médiatisé par la télévision d’Etat depuis l’éclatement des émeutes en Kabylie, est intervenu jeudi soir au JT de 20 h pour remercier « les Algérois et les Algéroises » d’avoir appuyé les forces de sécurité contre « les vandales ». « Le pire a été évité », selon ses dires. Dans une conjoncture aussi tendue, ces propos sont-ils responsables ? M. Guendil, qui a pris la parole au nom du gouvernement algérien, a-t-il conscience de ce qu’il a déclaré avec assurance ? Cependant, il semble que cette manière de gérer la crise, qui a fait jusque-là une soixantaine de morts, obéit à une stratégie terrible aux conséquences imprévisibles : celle de « monter » une partie de la population contre la Kabylie […].
L’Unique [la télévision algérienne] s’est surpassée jeudi dans l’art de la manipulation. Elle a même failli à sa mission en diffusant des témoignages orientés qui font dans l’apologie de la violence et de la division de la population. Que reste-t-il de l’éthique et de la déontologie lorsque les caméras de l’unique chaîne de télévision algérienne montrent l’image d’un jeune qui dénonce le fait que les policiers ne soient pas armés ? Quel message les responsables de la télévision ont-ils voulu transmettre à travers cette scène montrant un bouclier de policiers protégeant des jeunes qui lançaient des pierres contre les manifestants ? Les images de la TV ont été sélectionnées pour donner l’impression aux téléspectateurs que les habitants de la capitale se sont attaqués aux jeunes manifestants venus en nombre impressionnant à Alger.
D’ailleurs, même le choix du témoignage de ce citoyen qui, dans un coup de colère, criait « même leurs journalistes ont été tués » n’était pas fortuit. Comme si en Algérie il existe deux catégories de journalistes. Pourtant, ceux qui étaient sur place ont bien vu que les habitants de Belcourt, de la place du 1er Mai et d’autres quartiers n’ont réagi que pour limiter les dégâts de la casse ou pour protéger leurs habitations. L’Unique a même fait appel à Ammi Ahmed qui déclarait à un groupe de jeunes : « Cette marche n’a rien de pacifique. Aidez-nous à arrêter la casse. »
Plus graves sont les propos du secrétaire général du ministère de l’Intérieur sur les plateaux de l’Unique. M. Guendil n’a pas trouvé mieux que de qualifier les manifestants de « vandales » et de « pilleurs ». La couverture de la marche par l’Unique ressemble étrangement à la manière dont ont été traités les événements de Bosnie par la télévision de Milosevitch.
Analyse : C’est ce même Monsieur Guendil (dont les méfaits n’ont rien à envier à ceux de son maître Larbi Belkheir) qui est aujourd’hui le chef du cabinet de Bouteflika. Ce n’est pas anodin, sachant que nous sommes en tous points de vue dans une situation explosive analogue à celle qui précéda la « sale guerre ». À cette distinction près que ce ne sont pas les « islamistes » qui sont voués à l’éradication (puisqu’ils partagent plus que jamais le pouvoir avec Bouteflika) mais les Kabyles et la Kabylie cibles de tous les coups tordus que la longue carrière néfaste de la Sécurité militaire a expérimentés…