Une jeune fille de bonne famille british témoigne contre l’amant de sa soeur. Dans la veine du géant James Ivory, un film tourmenté et virtuose, loin des conventions éthérées du mélo vintage.
C’est bon de pleurer comme une madeleine, voire comme une midinette. Spécialement au cinéma, devant un mélo qui dépoussière allègrement le genre : soit le dernier film du réalisateur anglais Joe Wright, Reviens-moi. Déjà remarqué en 2005 avec une adaptation convaincante du roman de Jane Austen, Orgueil et préjugés, le cinéaste revient cette fois avec celle d’un livre d’Ian McEwan, Atonment (Expiation).
Plongée au coeur de l’été 1935, dans la campagne anglaise et ses demeures victoriennes. Les Tallis mènent là une vie faste et insouciante jusqu’au jour où la jeune Briony, 13 ans, encore naïve en matière de désir amoureux, établit un faux témoignage contre l’amant de sa soeur aînée et propulse inévitablement le couple vers un destin tragique. Si la traduction française aberrante du titre ne l’explique plus, Reviens-moi, donc, est le récit d’une rédemption. Celle de la jeune fille menteuse. Ainsi sont décrits du point de vue de la coupable et à trois âges différents (13, 18 et 60), l’aristocratie, les tourments de l’amour, les conflits de classes amidonnés. Ainsi pourrait-on craindre les clichés d’une époque empesée et les longs regards éthérés… Mais rien de tout cela. Joe Wright s’est définitivement débarrassé des fantômes de James Ivory en explosant les conventions rodées du mélo vintage.
Cinq minutes suffisent pour saisir le renouvellement à l’oeuvre : la reconstitution des années 35-40 est habile, méticuleuse - qu’il s’agisse des intérieurs de la maison victorienne, des hôpitaux et cafés publics ou encore d’une plage de débarquement en plein conflit mondial. La photo de Seamus McGarvey alterne avec virtuosité entre drame épique, mélodrame et film de guerre : jeu de balance entre plans larges et tous resserrés, entre décadence et intimité. C’est peut-être d’ailleurs la peur d’être classé comme un réalisateur intimiste qui aura poussé Wright à la douce folie d’un plan séquence subjuguant : dans un Dunkerque où les troupes alliées tentent de rentrer chez elles, plus de 2000 figurants, un bateau échoué sur le sable, une grande roue, une partie de foot, un choeur militaire et l’intervention coup de théâtre d’un extrait du Quai des brumes de Carné.
Les pièces du puzzle McEwanien ont été assemblées grâce au perspicace monteur Paul Tothill. Les plans aussi sensuels que détonants se succèdent, rythmés et dynamisés par la musique de Dario Marianelli. Enfin la justesse du casting : Keira Knightley, déjà rayonnante dans Orgueil et préjugés, est plus belle que jamais en jeune anglaise de la « Haute » ; elle donne une réplique amoureuse-langoureuse-sexuelle à James McAvoy, sorte de nouveau Sean Penn, beauté somme toute commune, mais regard profond bleu et voyou du type sympa auquel il est facile de s’identifier. Du coup, qu’il pleure ou jubile, on le suit. Les autres protagonistes, l’Angel d’Ozon, Romola Garai, et la toute jeune Saoirse Ronan dans le rôle phare sont épatants.
Google-isons pour l’anecdote le cinéaste, et Wikipédia résumera l’homme, sa vie, son oeuvre en une phrase lapidaire : « Né en 1972 à Londres. Dyslexique ». Drôle d’idée non ? Comme celle du choix du titre, seul handicap visible ici, pour ce très beau moment de cinéma très cinéma.
"Reviens-moi" (Atonment), de Joe Wright. Avec Keira Knightley, James McAvoy, Romola Garai, Vanessa Redgrave…, Grande-Bretagne, 2h03.