Petite exploration lexicale guidée par Akram Belkaïd
Prenons un Larousse du siècle dernier, ouvrage précieux s’il en est, car il conserve les mots qui ont été éliminés depuis, et ouvrons-le à la page 945. Laissons glisser l’index du haut vers le bas, troisième colonne, dernier mot. Lisons à voix haute. « Socialisme : n.m Dénomination de diverses doctrines économiques, sociales et politiques condamnant toute la propriété privée des moyens de production et d’échange (…) S’inscrivant dans cette dernière lignée [celle des socialistes qui récusent le modèle soviétique] les actuels partis socialistes européens se sont auj. dégagés de toute référence au marxisme et défendent dans le cadre de la société capitaliste un réformisme plus ou moins affirmé selon les pays et les circonstances ».
Voilà une définition qui mérite d’être rappelée en ces temps confus où les socialistes français n’en finissent pas de s’entre-déchirer sous l’oeil goguenard d’une droite en apparence unie derrière un seul homme. Est-elle d’un secours quelconque ? Pas vraiment. Elle a certes le pouvoir de provoquer quelques réminiscences à propos d’une époque, pas si lointaine finalement, où l’Algérie socialiste, celle du parti unique et de l’autorisation de sortie, qualifiait le secteur privé de parasite. On sait ce qu’il en est advenu. Le parasite s’est transformé depuis en pieuvre-bazar, une espèce bien connue dans les pays pétroliers rentiers.
Vu de loin, on le concède, on se demande même s’il existe encore un homme politique algérien qui prononce de temps à autre le mot socialisme. On imagine que ce n’est certainement pas le cas de l’un des ces députés vu en train de voter la révision constitutionnelle en levant haut et fort les deux bras au risque de faire craquer leur veste déjà fort éprouvée. « On aurait dit l’inévitable chahut qui accompagne l’élection des délégués de classe », nous dit en riant une thésarde tunisienne qui ferait mieux de s’occuper de son propre président à vie.
Mais, revenons au socialisme. N’insistons pas sur le vaudeville joué par les prétendants au poste de patron du PS français, mais prenons date pour 2012 et félicitons d’ores et déjà Nicolas Sarkozy pour sa prochaine réélection, car il est impossible que cette bataille d’égos ne laisse pas de traces électorales. Le plus important, c’est que l’on se sent insatisfait quant à définir ce que pourrait être le socialisme d’aujourd’hui. Les grandes questions n’ont toujours pas leurs réponses et ce vide apparaît sidéral en cette période de crise financière internationale. Quel rapport au marché financier ? Quel rapport à la mondialisation qui impose délocalisations, baisses des salaires et replis des droits sociaux et syndicaux ? Comment protéger les services publics ? La concurrence « libre et loyale », obsession cardinale de la Commission européenne, vaut-elle plus que la protection des emplois et la nécessité, pour un Etat, d’agir pour le bien-être de tous (travail, santé, éducation) ?
Il nous manque un grand théoricien, des textes sérieux, une manière nouvelle d’appréhender le monde sans pour autant rendre les armes devant la pensée unique, le marché, les privatisations, les produits dérivés, les retraites par capitalisation et le retrait de l’Etat au grand détriment des plus faibles, des moins bien armés dans un monde de compétition de plus en plus acharnée. C’est cela qui mine la gauche. C’est cela qui va vraisemblablement conduire à l’implosion du parti socialiste français. On peut citer Blair et Schröder. Mais étaient-ils vraiment socialistes ? Centristes, sûrement, de gauche, un petit chouïa comme on dit de ce côté-ci de la Méditerranée. Il leur fallait un appareil, un parti et ils se sont emparés de la syntaxe pour dominer la structure. Mais où est donc la gauche, la vraie ? Serait-elle celle de Besancenot, c’est-à-dire celle qui n’a pas vocation à gouverner à moins d’une improbable révolution ?
Changeons de mot. Feuilletons le même dictionnaire en allant de la droite vers la gauche, ce qui signifie que les pages défilent en sens inverse. Arrêtons-nous en page 332, troisième colonne, cinquième mot en partant du bas. « Dictature : n.f. (…) Pouvoir absolu exercé par qqn, par un groupe ; tyrannie ». Poursuivons la recherche, toujours dans le même ordre de succession. Page 330 : « Dévoiement » puis « Déviationnisme ». Page 322 : « Désarroi ». Page 320 : « Déprime ». Et, enfin, page 315, quinzième mot à partir du bas : « Démocratie [dem ?krasi] n.f. 1. Régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l’intermédiaire d’un organe représentatif (démocratie directe) ou par représentants interposés (démocratie représentative) ».
Voilà une autre définition qui n’est plus du tout satisfaisante. Non pas qu’elle soit incorrecte car, on l’a déjà écrit à l’occasion de l’élection d’Obama, il existe bel et bien des pays dont les peuples arrivent encore à exercer leur souveraineté et leurs droits. Mais le problème avec les dictionnaires classiques - on ne parle pas des dictionnaires de synonymes ou d’antonymes - c’est qu’ils répugnent à préciser ce qui ne correspond pas à la définition et encore moins à ce qui l’entacherait.
On peut essayer de faire croire aux Algériens, aux Tunisiens, à tous ces peuples du Sud qui votent régulièrement, que leurs « représentants interposés » traduisent par leurs actes le choix du peuple et que, par conséquent, ils sont la preuve vivante de la démocratie. Or, nous savons tous que cela est factice et que dans ce cas, démocratie rime avec pipeau. Et comme ce n’est pas de la démocratie, ce n’est rien d’autre que de la dictature. Il n’y a pas d’autre définition satisfaisante. Quand un peuple, quel qu’il soit, et quelle que soit sa culture ou sa religion, n’est pas maître de son propre destin et qu’on lui confisque sa parole, « pour son bien et son éducation » affirme-t-on le plus souvent, alors il ne faut pas l’insulter en lui affirmant qu’il vit en démocratie ou, pire encore, qu’il vit dans autre chose, certes différente de la démocratie, mais tout autant meilleure et nécessaire qu’elle.
Il n’y a rien de mieux que la démocratie et tout ce qui ne lui ressemble pas s’apparente de près ou de loin à de la dictature.